Revenu de deux années aux Etats-Unis où il est parti avec sa conjointe Agnès Varda et où il a signé le film "Model Shop" (1969), Jacques Demy revient avec un projet dont il a l'idée depuis longtemps, à savoir porter à l'écran un conte de fée comme avait peu le faire Jean Cocteau avec son chef d'oeuvre "La Belle et la Bête" (1946). Dès les années 50 il avait commencé à écrire un "La Belle au Bois Dormant" (1697) de Charles Perrault avec les acteurs Anthony Perkins et Brigitte Bardot qui auraient à l'époque donner leur accord. Mais le projet ne se fera pas, notamment à cause d'un budget envisagé trop faramineux pour un débutant. Révélé par les films "Lola" (11961) et "La Baie des Anges" (1963), c'est en 1962 qu'il cité pour la première fois le conte "Peau d'Âne" (1694) de Charles Perrault également. Les succès successifs de ses comédies musicales "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) et surtout "Les Demoiselles du Rochefort" (1967) change la donne et cette fois Jacques Demy lance son projet. Le cinéaste retrouve aussi son actrice qu'il a révélée dans ses succès musicaux et qui est désormais une actrice connue, facilitant aussi au financement. Le film est un succès à sa sortie, certains saluant l'"audace de ses thèmes et son parti pris visuel" ainsi que la musique de Michel Legrand qui retrouve aussi son réalisateur après les deux comédies musicales. Le film est devenu culte... Le Roi Bleu se prépare au pire, sa Reine se meurt et avant de succomber elle lui fait promettre de n'épouser en seconde noce qu'une femme plus belle qu'elle. Leur fille est malheureusement délaissée par le Roi inconsolable. Le temps passe, les conseillers poussent le Roi à choisir une épouse pour avoir un héritier mais refuse toutes les propositions jusqu'à ce qu'on lui émette la solution d'épouser sa propre fille. Convaincu, le Roi ordonne les funérailles mais la princesse fait tout pour éviter cet événement jusqu'à devoir fuir revêtue d'une peau d'âne et avec l'aide de sa marraine. Bientôt, Peau d'Âne croise la route d'un Prince Rouge...
Le Roi Bleu est incarné par Jean Marais, muse d'un certain Jean Cocteau pour qui il a joué dans "L'Eternel Retour" (1943) de Jean Delannoy écrit par Cocteau, puis dans ses films "La Belle et la Bête" (1946), "L'Aigle à Deux Têtes" (1948), "Orphée" (1950) et "Le Testament d'Orphée" (1960). Son épouse et sa fille sont incarnée par Catherine Deneuve qui a débuté très jeune dans "Les Collégiennes" (1956) de André Hunebelle avant de devenir une star avec les films de Demy mais aussi et surtout en montrant une autre facette dans "Répulsion" (1965) de Roman Polanski et "Belle de Jour" (1967) de Luis Bunuel. Sa marraine est interprétée par Delphine Seyrig vue entre autre dans "L'Année Dernière à Marienbad" (1961) de Alain Resnais, "Baisers Volés" (1968) de François Truffaut ou "La Voie Lactée" (1969) de Luis Bunuel. Dans le Royaume rouge le roi est joué par Fernand Ledoux ayant débuté dans "L'Atlantide" (1920) de Jacques Feyder et dont le rôle phare reste "Goupi Mains Rouges" (1943) de Jacques Becker, sa Reine est Micheline Presle vue dans "Jeunes Filles en Détresse" (1939) de G.W. Pabst, "Boule de Suif" (1945) de Christian-Jaque ou "La Religieuse" (1966) de Jacques Rivette, tandis que leur fils, Prince Rouge joué par Francis Perrin vu dans "La Fille à la Valise" (1960) de Valerio Zurlini, "La 317ème Section" (1965) de Pierre Schoendoerffer et retrouve son réalisateur et sa partenaire après "Les Demoiselles de Rochefort" (1967). Pour les autres personnages citons ensuite Pierre Repp vu dans "Les 400 Coups" (1959) de François Truffaut ou "Cartouche" (1962) de Philippe De Broca, Sacha Pitoëff vu dans "Anastasia" (1957) et "La Nuit des Généraux" (1967) tous deux de Anatole Litvak, Patrick Préjean remarqué cette même année dans "Le Mur de l'Atlantique" (1970) de Marcel Camus et "Les Mariés de l'an II" (1970) de Jean-Paul Rappeneau, Rufus vu juste avant dans les films "Un Condé" (1969) et "Cran d'Arrêt" (1970) tous deux de Yves Boisset, Romain Bouteille