Katell Quillévéré ouvre son film par des images d’archive dans un crescendo de l’horreur. Des scènes de joie de la libération, les séquences d’époque vont dériver petit à petit vers le sort réservé aux « Poules à boche », ces femmes ayant eu des aventures avec des soldats allemands. Et les images vont se révéler de plus en plus insupportables. La réalisatrice, inspirée par l’histoire de sa propre grand-mère, va nous entrainer sur 25 ans dans la vie d’une jeune fille tondue, expulsée par les siens et qui va devoir se reconstruire avec un enfant qui est le fruit de son ostracisassion. Elle va rencontrer un autre écorché ; au-delà de sa polio handicapante, il porte lui aussi un autre secret. Ces deux êtres, comme beaucoup d’autres, dans l’après-guerre vont essayer de se construire une vie meilleure dans une France en plein mouvement où tout est possible. Ils s’aiment, assurément, mais se construire un amour serein va se révéler difficile au vu du poids de leur passé et de la morale. C’est une fresque avec de belles ellipses sur 25 ans comme le cinéma français en propose peu ; le tout est resserré, on est loin de Scorcese, c’est dynamique et bien monté. Le titre donne aussi bien le ton du film puisqu’il est une référence bien appuyée à Douglas Sirk (« Le temps d’aimer et le temps de mourir ») ; ce sera un mélodrame, mais de qualité ; le pathos ne prenant jamais le pas sur le récit. Le thème de ce mélodrame est aussi proche des thématiques préférées de sa réalisatrice dont elle a même fait le titre d’un de ses films (« Réparer les vivants ») ; comment se reconstruit-on après un traumatisme majeur ? Et bien la réponse est dans le film puisqu’il s’agit d’un grand film sur l’acceptation de l’autre et sur la quête identitaire. Son récit est d’autant plus intense qu’il est porté par deux comédiens incarnant ses deux personnages sans faille : Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste. Et en terme de mise en scène, ce film compte quelques scènes déchirantes dont celle du dérapage au cours d’une scène érotique à trois. Une scène d’une puissance inouïe conviant le désir, la honte, l’erreur d’interprétation des sentiments ; d’une intelligence de mise en scène, une séquence traitant d’une situation que le cinéma ne m’avait jamais proposé jusqu’à ce jour. Elle restera gravée longtemps dans ma mémoire. Cependant, dans la première moitié du film, à mon sens, on a du mal à percevoir le thème du film et les enjeux narratifs ; la relation de la mère à son fils ne fait pas toujours lien avec le cœur du récit.
Une fresque romanesque de qualité comme le cinéma français en propose trop peu.
Sorti en 2023
Ma note: 14/20