Impitoyable (1992) de Clint Eastwood

Ce scénario est connu depuis 1976, développé au départ sous les titres de "The Cut-Whore Killings" et "The William Munny Killings" c'est un certain Francis Ford Coppola qui a d'abord acquis les droits mais pris par "Apocalypse Now" (1979) il ne réussira pas ensuite à réunir les fonds nécessaires. Début des années 80, Clint Eastwwod reprend les droits mais il se trouve trop jeune pour le rôle et ne se sent pas près : "Je pensais que je devrais d'abord faire d'autres choses." C'est après plusieurs échecs dont ses films "Chasseur Blanc, Coeur Noir" (1990) et "La Relève" (1990) que le producteur-réalisateur-acteur-compositeur qui a alors la soixantaine ressort le projet des cartons : "Ca m'a paru le sujet idéal pour réaliser ce que j'appelerai le "dernier des westerns". C'est un film qui résume au fond ce que le genre représente pour moi." Pourtant la Warner le lâche pointant du doigt les scores décevants de ses derniers films, c'est donc avec un accord chez Columbia que le cinéaste lance la production de ce scénario signé David Webb Peoples qui a depuis les années 70 signé les scénarios, excusez du peu, des films "Blade Runner" (1982) de Ridley Scott et "Ladyhawke, Femme de la Nuit" (1985) de Richard Donner et qui écrira juste après "L'Armée des 12 Singes" (1995) de Terry Gilliam. Avec ce film Clint Eastwood retourne au genre qui l'a consacré, avec ce qui va être son 4ème western et à ce jour le dernier en tant que réalisateur après "L'Homme des Hautes Plaines" (1973), "Josey Wales Hors-La-Loi" (1976) et "Pale Rider" (1985). Le film reçoit un accueil chaleureux, autant critique que public à l'exception notable de la France, engrangeant 160 millions de dollars au box-office Monde, avec seulement 800000 entrées France, pour un budget de 14,4 millions de dollars. Mais surtout le film reçoit 4 Oscars sur 9 nominations, meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur second rôle masculin et meilleur montagece qui en fait seulement le 3ème western à recevoir la statuette ultime après "Cimarron" (1931) de Wesley Ruggles et "Danse avec les Loups" (1990) de et avec Kevin Costner. Mieux encore, la postérité fera que le film est cité dans les classements de l'AFI (American Film Institute) parmi les meilleurs films de l'Histoire (top 100) comme du genre western (4ème sur 100), classé 30ème meilleur scénario de l'Histoire en 2013. Le film est dédié à Sergio Leone et Don Siegel, ces deux mentors ce qui confirme que le cinéaste Eastwood semble dire adieu au western... 1880, après une agression qui a défiguré une des leurs, des prostituées décident en secret de lancer un contrat pour faire tuer les deux cowboys coupables selon elles. Un jour, un jeune pistolero qui rêve de gloire arrive alors chez William Munny ancien hors-la-loi à la réputation redoutable qui est devenu un éleveur converti à la religion et à une vie paisible grâce à sa défunte épouse. Le jeune tueur en devenir lui propose de s'associer avec lui pour assumer le contrat. Sa ferme étant dans un état lamentable, Will Munny finit par accepter ce boulot qu'il l'a pourtant plus fait depuis une dizaine d'années mais il impose la condition d'engager un vieux complices, Ned Logan. Mais très vite, le contrat des prostituées devient vite connu de tous ce qui ne plaît pas au maître de la ville qui va tout faire pour sauver les deux cowboys... 