vu entre autre dans "Le Feu Follet" (1963) de Louis Malle ou "Le Distrait" (1970) de et avec Pierre Richard, mais surtout connu pour avoir fondé le Café de la Gare avec des amis dont son ami et partenaire Coluche alors débutant avec aussi à la même période une apparition dans "Le Pistonné" (1970) de Claude Berri, Henri Crémieux qui était également dans les "Orphée" (1950-1960) de Cocteau ainsi que dans "Les Demoiselles de Rochefort" (1967), et retrouve aussi après "Le Plaisir" (1952) de Max Öphuls son partenaire Jean Servais qui prête ici sa voix au narrateur, une voix chaude qu'il a déjà prêter plusieurs fois comme dans "La Terre Tremble" (1948) de Luchino Visconti ou "Gauguin" (1950) de Alain Resnais, puis n'oublions pas le petit rôle joué par Rosalie Varda, fille de Agnès Varda adoptée par Demy... Attention, pour commencer précisons que les acteurs ne chantent pas eux-mêmes leurs chansons, plusieurs assumées par Jacques Demy et Michel Legrand aux mêmes, pour le Prince c'est Jacques Revaux qui chante, surtout connu pour être le compositeur de "Comme d'Habitude" (1967) de Claude François, tandis que Peau d'Âne est doublée par Anne Germain qui avait déjà doublé Catherine Deneuve dans "Les Demoiselles du Rochefort" (1967), et qui sera particulièrement connue de toute une génération pour les films "Mary Poppins" (1964) de Robert Stevenson ou la série TV "L'Île aux Enfants" (1974)... C'est malheureusement un choix malheureux ou peu judicieux, le plus gros bémol du film avec des doublages grossiers, des voix chantées qui ne collent pas forcément à la voix "parlée" du personnage (Deneuve !), les raccords voix/bouches complètement décalés qui gênent aux entournures, pire que certains films étrangers en VF.
Evidemment, la première chose qui nous marque la rétine sont les décors et les costumes, absolument magnifiques et qui assument le choix d'en faire un conte de fée et qui se rapproche volontairement d'un monde aussi fantastique qu'irréel particulièrement appuyé par l'utilisation des couleurs, avec le royaume Bleu qui rappelle le conte "Barbe-Bleue" mais aussi le sang bleu soit celui de la royauté, le royaume Rouge qui symbolise plutôt la Révolution ou plutôt le changement et qui va pousser la Princesse à échapper à la volonté de son père le Roi Bleu, puis l'acte final ou le Blanc prend le pas comme symbole du mariage, de la pureté et de l'harmonie, sans compter l'exception du violet, mélange donc du rouge et du bleu. On note aussi la forte influence de Cocteau, le choix de Jean Marais, muse du poète, pour le rôle du Roi n'est pas anodin, comme plusieurs clins d'oeil à ses films comme les statues animées, les portes qui s'ouvrent, certaines répliques forcément poétiques ("Les Faits -fées - ont toujours raison", ou "La poésie vous égare, mon père") qui , la paroi invisible qui renvoie au miroir... etc... Par contre, il y a de nombreux anachronismes qui peuvent prêter à sourire mais qui sont aussi souvent too much ou tellement hors sujets comme l'hélicoptère, ou un esthétisme "pop" ou "hippie" à l'époque qui reste contemporaine mais qui ajoute à déjà beaucoup d'influences. Le plus intéressant est pourtant le sujet de fond, derrière la fantaisie et le fabuleux il y a le thème tabou de l'inceste (pas tant que ça si on se souvient de la pétition écrite par un certain Gabriel Matzeff signée par une multitude de personnalités en 1977...), à l'instar par exemple et en plus tabou, de "les Parapluies de Cherbourg" (1964) qui évoquait la guerre d'Algérie. On pourrait pourtant s'interroger sur le choix d'un conte de fée et sa légèreté pour aborder un tel sujet, qui s'avère donc en vérité un débat bien futile voir en tant qu'initiative au débat bien inefficace. Mais le pire reste les chansons (parfois les paroles et/ou la musique, toujours les incohérences avec les voix et le côté crécelles). Un classique assurément, un film culte et historiquement majeur mais sans doute un brin surestimé, plus intéressant d'un point de vue contextuel que sous l'angle du pur divertissement.
Note :