76e Festival de Cannes
Quinzaine des Cinéastes – Prix SACD
Sortie le 18 octobre 2023
Au sein du Centre de Formation et d’Apprentissage en horticulture qu’intègre Pierre-Joseph (Antoine Pirotte), un professeur – frère de la directrice Françoise Brown (Manon Schaap) – s’émerveille de découvrir une plante qui croit à l’ombre des autres. Dans cette végétation normande d’apparence ordinaire, il décèle une beauté rare que seul son œil aiguisé peut reconnaître à travers les feuilles. Dans l’envoûtant Un Prince, Pierre Creton traite ses personnages avec la même rigueur passionnée que ce jardinier-collectionneur. Par l’observation du vivant, il accueille dans son herbier social des personnages au charme discret qu’il place dans des plans fixes bâtis comme des serres. Multipliant les combinaisons et les situations, il étudie les bourgeons d’interactions qui lieront des personnages voués à entrecroiser leur destinée. L’intrigue de l’œuvre est une double histoire d’acclimatation : d’une part, Pierre-Joseph dont le parcours semé d’embûches voit dans l’horticulture une dernière voie possible ; d’autre part, Kutta (Chiman Dangi) – enfant adoptif de Françoise, qu’elle présente comme une « plante exotique » – qui est transplanté en Normandie.
Omniprésent dans les discussions et pourtant invisible dans la première partie d’Un Prince, Kutta part une fois majeur à la recherche de ses racines en Inde où il découvre qu’il est un prince. Ce n’est qu’une quarantaine d’années après qu’il surgit à l’image, alors qu’il est devenu maître de sa propre identité. Il réapparaît dans la vie de Pierre-Joseph (maintenant interprété par Pierre Creton) au détour d’une annonce pour trouver un jardinier qui pourra assouvir son fantasme BDSM. Chez Pierre Creton, la sexualité est éminemment constitutive de l’identité. Les personnages parcourent les multiples sentiers de leurs désirs formant une cartographie sexuelle libre de toute morale. La campagne normande devient le berceau d’une homosexualité bucolique qui déshabille autant les corps que les conventions. Par un aveuglement libertaire, la famille d’Adrien (Pierre Barray) consent à son absence tandis qu’il vit son idylle sexuelle avec Pierre-Joseph et Alberto (Vincent Barré). Alors que l’univers viriliste de la chasse permet l’existence de ce monde d’hommes, Un Prince le métamorphose pour qu’il devienne la représentation rare d’une homosexualité rurale. À travers les désirs de Pierre-Joseph pour les hommes plus âgés, le cinéaste participe aussi à la monstration politique de corps sortant des habituelles représentations des homosexuels.
Avec Un Prince, Pierre Creton propose une approche singulièrement sensorielle. Le cinéaste juxtapose deux lectures des actions de ses personnages en créant une dichotomie entre l’image (le réel) et le son (l’interprétation du réel). En effet, les personnages livrent en voix-off – et à travers la voix d’autres acteur·trices, comme Grégory Gadebois pour Pierre-Joseph ou Mathieu Amalric pour Alberto – leurs états d’âme sur les actions qui se déroulent sous les yeux du spectateur·trice. Ce·tte dernièr·e pénètre dans une réalité démultipliée confrontant les psychés des différents protagonistes. Le réel semble se soustraire à lui-même et devenir la porte d’accès à une vérité enfouie. À l’instar de Kutta qui se nourrit des images et des sons rapportés par Pierre-Joseph et Alberto lors de leur périple horticole sur l’Himalaya, le·a spectateur·trice est confronté·e à une perception transcendantale d’un présent dont les interstices sont poreux au fantastique. Dans Un Prince, les personnages ne vieillissent pas – à l’exception de Pierre-Joseph qui change soudainement d’apparence un matin. La vie et la mort se chevauchent dans une même célébration pareillement à cette cabane de chasse transformée en chapelle dédiée aux animaux tués par ces mêmes chasseurs. Alors que les corps s’évanouissent, Pierre Creton aura magnifié la vie de ses hommes éphémères dont la quête de jouissance aura illuminé les paysages normands.
Contrechamp
☆☆☆☆ – Excellent