Impitoyable (1992) de Clint Eastwood

Le jeune tueur qui se fait appeler le Kid de Schofield est interprété par l'inconnu Jaimz Woolvett vu plus tard dans des films comme "Une Blonde en Cavale" (2000) de Stephen Metcalfe ou "Fragments" (2008) de Rowan Woods, mais n'ayant jamais connu le succès il mettra un terme à sa carrière dès 2009. William Munny est incarné par Clint Eastwood lui-même, son ami Ned est joué par Morgan Freeman qui est alors depuis peu connu grâce aux films "Miss Daisy et son Chauffeur" (1989) de Bruce Beresford, "Glory" (1989) de Edward Zwick et "Robin des Bois, Prince des Voleurs" (1991) de Kevin Reynolds, qui retrouvera Eastwood pour "Million Dollar Baby" (2004) et "Invictus" (2009), et qui retrouvera aussi dans "Suspicion" (2000) de Stephen Hopkins son partenaire Gene Hackman qui avait refusé de jouer pour ce scénario fin des années 70, avant que des années plus tard Eastwood le convainc, ce qui lui rapportera tout de même l'Oscar du meilleur second rôle avant de retrouver son partenaire et réalisateur dans "Les Pleins Pouvoirs" (1997). Citons les deux prostituées avec qui tout commence, Frances Fisher, alors compagne de Eastwood (1990-1995) qu'elle rencontra sur le film "Pink Cadillac" (1989) de Buddy Van Horn, qui retrouvera son ex ensuite sur son film "Jugé Coupable" (1999) non sans avoir joué dans le plus grand succès de l'Histoire juste avant avec "Titanic" (1997) de James Cameron, la jeune mutilée est jouée par Anna Thompson ayant débuté dans "La Porte du Paradis" (1980) de Michael Cimino, qui retrouve Eastwood après son film "Bird" (1988), qui retrouve aussi après "Wall Street" (1987) de Oliver Stone et retrouvera après "True Romance" (1993) de Tony Scott son partenaire Saul Rubinek qui retrouve également Morgan Freeman après "Le Bûcher des Vanités" (1990) de Brian De Palma et vu dernièrement dans le western "La Ballade de Buster Scruggs" (2018) des frères Coen. Citons ensuite Richard Harris vu déjà dans des westerns avec "Major Dundee" (1965) de Sam Peckinpah, "Un Homme nommé Cheval" (1969) de Elliot Silverstein ou "Le Convoi Sauvage" (1971) de Richard C. Sarafian, Anthony James vu dans "Dans la Chaleur de la Nuit" (1967) de Norman Jewison, "Point Limite Zero" (1971) de Richard C. Sarafian et qui retrouve Eastwood après "L'Homme des Hautes Plaines" (1973), Beverley Elliott vue ensuite dans "Les Quatre Filles du Docteur March" (1994) de Gillian Armstrong ou "Tolerance Zero" (2004) de Kevin Bray, et enfin Ron White vu plus tard dans "L'Avocat du Diable" (1993) de Sidney Lumet, "Defendor" (2009) de Peter Stebbings ou "Comment tuer son Boss ?" (2011) de Seth Gordon... Outre son hommage à ses deux mentors Don Siegel et Sergio Leone, Eastwood ferme la boucle avec un clin d'oeil, celui de porter les bottes  qu'il portait jadis pour la série TV "Rawhide" (1959-1965). Et notons également une autre référence, les enfants Munny se nomment Will et Penny qui renvoient ainsi au western "Will Penny, le solitaire" (1968) de Tom Gries où un cow-boy d'âge mûr vient en aide à une jeune veuve et son fils, tombe amoureux mais comprend aussi que c'est peut-être trop tard pour lui. Ainsi en quelques détails le cinéaste impose l'idée d'un homme au passé trouble, en quête d'une rédemption à laquelle, au fond, il ne croit pas vraiment. Le film de Eastwood se détache pourtant de ce qu'il a connu avec ses mentors, il signe un western qui n'est ni classique ni spaghetti, il pote pour un thriller de l'Ouest particulièrement sombre et pessimiste, en brisant la dimension d'héroïsme et/ou de pardon. Eastwood rappelle ainsi : "Ces tueurs qui sont entré dans la légende étaient en fait des types qui vous tiraient dans le dos, pas face-à-face, au beau milieu de la rue, comme on le voyait jadis dans les westerns."

Impitoyable (1992) de Clint Eastwood

Les pistoleros de l'Ouest ne sont plus jeunes, leur réputation les dépasse même et Eastwood pointe du doigt cette dégénéréscence comme une anti-thèse à l'excellent "Mon Nom est Personne" (1973) de Tonino Valerii, disciple d'ailleurs d'un certain Sergio Leone. Alors que le jeune pousse Munny à raconter ou à plus ou moins assumer son passé de tueur de sang froid et sans coeur ce dernier n'a de cesse de répeter et même à se répéter comme une litanie qu'il "a changé, qu'il n'est plus cet homme là", ayant trouvé l'amour et grâce à son épouse la paix et la foi. Tout le long du film il le ressasse le martèle comme (évidemment) pour se convaincre lui-même, on remarque alors que son ami Ned doute pour lui. Tandis qu'on suit les trois tueurs dans leur périple, en parallèle il y a une petite lutte d'ego entre deux autres légendes, un pistolero dandy suivi d'un journaliste tout à sa gloire, et le baron de la ville, ancienne connaissance Little Bill qui lui aussi cherche une certaine paisibilité mais tout en restant sans scrupule si nécessaire. Si le film est violent, si l'histoire est violente Clint Eastwood signe pourtant avant tout un western psychologique, ce qui l'intéresse c'est l'évolution des hommes, leur motivation, ce qui les pousse à agir. Et enfin, comme ligne directrice on peut se dire que le scénario s'inspire de "L'Iliade" (- 800 av J.C. environ) de Homère, surtout dans le parallèle entre Achille et William Munny ; par exemple, les deux sont des "guerriers", qui vivent ou ont vécu de la violence mais finissent par la refuser jusqu'à ce que la mort d'un proche les pousse à la vengeance avec rage et détermination. Clint Eastwood signe ainsi une tragédie grecque transposée dans l'Ouest, le résultat est un chef d'oeuvre d'une maturité rare, crépusculaire et testamentaire.

Note :                 

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19/20