De quoi ça parle?
De plusieurs histoires se déroulant à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, en 2021, de la question de l’accueil des migrants qui, par vagues successives, demandent asile à l’Union Européenne, de la politique polonaise sur ce sujet, en contradiction avec la plupart des droits internationaux, et de la catastrophe humanitaire qui en découle.
Pourquoi on accorde le visa, mais avec quelques réserves ?
La grande force du film d’Agnieszka Holland est sa construction scénaristique, sa forme chorale qui lui permet de traiter du sujet selon plusieurs angles différents et montrer l’ampleur de ce drame humanitaire au coeur de l’Europe.
On suit d’abord un groupe de migrants venus d’Afrique ou du Moyen-Orient, qui cherchent à entrer sur le territoire européen pour y démarrer une nouvelle vie : une afghane fuyant le régime des talibans pour rejoindre son frère installé en Pologne, une famille marocaine cherchant à gagner la Suède, où des proches les attendent, une femme enceinte et son conjoint, cherchant à rejoindre un pays francophone pour démarrer une vie meilleure…
Le voyage se passe étrangement bien jusqu’en Biélorussie. Avion aux sièges confortables, boissons gratuites, hôtesses aux petits soins… Rien à voir avec les canots pleins à craquer qui tentent de traverser la Mer Méditerranée… On offre même une rose aux passagers pour leur souhaiter la bienvenue. Mais attention aux épines… Dès que l’on approche de la zone frontière, la tension monte d’un cran. Les candidats à l’exil voient leurs portefeuille délestés de quelques billets par des passeurs peu aimables et il faut ramper sous des barbelés pour passer en Pologne. Mais là encore, tout se fait aussi relativement sans accroc. Le plus compliqué commence. De l’autre côté des barbelés, il y a une forêt très dense et une zone marécageuse où on peut facilement se perdre et se retrouver piégé. Surtout sans eau ni nourriture, transis de froid et d’humidité, et ne pouvant guère compter sur l’accueil des rares personnes évoluant à proximité de la zone.
La seconde histoire tourne autour des gardes-frontières polonais chargés d’empêcher les migrants d’entrer sur leur territoire. Ils ont pour ordre de raccompagner toute personne errant dans les environs du côté biélorusse, gentiment mais fermement. Vite de retour au point de départ, les migrants ne trouvent pas plus de solidarité de la part des soldats de Lukashenko. Au contraire, ils subissent des brimades, des humiliations, des vols et des violences. une façon de les inciter à retenter vite leur chance côté polonais. Ce va et vient incessant pourrait durer sans fin car il est clair qu’aucun des deux camps ne souhaite accueillir des étrangers sur son territoire. A travers l’attitude des soldats et des gardes-frontières, le vocabulaire qu’ils emploient, on comprend que la majorité des troupes est raciste, intolérante et n’a absolument aucune considération pour ces familles et le drame qu’ils endurent.
Mais heureusement, tous les habitants ne sont pas aussi froids et cruels. La troisième histoire montre un groupe d’activistes oeuvrant pour aider les migrants à demander l’asile politique. Ils ne peuvent légalement pas les aider à traverser la forêt, sauf à risquer de fortes peines de prison, alors ils luttent avec leurs armes, permettant aux migrants de remplir des formulaires de demande d’asile qui sont censées, en théorie, empêcher leur expulsion vers la Biélorussie. En théorie seulement, car les soldats polonais ont parfois une conception très personnelle du droit international… L’autre problème est que les migrants ne peuvent demander l’asile qu’en Pologne, pas dans un autre pays de l’Union. Pas de chance pour ceux qui veulent gagner la Suède ou la France, par exemple. Soit ils signent les papiers, soit ils doivent tenter leur chance par eux-mêmes. Dans tous les cas, le résultat est le même… Retour à la case départ.
A chaque chapitre, on retrouve le groupe de migrants initial ou du moins ce qu’il en reste car chaque aller-retour entre Biélorussie et Pologne occasionne des pertes matérielles et humaines.
Le dispositif permet de sensibiliser les spectateurs à ce drame humain qui se joue à la frontière de l’Union Européenne et interpeller les dirigeants de l’Union Européenne, notamment le président polonais, sur leur inaction ou leurs décisions contraires aux valeurs qu’ils prétendent défendre. Il rend aussi hommage qui s’investissent
D’autres militants sont prêts à prendre plus de risques pour aider. Comme Julia (Maja Ostaszewska), qui non contente de transformer sa maison en gîte permettant aux rares rescapés de recharger leurs portables, d’obtenir de nouveaux vêtements ou de reprendre quelques forces avant de repartir, s’aventure fréquemment dans la green border pour tenter de sauver davantage de migrants.
