Georges Lautner, c'est un des maitres des trente glorieuses du cinéma populaire français. Durant trois décennies, des années 60 jusqu'au début des années 90, l'homme a imposé sa griffe en alignant bon nombre de succès. La comédie et le polar ont été ses domaines de prédilection, et Lautner savait souvent mélanger les deux comme personne. Ses Tontons flingueurs sont passés à la postérité, il a dirigé les plus grands, de Ventura à Belmondo en passant par Blier, Delon, Gabin... On aurait tendance à ranger Lautner dans la catégorie de bon faiseur d'un cinéma de bonhommes. On aurait tort. La plus belle preuve s'appelle Mireille Darc. Avec elle, il a fait 13 longs métrages. 13 aventures cinématographiques qui témoignent tout autant du talent d'auteur de Lautner que de la riche personnalité de la comédienne. A l'occasion de la sortie en blu-ray des Seins de glace, nous vous proposons de revenir sur cette collaboration hors-normes.
DES PISSENLITS PAR LA RACINE (1963)
Les tontons flingueurs est sur la table de montage quand Georges rencontre Mireille. Le cinéaste veut toujours avoir un projet d'avance, il a besoin de travailler et a peur de l'échec de ses Tontons qu'il a concocté avec Michel Audiard pour la Gaumont. Lautner prépare donc un plus petit film, Des pissenlits par la racine. Au milieu de ce monde d'hommes ( Serrault, de Funès, Blanche, Biraud...), il y a un personnage féminin. Lautner a repéré Mireille Darc notamment dans Pouic-Pouic de Jean Girault où elle donnait la réplique à Louis de Funès. Quand Lautner rencontre Darc, il sait qu'il a envie de la filmer. Le producteur du film écartera la comédienne suite à un premier essai pas très concluant, mais Lautner insiste et le second essai s'avérera satisfaisant. En faisant Des pissenlits par la racine, Mireille Darc crée un personnage de belle blonde un peu nunuche mais pas si nunuche et autour duquel les hommes sont en essaim. Un type de personnage qui va lui coller à la peau pendant un moment. Elle est rayonnante et ne se laisse pas écraser par ses partenaires, ce qui épate Lautner. Peu satisfait par les dialogues du script, le réalisateur demande à son ami Audiard d'amener sa patte. Ce dernier le fait en souhaitant ne pas figurer au générique. Voyant le résultat plus que satisfaisant du film, Audiard demande à ce que son nom apparaisse. Le trio Lautner-Audiard-Darc se forment, ce n'est qu'un début.
LES BARBOUZES (1964)
Succès des Tontons flingueurs oblige, la Gaumont veut réunir les mêmes pour un nouveau projet. Ce sera Les barbouzes, scénario sur lequel Lautner et Audiard décident d'aller encore plus loin dans l'humour décalé. Trop sans doute, l'histoire de ces espions de nationalités différentes qui s'affrontent n'a pas tellement d'importance, et inutile de chercher un véritable sens à ce qui se passe. Ici c'est la déconnade qui prime et chacun s'en donne à cœur joie. Ventura, Blanche, Blier se retrouvent. Initialement, la Gaumont voulait Liselotte Pulver pour le personnage féminin mais Lautner veut retrouver sa Mireille. Le personnage qu'elle incarne joue à nouveau de ses charmes, avec des airs faussement naïfs. Son détachement accentue la drôlerie de certaines situations et fait merveille. Audiard est sous le charme, à tel point qu'il rajoute des scènes plus tendres entre Mireille Darc et Lino Ventura. Adoubée par Audiard, Mireille peut désormais affirmer faire partie de sa bande, et il n'était pas facile pour une femme d'exister dans ce monde d'hommes. Le talent de Mireille Darc c'est d'être une sacrée bosseuse et de savoir envoyer les répliques de l'auteur. Les barbouzes sera un succès, pas aussi important que celui des Tontons mais Lautner est désormais un réalisateur qui compte pour la maison Gaumont.
LES BONS VIVANTS (1965)
Les bons vivants (ou Un grand seigneur puisque le film sera rebaptisé après sa sortie) est un film à sketchs comme il s'en faisait pas mal à l'époque. Sur une idée d' Albert Kantof (beau-frère de Lautner), le film raconte la fin des maisons closes à travers trois histoires dont le fil rouge est une lanterne de la même couleur. Gilles Grangier est aux commandes des deux premières et c'est Lautner qui clôt le métrage. Chez Lautner, on retrouve Louis de Funès en veuf bourgeois qui va venir en aide à une prostituée jusqu'à l'accueillir chez lui. Peu à peu, avec une grande naïveté et malgré lui, l'homme fait de sa demeure une maison close. Film réjouissant et même enthousiasmant, le sketch de Lautner est particulièrement brillant. Il faut dire que Michel Audiard s'est lâché dans ses dialogues plus qu'inspirés. Mireille Darc joue la prostituée en détresse avec beaucoup d'humour. Elle retrouve son personnage de belle blonde sexy et (faussement) innocente. Jubilatoire et à redécouvrir.
