Dead man (1995) de Jim Jarmush

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après quelques films remarqués avec "Permanent Vacation" (1980), "Mystery Train" (1989) ou "Night on Earth" (1991), Jim Jarmush est devenu un cinéaste à suivre, d'ores et déjà culte ce qui lui permet de sa lancer dans un projet beaucoup plus ambitieux avec un budget de 3 à 4 fois supérieur à ses précédents films avec ses 9 millions de dollars. Le réalisateur-scénariste imagine un film en Noir et Blanc reprenant ainsi le visuel de ses films "Stranger Than Paradise" (1984) et "Down by Law" (1989), puis aborde un genre alors en désuétude le western même si le cinéaste expliquera que "le western n'est que le point de départ", privilégiant le terme de Road Movie. Malheureusement, le film va être un énorme échec public, récoltant à peine plus du million de dollars au box-office nord-américain, environ 1,1 millions d'entrées en Europe dont plus de 276 000 entrées France, pays où il est néanmoins le mieux reçu... William Blake prend le train pour l'Ouest où il a trouvé un emploi de comptable mais quand il arrive il apprend qu'il arrive trop tard et que son emploi a été pourvu par un autre. Esseulé il rencontre Thel une prostituée avec qui il passe la nuit qui se termine tragiquement. Gravement blessé et en fuite William Blake est sauvé par un indien qui se fait appeler Nobody. Ce dernier est étonnamment passionné par un poète nommé William Blake, l'indien y voit un signe. Le duo improbable s'engage dans un périple à travers l'Ouest sauvage... 

William Blake est incarné par Johnny Depp nouvelle coqueluche de Hollywood après des films notamment grâce à "Edward aux Mains d'Argent" (1990) et "Ed Wood" (1994) tous deux de Tim Burton. Son acolyte autochtone est joué par Gary Farmer qui a débuté dans "Police Academy" (1984) de Hugh Wilson qui retrouvera Jim Jarmush en reprenant son rôle culte de Nobody dans le chef d'oeuvre "Ghost Dog, la Voie du Samouraï" (1997), tandis que son épouse est jouée par Michelle Thrush vue plus tard dans "Pathfinder" (2007) de Marcus Nispel et qui retrouvera son partenaire dans "Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines)" (2013) de Arnaud Desplechin.  Les autres personnages sont pour la plupart des seconds rôles joués par des stars confirmées, certains à venir. En premier lieu le patron et commanditaire qui est incarné par le monstre sacré Robert Mitchum dont on peut citer "Rivière sans Retour" (1954) de Otto Preminger, "La Nuit du Chasseur" (1955) de Charles Laughton ou "La Fille de Ryan" (1970) de David Lean, et dont ce sera le dernier rôle au cinéma. Son fils par qui tout arrive est joué par Gabriel Byrne qui connaît un succès énorme la même année avec le cultissime "Usual Suspects" (1995) de Bryan Singer. Citons le trio de tueurs, interprétés par Lance Henriksen vu entre autre dans "L'Etoffe des Héros" (1983) de Philip Kaufman, "Terminator" (1984) de James Cameron ou "Mort ou Vif" (1995) de Sam Raimi, Eugene Byrd qui débute alors avant de confirmer avec "Sleepers" (1996) de Barry Levinson ou "8 Miles" (2002) de Curtis Hanson, puis Michael Wincott gueule remarquée la même année dans "Strange Days" (1995) de Kathryn Bigelow et qui retrouve après "The Doors" (1990) de Oliver Stone son partenaire Crispin Glover révélé surtout dans la franchise "Retour vers le Futur" (1985-1989) de Robert Zemeckis et qui retrouve Johnny Depp après "Gilbert Grape" (1993) de Lasse Hallström. Citons encore John Hurt vu notamment dans "Midnight Express" (1978) de Alan Parker ou "Elephant Man" (1980) de David Lynch et qui retrouvera Jim Jarmush dans "The Limits of Control" (2009) et "Only Lovers Left Alive" (2013), Mili Avital révélée juste avant dans "Stargate" (1994) de Roland Emmerich vue ensuite surtout dans "The End of Violence" (1997) de Wim Wenders, Billy Bob Thornton qui retrouve Mitchum qui était le narrateur du western "Tombstone" (1993) de George Pan Cosmatos avant de devenir un acteur de premier plan avec entre autre "U-Turn" (1997) de Oliver Stone ou "Un Plan Simple" (1998) de Sam Raimi, Jared Harris remarqué depuis peu dans "Horizons Lointains" (1992) de Ron Howard et "Le Dernier des Mohicans" (1992) de Michael Mann, n'oublions pas Iggy Pop star du rock qui retrouve Johnny Depp après "Cry Baby" (1990) de John Waters et "Arizona Dream" (1992) de Emir Kusturica, et qui retrouvera plus tard Jim Jarmush dans "Coffee and Cigarettes" (2003) et "The Dead Don't Die" (2019) à l'instar de Steve Buscemi qui était déjà dans "Mystery Train" (1989), et qui retrouve aussi Gabriel Byrne après "Miller's Crossing" (1990) des frères Coen, et n'oublions pas Alfred Molina vu dans "Les Aventuriers de l'Arche Perdue" (1981) de Steven Spielberg ou "Jamais sans ma Fille" (1991) de Brian Gilbert avant de retrouver plusieurs camarades dans "Coffee and Cigarettes" (2003)... Notons que la musique est signée du rocker Neil Young qui sort l'album dans la foulée du film. Le film s'ouvre sur un encart avec "Il est toujours préférable de ne pas voyager avec un mort." qui est un vers du poète français Henri Michaux. L'histoire débute avec le visage de William Blake/Depp en bon col blanc de l'est, un pied tendre mal à l'aise dans un wagon plein de colons et de trappeurs, homme de l'ouest qui montre bien la différence entre deux mondes et qui impose l'idée que Blake n'est pas à sa place et que forcément rien ne va se passer comme prévu, une sorte d'anti-thèse de "Little Big Man" (1970) de Arthur Penn.