Difficile de ne pas défendre une telle oeuvre, d’autant que d’un point de vue artistique, il n’y a rien à redire. La mise en scène est efficace et tient la durée de 147 mn. Les acteurs sont attachants. Il y a du fond et de la forme, un sujet fort, politique. De quoi faire un beau Lion d’Or. Certains festivaliers semblaient militer en ce sens. De notre côté, on émet quelques réserves à accorder le VISA. Il y a même trois ou quatre choses qui nous gênent dans le film.
La première, c’est que la construction scénaristique implique de passer du point de vue des migrants à celui des militants. Ils sont peu à peu mis de côté alors que ce sont eux qui sont les premières victimes de cette catastrophe humanitaire. Il manque sans doute une dernière partie qui les replacerait au centre du film. Il y a bien quelques migrants que l’on voit accueillis par une famille polonaise, mais d’une part ce ne sont pas les personnages du récit initial et d’autre part cette scène sonne faux. Les enfants de la famille d’accueil parlent un français parfait, sans accent. Les adolescents africains qu’ils hébergent ne donnent pas vraiment l’impression d’avoir passé plusieurs jours en forêt. Ils sont à l’aise, plutôt heureux, comme s’ils avaient gagné un séjour gratuit dans un hôtel trois étoiles. “Vous pouvez même regarder Canal +”, leur annonce leur hôte, sourire aux lèvres. Waouh! La classe! Ca valait la peine de faire des milliers de kilomètres, de subir les brimades de soldats, de faire de l’anti-glamping dans la forêt, les marécages, la pluie battante, le froid, pour ça… Voilà un placement de produit des plus douteux, qui ne colle pas du tout à la tonalité générale du film…
Pour boucler le récit, la cinéaste montre comment s’est déroulé l’accueil des réfugiés ukrainiens, lors de l’envahissement du Donbass par Vladimir Poutine. Là, pas de bisbilles à la frontière, pas de passeurs cupides. Les autorités ont mis en place des bus directs pour la plupart des grandes villes de Pologne et tous les réfugiés ont été pris en charge. Deux poids, deux mesures. Elle a raison de montrer que, quand on veut s’en donner la peine, on sait comment gérer l’accueil de migrants et de demandeurs d’asile, et les répartir dans la plupart des nations européennes. Mais opposer migrants ukrainiens et migrants venus d’Afrique ou du Moyen-Orient n’a pas vraiment de sens. D’où qu’ils viennent, les réfugiés ont besoin d’assistance et pour les ukrainiens, il était urgent de quitter les zones de guerre, pour éviter un bilan humain encore plus lourd. Mais il est vrai que l’accueil n’est pas tout à fait le même en fonction de l’origine des migrants. La xénophobie n’explique pas tout. Dans cette construction chorale qui multiplie les points de vue différents, il aurait été intéressant de montrer aussi l’avant et l’après : pourquoi ces migrants cherchent-ils à rejoindre l’Union Européenne ? Leurs motivations sont-elles les mêmes? Et s’ils arrivent à franchir la frontière, comment se passe leur intégration? Quels problèmes peuvent survenir? Sans cette dimension supplémentaire, le film est un peu manichéen et moralisateur. Cela n’enlève rien à ses qualités et à son efficacité, mais on peut trouver ces défauts gênants dans l’optique de l’attribution d’un prix majeur.
Contrepoints critiques
”Green Border is a tough watch: a punch to the solar plexus. But a vital bearing of cinematic witness to what is happening in Europe right now.”
(Peter Bradshaw – The Guardian)
”Un solide drame politique par une cinéaste en colère contre son pays et plus globalement l’Europe. Formellement impeccable et évitant toute démagogie : difficile d’imaginer le film absent du palmarès.”
(Michael Ghennam – @TheLostMIG sur X)
”Green Border est le terrible film exhibitionniste et racoleur sur l’horreur des crises migratoires qu’on redoutait. Un bête uppercut sans morale et naïf où Agnieszka Holland ose tout sans scrupules ni intelligence.”
(Le Rayon Vert – @RayonVertCinéma sur X)
crédits photos : images fournies par La Biennale Cinema