Joyland (2022) de Saim Sadiq

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Premier long métrage de Saim Sadiq, et une des rares productions pakistanaises (malgré le Lollywood, surnom de Lahore à cause de sa forte production cinéma qui reste malgré tout très régionale) à traverser les frontières jusqu'à nous. Le cinéaste qui a déjà signé quelques courts métrages dont "Stepmotherland" (2014), "Blackbird" (2016) ou "Chérie" (2019) s'est inspiré de sa propre expérience comme il l'explique : "Je vis avec l'histoire de Joyland depuis très longtemps. Aujourd'hui quand je repense au passé, je me rends compte que mon esprit de jeune adulte a accueilli avec beaucoup d'émotion ce récit, totalement fictif mais autobiographique, comme un cadeau. Jayland s'attache à "déromantiser" un récit initiatique et se présente comme un hommage à toutes les femmes, à tous les hommes, et à tous les transgenres qui paient de leur vie le poids du patriarcat. Le film célèbre aussi le désir qui tisse des liens inattendus et l'amour qui les immortalise. En fin de compte, c'est surtout un message d'amour adressé à ma patrie." Le cinéaste précise que malgré ce qu'on pourrait penser les transsexuels sont très visibles au Pakistan : "Il est impossible de se balader dans la rue sans en croiser une. Elles seront très probablement en train de mendier, mais elles sont là, elles ne se cachent pas. La coexistence, bien qu'elle soit superficielle, existe bel et bien. Elles ont toujours été là. Avant la colonisation britannique, elles avaient un meilleur statut social. Elles étaient associées à la poésie, aux princesses, aux bonnes manières. La colonisation, parmi bien d'autres choses, a complètement détruit cette particularité culturelle." Saim Sadiq co-écrit son scénario avec Maggie Briggs, scénariste américaine ayant essentiellement écrit pour des courts dont "Strawberries" (2017) de Donggyun Han ou "Louis I Roi des Moutons" (2022) de Marcus Wulf. Notons que ce film a été le premier film pakistanais sélectionné au Festival de Cannes 2022...

Lahore, deuxième ville du Pakistan, Haider et son épouse Mumtaz vivent avec la famille de son frère dans la maison familiale avec leur père, patriarche handicapé et désormais veuf. La famille met la pression sur Haider pour qu'il devienne enfin père et qu'il trouve un travail alors que Mumtaz en a un. Un jour, Haider trouve un travail, même s'il est un peu honteux car danseur dans un cabaret pour accompagné Biba danseuse transexuelle, la famille accepte car bien payé mais Mumtaz est dans l'obligation de revenir femme au foyer. Bientôt Haider se voit partager entre sa passion pour Biba et les injonctions familiales, jusqu'à ce que Mumtaz tombe enceinte... Haider est incarné par Ali Junejo dans son premier rôle, son épouse est jouée par Rasti Farooq actrice-scénariste des courts métrages "Shehr e Tabassum" (2020) et "Swipe" (2020) tous deux de Arafat Mazhar. La trans Biba est incarné par l'artiste trans Alina Khan qui retrouve son réalisateur après le court "Chérie" (2019), la belle-soeur est jouée par Sarwat Gilani surtout vue dans des séries TV comme "Unbounded Love Aka Ishq Ki Inteha" (2009-2010) ou "Churails" (2020), citons encore l'actrice Sania Saeed également vue essentiellement à la télévision entre autre dans les séries TV "Aahat" (1991), "Manto" (2015) ou "Baaji" (2019), l'acteur Sohail Sameer vu dans la série TV "Haya Kay Rang" (2016), puis n'oublions pas le patriarche interprété par Salmaan Peerzada, un des premiers acteurs populaires du Pakistan depuis ses premiers pas à la télévision en 1964, et alors qu'il n'avait plus tourné depuis 1984. L'acteur a été vu sur grand écran notamment dans "Les 13 Fiancées de Fu Manchu" (1966) de Don Sharp, "Sous l'Emprise du Démon" (1968) de Roy Boulting ou "Les Cavaliers" (1971) de John Frankenheimer... On plonge dans le quotidien d'une famille très modeste, obligée de vivre tous ensemble pour subvenir aux besoins de tous. Dès les premières minutes on décèle, on devine les caractères de chacun. Les femmes peuvent travailler, seulement si les hommes sont d'accord, et quoiqu'il arrive le patriarche a le dernier mot. On constate vite que les hommes sont les plus forts, mais parce qu'il y a aussi des siècles de patriarcat, car à y regarder de plus près les hommes de la maison restent composés d'un vieil handicapé, d'une caricature de virilité et d'un lâche soumis au desiderata de la maisonnée. Les femmes sont plus fortes, du moins en apparence puisqu'elles restent obéissantes.

Haider trouve un emploi, tout le monde est heureux mais la plus lésée est une fois de plus son épouse à qui pourtant il avait promis le droit de travailler. Mumtaz n'est d'ailleurs pas dupe, de retour à la maison c'est aussi l'obligation de devenir mère, elle n'est pas dure non plus quand son époux effectue des heures tardives au cabaret. De l'autre côté, il y a Biba, femme trans vedette d'un cabaret érotique. Evidemment, on est au Pakistan terre d'Islam, le spectateur occidental ne va rien voir d'érotisme dans ces spectacles qui sentent surtout bon l'amateurisme. Niveau artistique rien de bien folichon, on se moquerait presque s'il n'y avait les drames sous-jacents. Biba est une femme trans qui doit se battre bien plus qu'en Occident on s'en doute mais le film reste pourtant très soft sur ces combats, comme si il n'était pas question d'aller trop loin, comme une sorte d'indulgence envers la société pakistanaise où est-ce encore des clichés occidentaux ?! Le réalisateur- scénariste essaie en tous cas de montrer une société en pleine évolution, avec des trans vedettes et établis d'un côté, et une société patriacale aux gays refoulés de l'autre. Un paradoxe culturel assurément mais intéressant, qui ne cache pourtant pas la position des femmes, toujours soumises au diktat des hommes. Le film reste sans passion pourtant, aucune étincelle sincère entre Haider/Junejo et Biba/Khan dont la relation n'est jamais très probante ce qui reste très problématique vu le sujet. Par contre magnifique Rasti Farooq en épouse et bon retour du vétéran Salmaan Peerzada en patriarche frustré. Le rythme manque tout autant, pas aidé par des parties musicales tristes à mourir (autant sur le fond que sur la forme). En conclusion, un film forcément très intéressant sur un pays qu'on connaît peu, mais il manque un peu d'audace et de panache autant sur le fond que sur la forme. Note indulgente.

Note :                 

12/20