De quoi ça parle ?
D’un tueur à gages (Michael Fassbender) qui, sur le point d’exécuter un nouveau contrat, à Paris, nous parle de son métier. Ce type d’artisanat nécessite beaucoup de concentration, de maîtrise de soi et de préparation. On suit l’homme dans ses repérages, la préparation de son matériel, ses exercices de self-control, le nettoyage pour ne laisser aucune trace d’ADN permettant de remonter jusqu’à lui et l’attente du moment propice.
Le type est pro. On voit qu’il a l’habitude de faire ça, qu’il maîtrise chaque aspect du travail. Le contrat, l’assassinat d’un homme d’affaires américain, devrait être une formalité. Mais tout le monde peut faire des erreurs, même les meilleurs. Il suffit d’un petit grain de sable, une microseconde d’inattention et tout peut déraper…
Pourquoi on ne flingue pas le film ?
Un tueur à gages expérimenté qui devient à son tour la cible de tueurs à gages cherchant à l’éliminer du circuit… La trame n’est pas novatrice et rappelle celle de nombreux thrillers plus ou moins réussis, sur papier ou sur grand écran.
Mais le scénario du nouveau film de David Fincher ne s’appuie pas sur un matériau conventionnel. Il adapte une série de comics-books français signés par Matz et Luc Jacamon (1), qui se distinguent par un choix assez original, en centrant tout le récit sur les pensées et les actes du personnage principal. Un peu comme un documentaire au plus près, comme dans un documentaire où le tueur expliquerait avec un sérieux papal son modus operandi, avant la mise en pratique, commentant tout en voix-off, dans sa tête. Comme la théorie – les phrases que le personnage se répète comme un mantra (“respecte le plan”, “reste concentré”,…) – se heurte à la mise en pratique, moins subtile, cela confère à l’oeuvre un humour assez irrésistible, qui permet de suivre avec plaisir les tribulations de ce tueur à gages à l’ancienne, à qui Michael Fassbender prête son visage fermé et froid, entre flegme britannique et rigueur germanique.
David Fincher s’amuse beaucoup avec ce canevas épuré qui lui permet de se focaliser sur le visuel plutôt que sur les dialogues et l’action. Il s’appuie fort logiquement sur le découpage de la bande dessinée, sans doute elle-même très cinématographique dans sa conception – et peut-être inspirée des oeuvres de Fincher, pour une belle mise en abîme. En tout cas, cela ne manque pas d’allure, avec ces cadrages très précis, ces angles de prise de vue insolites et ces subtils jeux d’ombre et de lumière.
Dès le générique, le montage est vif, précis, ultra-minuté. Les mouvements de caméra, quand il y en a, vont à l’essentiel. Tout se déroule comme si Fincher appliquait à sa mise en scène les mêmes préceptes que le personnage campé par Michael Fassbender. Là encore : “ne te laisse pas distraire”, “sois efficace”, “ne laisse rien au hasard”… La différence, c’est que Fincher, lui, ne manque pas ca cible. Il n’y a là aucun grain de sable dans cette belle mécanique qui se déroule du début à la fin sans anicroche, en proposant au passage quelques beaux morceaux de bravoure, comme l’affrontement brutal entre le personnage principal et un colosse particulièrement solide, ou celui, plus feutré et plus élégant, mais tout aussi cruel, entre le tueur et sa consoeur (Tilda Swinton).
Car même si le film comporte quelques touches d’humour bienvenue, il ne s’agit pas d’une parodie. Quand l’action s’emballe, le tueur se montre impitoyable et violent. Pas de sentiments, pas de témoins, pas de traces… Cet univers de tueurs implacables donne froid dans le dos et ne donne pas vraiment envie d’effectuer une reconversion professionnelle. Le métier est solitaire, difficile et laisse constamment une sensation d’amertume, sans doute parce que chaque tueur sait bien qu’un jour, il sera de l’autre côté de l’arme, et qu’il n’y a pas vraiment de possibilité de retraite anticipée.
En tout cas, pour David Fincher, l’heure de la retraite semble loin d’avoir sonné et si ce nouveau long-métrage n’est peut-être pas le plus flamboyant de sa filmographie, ni le plus percutant, cela reste néanmoins du très bon cinéma, mené de main de maître et il fera assurément partie des oeuvres importantes de cette 80ème Mostra.
(1) : “The Killer” de Luc Jacamon et Matz – 12 albums – éd. Casterman
Contrepoints critiques
”On ressort de « The Killer» avec l’impression d’être passé à côté de son sujet, sans pour autant s’être ennuyé.”
( Benjamin Locoge – Paris Match)
”Si Mindhunter entendait analyser ce qui rapproche les gens « normaux » des serial-killers, The Killer nous plonge dans la tête d’un assassin en train d’émerger de sa routine léthale pour nous inviter à réfléchir à nos existences de plus en plus individualistes, de plus en plus compartimentées, de plus en plus réfrigérées.”
(Frédéric Foubert – Première)
Crédits photos : Netflix – Images fournies par La Biennale di Venezia