Le réalisateur avait pourtant annoncé sa retraite après ses films "Le Havre" (2011) et "L'Autre Côté de l'Espoir" (2017) qui devait être complété par un autre film pour former la trilogie sur les migrants. Finalement il revient mais avec un tout autre projet, un quatrième film pour s'ajouter à ce qui est connu comme sa trilogie du prolétariat avec les films "Ombres au Paradis" (1986), "Ariel" (1988) et "La Fille aux Allumettes" (1990). Il explique son projet par une note d'intention : "Même si j'ai acquis aujourd'hui une notoriété douteuse grâce à des films plutôt violents et inutiles, mon angoisse face à des guerres vaines et criminelles m'a enfin conduit à écrire une histoire sur ce qui pourrait offrirun avenir à l'humanité : le désir d'amour, la solidarité, le respect et l'espoir en l'autre, en la nature et dans tout ce qui est vivant ou mort et qui le mérite. Je tire au passage mon trop petit chapeau à Bresson, Ozu et Chaplin, mes divinités domestiques. Je suis cependant le seul responsable de cet échec catastrophique." Un peu de fausse modestie pour le réalisateur-scénariste qui s'inspire aussi avec le titre de la chanson éponyme (1950) de Jacques Prévert et Joseph Kosma. Le film est finlandais mais son producteur est turc, et pas des moindres puisqu'il s'agit de Nuri Bilge Ceylan réalisateur des films "Uzak" (2002), "Il était une fois en Anatolie" (2011), "Winter Sleep" (2014) ou le récent "Les Herbes Sèches" (2023). Une collaboration réussit puisque Aki Kaurismaki obtient avec ce film le Prix du Jury au Festival de Cannes 2023...
Helsinki, Ansa est en contrat zéro heure dans un supermarché tandis que Holappa est un travailleur tout aussi solitaire et alcoolique. Ils se rencontrent dans un bar un soir de karaoke. Au prime abord rien de spécial mais lentement les deux se retrouvent entre malentendus et maladresses. Alors que leur précarité n'aide pas à construire une relation saine, Holappa comprend qu'il doit maîtriser son alcoolisme s'il veut conquérir Ansa... Elle est incarnée par Alma Pöysti vue entre autre dans "Vuosaari" (2012) de Louki Louhimies et "Tove" (2021) de Zaida Bergroth, tandis qu'il est incarné par Jussi Vatanen vu dans "Very Cold Trip" (2011) et "Heart of Lion" (2013) tous deux de de Dome Karukoski puis dans "Unknown Soldier" (2017) de Louki Louhimies. Citons ensuite des habitués du réalisateur dont Nuppu Koivu qui était dans "L'Autre Côté de l'Espoir" (2017) à l'instar de ses deux partenaires Janne Hyytiäinen vu aussi dans "Les Lumières du Faubourg" (2006), ainsi que Sakari Kuosmanen qui joue là dans son septième film de Aki Kaurismaki depuis "Calamari Union" (1985) sans compter un passage dans le film "Divorce à la Finlandaise" (2010) de Mika Kaurismaki, frère de, et n'oublions pas un autre habitué avec Matti Onnismaa vu dans "Au Loin s'en vont les Nuages" (1996), et aussi dans "Les Lumières du Faubourg" (2006) et "L'Autre Côté de l'Espoir" (2017), qui retrouve également après "Rendel" (2018) de Pekka Lehtosaari l'actrice Alina Tomnikov remarquée dans la série TV "Arctic Circle" (2018-2021), puis enfin citons Martti Suosalo vu dans "Black Ice" (2006) de Petri Kotwica, "Skavabölen Pojat" (2009) de Zaida Bergroth ou "Vinski et la Poudre Magique" (2021) de Juha Wuolijoki... Le cinéaste aborde une multitude de sujets, les contrats de travail précaire, les stupidités sans nom de certains réglements (la nourriture à date de péremption par exemple), la solitude aussi, ou l'alcoolisme mais on constate aussi qu'aucun n'est réellement traité, logique pourrait-on dire les silences et le rythme lancinant sur à peine 1h20 de film c'est court pour pouvoir exposer un récit digne et dense sur des thématiques aussi larges.
Mais le style Kaurismaki c'est aussi ça, rester clair et concis pour aller à l'essentiel (éviter le gaspillage, une assiette vide ou pleine qui veut tout dire...), et ici c'est avant tout la recherche de l'amour pour se sauver d'une solitude forcément mortifère. Les points socio-politiques sont secondaires mais forment un contexte de piège fataliste qui instaure une atmosphère nostalgique, poétique et mélancolique qui se confrontent pourtant. En effet, la musique souvent joyeuse (B.O. en adéquation dont du rock'n roll comme l'aime le cinéaste, comme il offrit un hommage à la chanson "Twist'n Shout" lorsqu'il reçut sa Palme à Cannes) crée néanmoins un paradoxe face à des clients ternes, ennuyants et ennuyeux qui se réfugient pour la plupart dans l'alcoolisme. Par là même, le réalisateur offre quelques séquences aussi amusantes que tristes... ATTENTION SPOILERS !... comme lors de la séance de ciné devant le film "The Dead Don't Die" (2019) de Jim Jarmush où le couple ne rit pas mais Ansa déclare pourtant "Je n'ai jamais autant ri"... FIN SPOILERS !... D'ailleurs le film est parsemé de références claires à tout un pan de cinéma avec des chefs d'oeuvres historiques qui s'affichent partout (Godard, Melville ou Clément entre autre) comme pour rappeler qu'il ne reste plus que le rêve pour sortir d'un capitalisme qui vampirise toute l'humanité. Car si on aime la forme et qu'on savoure les couleurs chaudes et la photographie du film le fond du récit reste terriblement triste et austère, dans un écrin de mélancolie dépressive qui ne donne pas envie de rêver, justement. Aki Kaurismaki signe une tragi-comédie qui n'a rien de drôle, qui se résume au message un peu facile, que rien ne compte plus que de trouver l'amour. C'est mince quand on attend aussi un pamphlet social et politique.
Note :
13/20