[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
De la relation entre Priscilla Beaulieu (Caielee Spaeny) et Elvis Presley (Jacob Elordy), de leur rencontre, en 1959 à leur séparation, en 1972.
Pourquoi on aime tendrement mais sans avoir le coeur capturé et l’âme vaincue ?
On l’a déjà dit dans ces colonnes, mais nous ne sommes pas franchement friands de biopics. Nous ne sommes pas des fans inconditionnels d’Elvis Presley, ni des adeptes de la théorie du complot qui pensent que le King est encore vivant et qui cherchent partout des preuves de son enlèvement par des extraterrestres. Donc autant dire que Priscilla ne nous donnait pas très envie… Sans compter que le C.V. de Priscilla Presley, hormis son mariage avec l’interprète de “Love me tender” et sa participation, dans les années 1990, aux trois films de la série Y-a-t-il un flic… où elle donnait la réplique à Leslie Nielsen, nous semble un peu vide. En tout cas, insuffisamment rempli pour justifier qu’un film entier lui soit consacré.
Mais avec Sofia Coppola aux commandes, on pouvait s’attendre à ce que cette biographie ne soit que le prétexte à une oeuvre tout en sensibilité, venant s’intégrer parfaitement dans la filmographie de la cinéaste, et c’est exactement ce qui nous est proposé ici.
On pense beaucoup à Marie-Antoinette, que la cinéaste avait réalisé en 2006. Ce film singulier, présenté en compétition à Cannes, n’avait rien de la reconstitution historique classique ou de la biographie méticuleuse. C’était un film d’ambiance montrant une jeune femme avide de liberté, prise dans le carcan d’un univers fait de conventions. Cela avait permis à la cinéaste d’aborder son thème de prédilection : le combat de jeunes femmes pour trouver leur place dans le monde et vivre une vie en accord avec leurs désirs.
Priscilla Beaulieu est très jeune, quinze ans à peine, quand elle fait la connaissance d’Elvis Presley. Le père de l’adolescente, militaire, vient d’être muté dans une base dans une base en Allemagne de l’Ouest et toute la famille a quitté le Texas pour Bad Nauheim. Elvis, lui, effectue son service militaire. Il est déjà célèbre et a des groupies un peu partout sur la planète, qui deviennent hystériques dès qu’elles l’aperçoivent. C’est peut-être cela qui le pousse à se rapprocher de Priscilla, qui est très sage, très timide, et s’adresse à lui d’une voix douce. A moins que ce ne soit juste le mal du pays. Toujours est-il qu’il se rapproche de la jeune américaine et l’invite à des soirée avec son cercle de proches.
Priscilla est à la fois encore une enfant innocente, qui rêve au “Prince charmant”, et une adolescente qui découvre ses premiers désirs et fantasme sur le crooner, comme la plupart des midinettes de l’époque. Quand elle découvre que celui-ci s’intéresse à elle, elle est forcément un peu flattée, et vu qu’elle n’a probablement rien d’autre à faire, dans cette base militaire allemande, elle accepte volontiers les invitations du chanteur.
Elle profite du moment en se disant que la vedette finira probablement par se lasser d’elle et l’oubliera dès qu’il sera en mesure de reprendre sa carrière, à la fin de se conscription.
Mais contre toute attente, Elvis l’invite à nouveau à passer quelques jours auprès de lui, à Graceland, sa propriété de Memphis et cela marque le vrai début de leur relation… et sa fin inéluctable.
Pour Priscilla, le rêve est en train de devenir réalité. Là voilà désignée princesse du château, compagne d’Elvis, une place enviée par des millions de femmes sur la planète.
Mais son statut n’est toujours pas officiel. Elvis ne l’a pas encore épousée et ils n’ont jusqu’alors eu aucune relation charnelle. Il est vrai que la star, qui continue sa carrière musicale et tente de percer au cinéma, est souvent en déplacement. Priscilla n’a pas le droit de l’accompagner, barrée par les proches d’Elvis et ses attachés de presse, qui voient d’un mauvais oeil cette relation polémique, au vu de la différence d’âge des tourtereaux. Elle doit rester à Graceland et doit respecter toutes les règles qui lui sont imposées. Elle ne peut pas sortir du site, ni même s’exposer dans le jardin, par crainte des paparazzi. Elle ne peut pas non plus inviter des amies. Elle devient dès lors une sorte de potiche, un banal objet de décoration dont profite le propriétaire des lieux à chaque fois qu’il rentre à la maison.
