De quoi ça parle ?
D’entrepreneurs citadins qui veulent ouvrir une aire de “glamping” – un camping avec cabanons et toilettes privatives – dans les forêts proches du petit village isolé de Mizubiki, dans les environs de Tokyo, afin qu’une clientèle aisée puisse profiter du bon air de la campagne sans pour autant renoncer à tout confort. Et de la réaction des habitants du village, plutôt hostiles au projet.
Pourquoi on aime beaucoup, même si on ne grimpe pas jusqu’à la cime des arbres?
Le film s’ouvre sur un long travelling sur la cime d’arbres dans une forêt enneigée, comme si quelqu’un regardait vers le ciel. Et effectivement, on découvre une fillette en train de se promener dans la forêt, profitant de la beauté des lieux. La scène est accompagnée par une belle plage musicale de Eiko Ishibashi, soulignant la pureté et la sérénité des lieux.
Le plan suivant est accompagné de bruits de tronçonneuse, beaucoup moins harmonieux, montrant un homme en train de couper du bois. Cet enchaînement préfigure déjà une opposition entre nature et activité humaine, ville et campagne, même si le personnage, Takumi (Hitoshi Omika) est définitivement un homme de la campagne. Il fait un peu office d’homme à tout faire dans le village. Il coupe le bois pour le chauffage des habitants, va puiser de l’eau pour l’apporter aux habitants et surveille les déplacements des cervidés dans la forêt et ses environs. Le reste du temps, il essaie de transmettre tout son savoir à sa fille, Hana, qui est l’enfant découverte dans la première scène. Son existence semble obéir à une routine stricte, en harmonie avec la nature, le cycle des saisons et la vie tranquille du village.
Quand il prend connaissance de ce projet de glamping, il perçoit immédiatement son potentiel de nuisance. Et il n’est pas le seul. Les autres habitants sont aussi farouchement opposés à l’idée de voir des citadins venir perturber leur existence paisible. Une réunion entre les représentants du promoteur et les villageois est organisée à la mairie – et évoque un peu la scène-clé de R.M.N. de Cristian Mungiu, même si les thématiques sont sensiblement différentes. Les habitants se montrent critiques vis-à-vis du projet, mais chacune de leurs interventions s’avère pertinente. Takumi affirme que l’emplacement de la fosse septique est inadapté, car il risque de contaminer l’ensemble du circuit de l’eau dans la forêt. Une autre villageoise pointe les dangers associés à l’utilisation de barbecues qui, mal éteints, pourraient embraser la végétation lors des périodes plus sèches et plus venteuses. D’autres pointent le manque de garanties du projet, mal ficelé et faisant l’économie de choses essentielles, comme le recrutement d’un gardien chargé d’empêcher les vacanciers de troubler la tranquillité des lieux… Finalement, les représentants du promoteur retournent à Tokyo la tête basse.
A leur retour, leur patron organise une visioconférence avec eux. Il n’a aucune intention d’écouter les habitants ou de changer quoi que ce soit à ses plans initiaux. Il faut que le projet soit réalisé dans les temps pour surfer sur cette vague du glamping, les citadins étant demandeurs de retour à la nature. Il suggère à ses représentant d’amadouer les villageois en recrutant comme gardien l’un d’entre eux, qui, bien que n’ayant aucun pouvoir décisionnel sur la construction du site, servirait de caution morale au projet. Les deux cadres pensent illico à Takumi et retournent donc sur place pour tenter de convaincre. Ils le suivent une journée complète. Mais leur présence perturbe la routine de l’homme, comme l’équilibre de la nature environnante, ce qui ne sera pas sans conséquences.
Le titre, Evil does not exist fait peut-être référence aux essais philosophiques de Jean-Jacques Rousseau, et notamment son “Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes”, qui pose que l’homme est naturellement bon et qu’il est corrompu par la société. Takumi peut être vu comme un archétype de “bon sauvage”, un homme simple, heureux de ce qu’il possède, qui vit en harmonie avec la nature en ne prélevant que ce dont il a besoin pour vivre. Il n’y a aucune méchanceté en lui, même quand il se montre plus que réservé face au projet des promoteurs. Il ne se montre pas agressif, juste pragmatique, opposant à leur bêtise et leur ignorance son bon sens.
Mais au contact des deux citadins, il se transforme imperceptiblement, montrant quelques signes d’agacement. Surtout avec Takahashi (Ryuji Kosaka), qui se montre un peu trop enthousiaste dans sa découverte de la vie campagnarde. On ne sait pas si le type se montre aussi jovial pour flatter son hôte et mieux le manipuler ou s’il est réellement emballé par ce retour à la terre, comme le seront probablement certains des touristes du glamping. Toujours est-il qu’il finit par faire complètement craquer le villageois.
Le film, lui, fera peut être craquer quelques spectateurs en raison de sa forme singulière et de son tempo très lent. Même les admirateurs de Ryusuke Hamaguchi pourront être surpris par la structure de ce nouveau long-métrage, qui multiplie les séquences quasi-mutiques, filmant la nature, les arbres, la neige ou le ruissellement de l’eau et des scènes plus ou moins longues et bavardes, présentant l’opposition entre les représentant du glamping et les villageois, avant de s’accélérer brutalement lors des dix dernières minutes et laisser beaucoup de questions sans réponses.
Ceci vient surtout de l’origine du projet. Au départ, le cinéaste devait filmer des images de nature pour illustrer une partition créée par Eiko Ishibashi, le compositeur de Drive my car, autour de la communion entre l’homme et la nature. Un exercice inhabituel pour le cinéaste, qui d’ordinaire, s’appuie sur des scénarios très précis. Là, il a tourné des images pour ce premier projet avant de les réexploiter pour ce film, et il y a ajouté quelques scènes pour structurer un récit improvisé, moins “complexe” – tout est relatif – que ses films précédents.
Le résultat est une oeuvre assez étrange, qui donne parfois l’impression d’être étirée au delà du raisonnable, hétéroclite et relativement dénuée d’enjeux dramatiques. Très différente, donc, de ses deux chefs-d’oeuvres, Drive my car et Contes du hasard et autres fantaisies. Nous pouvions nous attendre à mieux pour clore ce cycle créatif foisonnant. Cependant, Evil does not exist n’en demeure pas moins un film à la réalisation solide, qui surprend, déstabilise et incite à la réflexion, avec trois fois rien. C’est déjà une performance…
Contrepoints critiques
”Evil does not exist est une grande déception de mon côté. En étirant encore plus le rythme de son récit, et avec son intrigue naïve, bancale et banale, Ryusuke Hamaguchi m’ennuie profondément. Me suis senti comme une crotte dans la rivière.”
(@ArthurCios sur X)
”It’s rare that a film’s final scenes should so materially change the inflection of its meaning, as Hamaguchi suddenly swings “Evil Does Not Exist” away from its prior axis of cautious, melancholy optimism toward something far colder, wintrier and more fraught.”
(Jessica Kiang – Variety)
”A measured, piercing look at rural community and capitalist hypocrisy that makes some stunning observations about human nature in, well, regular nature. Hypnotic, soothing, moving, before surging into abject and unholy waters.”
(@RoryHasOpinions sur X)
Crédits photos : Neopa, Fictive – Images fournies par la Biennale di Venezia