De quoi ça parle ?
Du couple formé par le musicien Leonard Bernstein (Bradley Cooper) et l’actrice Felicia Montealegre (Carey Mulligan).
Pourquoi on aime allegro ma non troppo ?
Précisons le tout de suite, Maestro n’est pas vraiment un biopic consacré à Leonard Bernstein.
Bradley Cooper incarne bien le célèbre chef d’orchestre américain mais ne s’intéresse pas vraiment à l’essence de son travail. En tout cas, pas directement. Il s’intéresse plutôt à l’impact qu’a eu sa vie privée sur son travail et le rôle qu’à joué son épouse pour lui permettre de s’assumer et de donner enfin la pleine mesure de son talent artistique.
Dès le second plan, on découvre que le fameux chef d’orchestre est homosexuel. C’est en compagnie d’un autre homme qu’il reçoit, en 1943, l’appel qui va bouleverser sa carrière – l’opportunité de remplacer son mentor, le chef de l’Orchestre Philarmonique de New York, lors d’un programme radiodiffusé dans toute l’Amérique.
Ceci ne l’empêche pas de se rapprocher de Felicia Montealegre, jeune actrice d’origine chilienne qu’il a rencontrée à une soirée. Ils se marient en 1951 et fondent une famille.
Dans l’Amérique puritaine des années 1950, et dans le milieu assez guindé de la musique classique, il vaut mieux entretenir l’idée d’une certaine « normalité » pour avoir une chance de faire carrière et ce mariage arrange bien l’image de Leonard Bernstein. Pour autant, tel que Bradley Cooper dépeint cette relation, il ne s’agit pas d’un mariage de complaisance. Leonard et Felicia éprouvent des sentiments très forts l’un pour l’autre. Ils entretiennent une grande complicité, une belle communion intellectuelle.
Mais peu à peu, la nature profonde du musicien, qu’il essayait tant bien que mal de dissimuler, reprend le dessus. Bernstein multiplie les relations extraconjugales avec d’autres hommes, prêtant le flanc à de nombreuses rumeurs. Sa carrière, désormais lancée, n’est plus en péril, mais les ragots arrivent jusqu’aux oreilles de ses proches et les affectent profondément.
Bernstein tente alors de cloisonner sa vie privée et de préserver ses secrets, mais cela affecte sa personnalité, son travail. Felicia n’a jamais été dupe sur la sexualité de son mari, mais elle souffre de le voir ainsi se torturer. Sa musique est pleine de colère, de frustration. Elle ne peut pas progresser et toucher le coeur de l’auditoire. Aussi, elle se sacrifie pour qu’il puisse enfin assumer qui il est, faire la paix avec lui-même et signer enfin des oeuvres apaisées.
En tant qu’acteur populaire, régulièrement pourchassé par les paparazzi, Bradley Cooper connaît parfaitement la difficulté de concilier vie privée et exposition publique. Et avec sa double casquette d’interprète et de cinéaste, il se retrouve sans doute dans la “schizophrénie” dont parle Bernstein, à un moment du film, dans une interview où il explique les différences entre le compositeur et le chef d’orchestre interprétant les morceaux d’autres compositeurs. C’est probablement la raison première qui l’a poussé à réaliser ce film et incarner lui-même le personnage, en poussant le curseur jusqu’à se transformer physiquement pour incarner le personnage de façon assez bluffante, même si certains idiots l’ont accusé d’antisémitisme pour avoir utilisé une prothèse nasale qu’ils estimaient caricaturale. Sans doute le cinéaste a-t-il aussi été touché par cette belle histoire d’amour atypique, reposant plus sur la confiance, la complicité, que sur la sexualité et sur la personnalité de Felicia, qui a accepté de vivre dans l’ombre de son époux et de se sacrifier pour lui permettre de s’épanouir en tant qu’homme et artiste. La meilleure idée de Bradley Cooper est d’avoir confié le rôle à la trop rare Carey Mulligan. Elle illumine le film de son jeu tout en finesse et en pudeur. On constate d’ailleurs les progrès accomplis par le cinéaste dans ce domaine, depuis son film précédent, A Star is born, qui avait un peu la main lourde sur le mélodrame et sombrait assez facilement dans le larmoyant.
On note aussi une évolution dans les choix de mise en scène. Si Maestro est filmé de façon très classique – pour être en phase avec la musique de Bernstein, sans doute – il bénéficie aussi de quelques belles idées, notamment au niveau des transitions de séquences, particulièrement fluides et dynamiques, et des jeux de lumière, qui participent à l’impression d’une ambiance visuelle très soignée.
En bref, la symphonie est exécutée sans réelle fausse note. Pour autant, le film ne réussit jamais à vraiment nous emporter complètement. Peut-être un peu trop long, trop lisse. Et si on respecte totalement le parti-pris de ne pas du tout développer la carrière du maestro, on peut aussi trouver un peu frustrant que le cinéaste ne retienne de la grande carrière du chef d’orchestre que ses partitions pour Un Jour à New York et West side story et laisse de côté tous les concerts où il a magnifié les oeuvres de grands compositeurs.
Le cinéaste pourra sans doute compter sur la curiosité des admirateurs de son précédent film, A Star is born, qui avait connu un certain succès en salles, mais rien ne garantit le même accueil à ce film plus difficile d’accès.
Contrepoints critiques
“Cependant, ce qui semble largement manquer à Maestro – quelque chose que A Star Is Born contient à la pelle – c’est la vitalité et la viscéralité de ces performances en gros plan. Ce n’est pas la faute de Mulligan, et certainement pas la faute de Cooper en tant qu’acteur, mais ce qu’il gagne en clarté dramatique et sous-textuelle en employant une approche de mise en scène plus classique, il le perd en spontanéité. Son approche formaliste devient trop rigide, trop restrictive.”
(Pierre Challon – Indigo buzz)
”Cooper’s impersonation of the great composer is eerily exact, and gets to the heart of the sacrifices great artists feel they need to make”
(Peter Bradshaw – The Guardian)
Crédits photos : copyright Netflix – Images fournies par La Biennale di Venezia