[Compétition officielle]
De quoi ça parle ?
D’Aniela, une femme polonaise, qui a dû se battre longtemps pour être reconnue comme telle.
Aniela (incarnée par Mateusz Wieclawek puis Malgorzata Hajewska-Krzysztofik) a été victime des facéties de la nature. Elle est une femme et s’est toujours sentie femme, mais elle est née dans un corps de garçon et a donc été élevée ainsi, en tant qu’Andrzej.
Comme un garçon, elle a dû jouer à des jeux de garçon, a dû faire son service militaire (écourté pour problème psychologique, les officiers peinant à comprendre pourquoi un type sain d’esprit se vernirait les ongles de pieds…). Comme tout homme, elle a dû épouser une gentille fille, Iza (Joanna Kulig) et fonder une famille. Elle a aimé sincèrement Iza et a élevé leurs enfants comme un bon père de famille, sans que personne ne se doute de son profond vertige identitaire.
Mais à un moment donné, sa vraie nature a fini par se révéler. Aniela a découvert qu’il était possible de changer de sexe par opération chirurgicale et traitement hormonal, mais aussi d’être reconnue civilement comme une femme par les autorités. Le problème, c’est qu’elle vit en Pologne, dans un pays où, d’une part, l’administration a encore quelques vestiges de l’administration communiste, rigide et autoritaire, et, d’autre part, où la religion catholique est très présente et assez peu tolérante par rapport à certaines situations.
Pourquoi on adore ?
Déjà, Woman of… aborde parfaitement toutes les problématiques rencontrées par les personnes transgenres : troubles identitaires, obligation de cacher sa vraie nature, incompréhension ou rejet des proches, difficultés à être accepté socialement…
Tout cela n’est plus vraiment nouveau pour les habitués des festivals de cinéma, qui avaient déjà vu le sujet traité, par exemple, par Xavier Dolan (Laurence anyways), Tom Hooper (The Danish girl), Céline Sciamma (Tombboy) ou Lukas Dhont (Girl) mais on découvre ici d’autres difficultés liées au contexte spécifique de la Pologne. Par exemple l’obligation de démontrer, avant toute velléité de traitement, que cette idée de changement de sexe n’est pas dû à une maladie mentale, ou l’obligation, en cas de volonté de faire reconnaître civilement le changement de genre, de divorcer. Si Andrzej devient Aniela, il est officiellement une femme, et une femme ne peut être mariée à une autre femme selon le droit polonais, qui ne veut pas entendre parler du “mariage pour tous”.
Il est difficile de ne pas être ému par le parcours difficile d’Aniela, jouée successivement par Mateusz Wieclawek et Malgorzata Hajewska-Krzysztofik, un acteur et une actrice au visage androgynes. Cette femme aura traversé plusieurs décennies sans jamais se sentir pleinement elle-même, libre et épanouie. En affirmant son changement de genre, elle se coupe temporairement de certaines personnes, incapables de comprendre et d’accepter cette transformation. Pourtant Aniela ne change que physiquement. Intellectuellement, c’est la même personne. Ses sentiments pour les uns et les autres n’ont pas changé. Son amour paternel/maternel non plus. Réussir à assumer ses choix, à s’affirmer définitivement en tant qu’Aniela prendra du temps, beaucoup de temps.
Au-delà de ce beau portrait, tout en délicatesse, les cinéastes traitent d’une autre transformation, celle de la Pologne. L’évolution d’Andrzej/Aniela suit celle de son pays, qui, durant la même période historique, est passée d’un régime communiste dur au libéralisme économique, en passant par la période Solidarnosc. Le Mur de Berlin est tombé en même temps que les barrières morales qui empêchaient Andrzej d’entamer ses démarches pour se métamorphoser en Aniela.