Sofia Coppola s’attache à traduire en images cette aliénation progressive. Elle choisit des cadrages qui communiquent la sensation d’enfermement ou filme le personnage comme si elle était perdue dans l’image, lost in Graceland. Les éclairages se font plus feutrés, ne laissant plus que quelques rares fenêtres pour faire pénétrer le soleil.
La cinéaste réussit parfaitement à communiquer le désarroi qui agite la jeune femme à chaque fois qu’elle lit les rumeurs des tabloïds sur la vie sentimentale d’Elvis. Elle est heurtée par les ragots qui la ciblent elle, à cause de son jeune âge, mais encore plus par les potins qui prêtent à son homme des relations avec de sublimes actrices, chanteuses ou personnalités mondaines. Et quand Priscilla cherche à aborder le moindre sujet sensible avec Elvis, celui-ci fuit la discussion ou s’emporte, révélant une nature moins sympathique que celle des débuts de leur relation. Et le fait qu’il commence déjà à abuser des médicaments ne vient pas arranger son humeur.
Au début, Priscilla ne possède pas les armes pour répliquer. Elle encaisse les chocs, persuadée qu’elle peut encore arranger les choses. Mais peu à peu, elle apprend à s’affirmer, à batailler pour trouver sa place. Elle finira par y arriver, quand le King acceptera enfin d’en faire sa reine officiellement. Mais en consommant leur union, la jeune femme perd son innocence. Elle ne correspond plus à l’image de la petite fille sage et patiente que le crooner voulait garder d’elle. Et, comme un rustre, il lui signifie qu’elle n’est plus la bienvenue alors qu’elle est enceinte de leur fille. Charmant bonhomme… L’archétype du pervers narcissique que les jeunes femmes devraient éviter comme la peste !
Priscilla a toujours vécu dans l’ombre d’Elvis. Elle a été jalousée et détestée par les autres femmes. La presse à scandales l’a traînée dans la boue, la décrivant tantôt comme une garce manipulatrice visant la fortune d’Elvis, une cruche écervelée, un simple trophée de plus à ajouter à la collection du tombeur, une fille banale que le King aurait eu tout intérêt à abandonner pour faire gazou-gazou avec Ann Margret ou Nancy Sinatra… Sans doute n’était-elle que la victime d’une union mal embarquée, une femme captive, prisonnière de ses rêves de jeune fille. Plus qu’un film sur Priscilla Presley, Sofia Coppola réalise un film sur toutes les femmes insatisfaites, qui ont eu la faiblesse de croire aux contes de fées ou se sont laissées embobiner par un beau parleur. Elle en fait une oeuvre un peu plus universelle, plus ample que le sujet initial.
Après, avouons-le, la cinéaste ne se renouvelle pas beaucoup. Elle donne même l’impression de tourner en rond depuis un bon bout de temps, en n’ayant jamais totalement confirmé son potentiel, après deux premiers films réussis. Sofia Coppola n’a jamais vraiment retrouvé ce qui faisait le charme de The Virgin suicides ou de Lost in translation. Mais le talent est là, indéniable, et si l’effet de surprise ne joue plus, sa mise en scène est parfaitement maîtrisée.
Il faudrait maintenant qu’elle puisse, comme son personnage, tourner la page et partir trouver un nouveau souffle pour proposer de nouvelles histoires, de nouveaux terrains de jeu cinématographiques.
Contrepoints critiques
”Priscilla becomes a familiar story of one woman’s unlikely liberation, and Cailee Spaeny can’t really capture that change.(…) Coppola isn’t interested in Elvis; she barely shows him on stage. She is interested in a childish man and a woman who has to grow up. But it’s hard to care about either of them.”
(Marta Balaga – Indiewire)
”Coppola’s portrait is absorbing, especially in Priscilla’s child phase, and if it is less distinctive in its final section, as Priscilla becomes more briskly disillusioned and realistic about what to expect, then that is to be expected.”
(Peter Bradshaw – The Guardian)
Crédits photos : Philippe LeSourd – images fournies par La Biennale di Venezia