Little Girl Blue (2023) de Mona Achache

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Quatrième long métrage de la franco-marocaine Mona Achache après "Le Hérisson" (2009), "Les Gazelles" (2014) et "Coeurs Vaillants" (2022). Ce nouveau projet a une saveur particulière, car si la cinéaste a tourné son dernier long et son court "Suzanne" (2005) dédiés à sa grand-mère paternelle, cette fois elle se penche sur le passé plus douloureux de sa mère Carole Achache qui s'est suicidée en 2016. Il a fallu un long travail de deuil pour que la cinéaste ose ouvrir les 25 caisses stockées par sa mère dans sa cave, et dans lesquelles Mona Achache a découvert des milliers de lettres, photos, carnets et agendas annotés, soit des archives familiales colossales qui a aussi montrer à sa fille d'autres facettes inconnues de sa mère : "... Je suis tombée sur une pochette -avait-elle été rangée là intentionnellement ? Mamère aurait tout à fait pu organiser cette mise en scène ! - et j'y ai découvert les photos d'une jeune femme sublime, libre, indécente, que je ne connaissais pas, mais qui m'a immédiatement fascinée, parce qu'à l'opposé de la femme torturée, douloureuse que j'ai connue, et des récits imprécis qu'elle m'avait livrés sur sa jeunesse "délinquante". J'ai eu envie de comprendre ce qui avait pu conduire ma mère vers le processus de détérioration dans lequel elle a ensuite plongé. Très vite, j'ai découvert une vie et un personnage incroyable..."  Une telle documentation a permis une inspiration nouvelle qui a poussé Mona Achache vers un film hybride entre documentaire et drame, entre fiction et images d'archives. Précisons que le titre du film est une référence à la chanson éponyme (1935) qui sera reprise par de nombreux artistes dont celle de Janis Joplin qu'on entend dans le film... 

Après la mort de sa mère, Mona Achache découvre des cartons remplis de souvenirs et de documents rassemblés par sa défunte mère. Elle va alors enquêter et tenter de comprendre sa mère, elle-même fille de l'écrivaine Monique Lange, en passant par la découverte de traumatisme comme les abus subis par les hommes dont un certain Jean Genet. Pour aider dans son cheminement, la cinéaste fait appel à l'actrice Marion Cotillard pour prendre la place de sa mère en raison de sa ressemblance avec elle mais aussi parce qu'elle voulait une actrice connue pour servir de "contrepoids" à la mort et aux côtés tragiques... Mona Achache apparaît dans son propre rôle dans le film, ainsi que son père Jean Achache. Sa mère Carole Achache est donc incarnée par Marion Cotillard vu dernièrement dans "Annette" (2021) de Leos Carax, "Frère et Soeur" (2022) de Arnaud Desplechin et "Astérix et Obélix : l'Empire du Milieu" (2023) de et avec Guillaume Canet. Plusieurs personnages historiques ou du moins connus apparaissent, joués par Marie Brunel vue récemment dans "Sexygénaires" (2023) de Robin Sykes et "Les Petites Victoires" (2023) de Mélanie Auffret, Pierre Aussedat qu'on n'avait pas vu depuis "J'Accuse" (2019) de Roman Polanski, à l'instar de Jacques Boudet depuis "La Lutte des Classes" (2019) de Michel Leclerc et "Docteur ?" (2019) de Tristan Séguéla, Didier Flamand vu récemment dans "Un Tour chez ma Fille" (2021) de Eric Lavaine et "Les Volets Verts" (2022) de Jean Becker, puis juste pour prêter leur voix Brigitte Sy (mère de Louis Garrel et Esther Garrel qu'elle a eu avec Philippe Garrel) actrice et aussi réalisatrice des films "Les Mains Libres" (2010) et "L'Astragale" (2015), puis Alex Brendemühl qui retrouve Marion Cotillard après "Mal de Pierres" (2016) de Nicole Garcia et vu plus récemment dans "Madre" (2020) de Rodrigo Sorogoyen et "Les Sorcières d'Akelarre" (2020) de Pablo Aguero... Le film débute de façon très directe et physique avec une femme qui plonge littéralement dans des archives de toutes sortes, innombrables, assez impressionnant visuellement pour qu'on comprenne que cette femme (fille) n'a sans doute pas vraiment connu sa mère, qui comprend qu'elle ne sait pas qui elle état vraiment. Mona Achache se lance dans ce film comme une caharsis et va se servir d'une actrice formidable pour tenter une mise en abîme, une quête dont le sujet est sa maman Carole Achache.

Le style empreinte largement au documentaire, ce qu'est d'ailleurs ce film finalement même si il y a un scénario et une actrice. Un scénario qui est nourrit des archives, les photos habillent et créent le parallèle avec l'actrice, et la voix des enregistrements qui poussent ainsi l'immersion jusqu'au point ultime où l'actrice, Marion Cotillard, incarne Carole Achache avec une facilité déconcertante d'autant plus que la ressemblance physique est indéniable. Ainsi Mona Achache se permet de faire revivre, rejouer, des scènes avec sa mère/Cotillard tatonnant forcément dans les méandres nombreuses des archives. Résultat est assez fascinant au premier abord, le style est un mélange des genres singulier, une oeuvre indéfinissable, sur une extrospection qui va s'avérer pourtant un peu vaine. On comprend vite que Carole Achache a eu une vie intime complexe, drogue et surtout sexe, relationnel compliqué, mais on constate aussi que Mona Achache est une cinéaste qui semble presque oublier que le sujet est sa mère car le lien filial n'est pas franchement abordé, le récit se focalise sur Carole et les autres. C'est dommage car l'émotion aurait dû venir de ce lien mère-fille qu'on ne voit jamais vraiment. Le rythme devient redondant, entre les enregistrements vocaux sur tout et sur rien et la performance inouïe de Marion Cotillard. Outre le lien mère-fille un peu occultée, il y a la question du suicide dont on ne saura rien de probant. Bref, Si on comprend que ce film a été nécessaire pour sa fille, le film reste au cinéma une expérience formelle intéressante pour le spectateur mais ça manque beaucoup trop d'émotion et finalement le tout reste une histoire sans enjeu. Mona Achache s'est sans doute trop mise de côté, et paradoxalement a trop oublié que le film est aussi pour le public. Dommage.

Note :                 

10/20