Aujourd’hui, la Pologne est devenue une nation libre, intégrée à l’Union Européenne. Cependant, toutes les catégories de personnes ne sont pas logées à la même enseigne. On n’efface pas d’un coup de baguette magique plusieurs années de dictature, pas plus qu’on ne peut changer aisément une société habituées à des siècles de dogmes religieux et de schéma patriarcal. Comme le dit un médecin à Andrzej, “La testostérone, c’est le pouvoir”. Et il lui prescrit illico une cure hormonale pour relever un peu ses niveaux, jugés trop bas pour travailler.
Dans une société où l’homme est considéré comme le “chef de famille”, le moteur du couple, une figure virile et moustachue, comme tant de leaders de tout bord politique, Andrzej/Aniela fait forcément figure de bête curieuse, de personne “anormale” ou “déviante” que l’on cherche à rejeter dans la marge.
C’est peut-être pourquoi le film s’intitule Woman of… C’est une façon d’évoquer certains chefs d’oeuvres du cinéma polonais qui essayaient de bousculer l’ordre établi et dont les titres commençaient par “L’Homme de…” (L’Homme de fer, L’Homme de marbre). Ce n’est sans doute pas un hasard si le personnage principal s’appelle Andrzej, comme Andrzej Wajda, auteur des films précités.
Avec ce film, Malgorzata Szumowska et Michal Englert militent pour que le regard de la société évolue, que les lois offrent davantage de liberté aux personnes trans, et que la Pologne s’affranchisse de tous les carcans qui l’empêchent de devenir une société résolument moderne, libre et épanouissante.
Il le font avec une mise en scène de toute beauté, intelligente et subtile, mélodramatique sans jamais tomber dans le pathos et offrant aussi quelques petites touches d’humour bienvenues – on apprécie, par exemple, les affiches de cinéma qui viennent accompagner les questionnements identitaires d’Aniela (“Pretty woman”, “La Double vie de Véronique”).
On part d’un récit totalement morcelé, révélateur de la personnalité d’Andrzej/Aniela, fragmentée, bousculée par des vents contraires, à une narration plus linéaire, plus apaisée, à mesure que le film avance. De la même façon, le film passe d’une ambiance assez sombre, monotone, à une image plus lumineuse, même si l’énergie du début laisse place à des images plus fixes. Le film dégage une certaine mélancolie, une impression d’épuisement, pour bien montrer que si le crapaud finit par se transformer en princesse – en référence à une scène où Aniela joue avec sa fille près d’un étang – c’est un combat long, fastidieux et éprouvant, qui laisse quelques cicatrices psychologiques et quelques regrets.
Avec ses jeux d’ombres et de lumière sublimes, signés Michal Englert, Woman of… prend des allures de conte de fées noir ou de “conte défait” où les princesses vécurent heureuses et eurent beaucoup d’enfants (enfin, deux…), mais après beaucoup de problèmes à surmonter.
On ne sait pas si la grenouille/princesse se transformera en Lion d’Or, mais en tout cas, Woman of… aura ému la Mostra et confirmé, si besoin était, tout le talent de ce duo de cinéastes qui continue, de film en film, d’aborder des sujets de société forts et passionnants, avec un style atypique.
Contrepoints critiques
”Małgorzata Szumowska and Michał Englert’s heart-on-sleeve film isn’t aiming to be revolutionary — there’s an old-fashioned melodramatic heft to its episodic construction, setting its heroine’s tale in a pointedly mainstream context. But it still represents a bold gesture of cinematic allyship, drawing attention as it does to Poland’s dire record on LGBT rights.”
(Guy Lodge – Variety)
”Woman of… by Polish Małgorzata Szumowska & Michał Englert in #Venezia80 competition is indeed their best film, but the whole thing looks like a very long transgender advert for an insurance company like CNP – with a much weaker second half. Still, better than Jessica Hausner.”
(Guillaume de Seille – @GdSArizona sur X)
Crédits photos : Copyright No-Mad Films – images fournies par La Biennale di Venezia