Jim Jarmush inclue pourtant d'autres références au western avec par exemple le duo avec un indien original qui renvoie à "Josey Wales Hors-La-Loi" (1976) de ert avec Clint Eastwood, ou le nom des deux shériffs nigauds clin d'oeil à l'acteur Lee Marvin. Le choix du Noir et Blanc est dans la continuité de la filmo du réalisateur qui reste un choix purement esthétique à la différence près que cette fois le genre et le sujet du film crée un lien artistique avec le travail de Ansel Adams, photographe qui a inspiré directement le Directeur Photo Robby Müller, ce dernier fidèle de Wim Wenders retrouve et retrouvera d'ailleurs Jarmush sur "Down by Law" (1986), "Mystery Train" (1989), le court métrage de 89 qui sera intégré dans "Coffee and Cigarettes" (2003) et "Ghost Dog" (1999). Les choix esthétiques et visuels participent à l'atmosphère lancinante, mélancolique et vaporeuse qui façonnne ce road movie en poésie funeste d'où le choix du nom, référence nette et avouée au poète William Blake (Tout savoir ICI !). Ainsi plusieurs répliques sont directement tirées du poète britannique comme "Jamais l'aigle ne perdit plus de temps qu'en apprenant du corbeau" issue du poème "The Marriage of Heaven and Hell" (1790-1793). Johnny Depp, de pied tendre se métamorphose petit à petit en tueur à l'insu de son plein gré tandis qu'il se meurt à petit feu. Le personnage de William Blake est pourtant un homme à la base terre à terre, un paperassier engoncé dans un costume impeccable qui va soudain devenir la réincarnation du poète homonyme par la volonté de Nobody un amérindien mystique amoureux de la poésie du poète. Ce qu'on aime c'est ce mélange des genres, par le western, par la poésie (outre Blake et Michaud on pense aux "Fleurs du Mal" de Baudelaire chantre de la poésie funèbre), et par une B.O. rock hallucinante signée de Neil Young qui se marie à merveille au Noir et Blanc hallucinatoire. Au final  voilà l'un des westerns les plus originaux du cinéma. Une sorte de trip lancinant et hors du temps dans un ouest américain fantasmé. Un grand film.


Note :   

18/20