GALIA (1965)
C'est un film important dans la collaboration Lautner/Darc. Peut-être le plus important. Nous sommes avant mai 68 et sa libération sexuelle, mais la France a déjà entamé le parcours, Bardot et son Et Dieu créa la femme est passé par là, les mini-jupes font leur apparition. Pour autant nous ne sommes pas encore à une époque où une femme peut porter un pantalon facilement. Le romancier Vahé Katcha a imaginé l'histoire de Galia. Une jeune femme sauve une épouse, délaissée par son mari, de la noyade. La jeune femme conseille à l'épouse de disparaitre quelque temps pour voir la réaction du mari. Mais, en suivant le mari en question, notre héroïne va tomber sous son charme. Mireille Darc est donc Galia, cette femme libre qui va tomber amoureuse d'un Venantino Venantini volage et séducteur. Ce film, c'est Mireille qui le veut. Lautner convainc les producteurs. Il écrit le scénario avec l'auteur du roman mais aussi avec Mireille Darc elle-même. Ils sont assistés de Caroline, l'épouse de Lautner, et une amie de cette dernière. Le réalisateur veut épouser le point de vue féminin, être en phase avec son époque et propose ainsi un film différent de tout ce qu'il avait fait auparavant. Mireille Darc se reconnait complétement dans ce personnage de Galia, une femme non conventionnelle, libre et amoureuse. Pleinement amoureuse. Lautner dira que Galia, c'est Mireille Darc. Elle est magnifique. Le film n'est pas très bien accueilli et tend vers l'échec commercial. C'est sans compter sur la détermination d'un exploitant de salles qui y croit et laisse Galia à l'affiche plusieurs semaines. Le film s'installe, les femmes s'y reconnaissent, le bouche à oreille marche. Dès lors, Mireille Darc devient autre chose que la petite blonde nunuche et sympathique. Elle est une incarnation véritable de la femme française des années 60. Oublié aujourd'hui, le film est à revoir.
NE NOUS FÂCHONS PAS (1966)
Après Les tontons flingueurs et Les barbouzes, Lautner retrouve Lino Ventura et Michel Audiard pour Ne nous fâchons pas. Mais Lino est réticent, trouvant que Les barbouzes relevait plus de la pitrerie qu'autre chose. Ici, il ne faut pas faire la même erreur. Et ça commence mal, le tournage débute alors que le scénario n'est pas achevé. Cependant, Marcel Jullian et Michel Audiard vont se mettre au boulot. Lautner signe ici son premier film en couleurs et en scope. Le mélange polar, action, comédie fonctionne à plein régime, les explosions s'enchainent, les baffes reçus par Jean Lefebvre aussi. Ne nous fâchons pas est réjouissant à plein de niveaux. Mireille Darc joue l'épouse de Lefebvre tombant dans les bras de Lino. Mais, cette fois, elle défend un personnage au caractère bien trempé. Le film est une réussite qui séduit largement le public. Cependant Lino Ventura cessera de jouer dans cette veine parodique qui lui allait pourtant très bien. Lautner le regrettera. Les deux hommes ne tourneront plus ensemble.
LA GRANDE SAUTERELLE (1967)
Après l'expérience Galia, Lautner et Darc retrouvent l'écrivain et scénariste Vahé Katcha auquel vient s'ajouter l'inimitable Michel Audiard pour cette Grande sauterelle. Une entreprise plus divertissante que Galia où Hardy Krüger et Maurice Biraud organisent le braquage d'un milliardaire à Beyrouth. C'est sans compter sur l'irruption de Salène qu'incarne Mireille Darc. Belle, délurée, libre, surnommée " la grande sauterelle ", elle charme Krüger qui trouve grâce à elle son salut. Le film est assez faible mais pas déplaisant grâce à ses seconds rôles ( Biraud, Géret, Blanche...) et des répliques bien senties. Si Mireille Darc est sublime et formidablement mise en valeur par la caméra de Lautner, Hardy Krüger n'a pas le meilleur charisme pour rendre son personnage très attractif, même si sa prestation reste honorable. Une œuvre mineure dont on retient surtout le titre qui servira de surnom à la belle Mireille.
FLEUR D'OSEILLE (1967)
Une autre œuvre un peu méconnue, nouvelle déclaration d'amour cinématographique de Lautner à Mireille Darc, Fleur d'oseille donne un rôle plus qu'intéressant à la comédienne. Elle y incarne la veuve d'un gangster, tout juste maman, harcelée par voyous et policiers pour obtenir un gros butin qu'a dissimulé le mari avant de mourir. Si le personnage de Catherine, joué par la comédienne, se montre assez fermé au début de l'histoire, il se développe et irradie de plus en plus au contact de ce nouveau-né qu'elle va apprendre à aimer. Lautner fait évoluer son film comme son héroïne, on se retrouve dans une seconde partie qui va virer au western urbain efficace. Darc joue une femme qui assume alors son rôle de mère, déterminée à protéger son enfant. Elle est encore une fois magnifique et montre l'étendu de son talent. Les dialogues d' Audiard, les prestations d' André Pousse, Henri Garcin et Paul Préboist sont autant d'atouts qui permettent à ce Fleur d'oseille d'oser jouer sur plusieurs registres. Un des meilleurs rôles de Mireille Darc et un film qui mérite lui aussi d'être redécouvert.
LAISSE ALLER... C'EST UNE VALSE (1971)
On entre dans la décennie 70. Lautner sort de l'échec de La route de Salina et a plus que besoin de revenir vers Gaumont pour signer une comédie. De son côté, Mireille Darc a eu l'envie légitime de s'éloigner un peu de l'univers de son Pygmalion en se frottant à un tout autre cinéma, celui de Godard avec Week-end. Consciente que sa nature reste plus proche de l'univers de Lautner, elle est plus qu'heureuse de retrouver son metteur en scène pour Laisse aller... c'est une valse. Le film est co-écrit par Bertrand Blier et l'histoire résonne un peu avec celle de Fleur d'oseille, sauf qu'ici on est dans la déconne pure. Jean Yanne, Michel Constantin et Mireille Darc forment un trio semeur de cadavres cherchant à fuir gangsters et policiers, toujours dans un ton décalé amenant une bonne humeur constante. Lautner ose beaucoup dans ce film, on assiste par exemple à une scène d'amour joliment absurde entre Yanne et Darc, des scènes d'action folles qui prêtent toujours à rire, bref Lautner et son équipe laissent leur imagination déborder, et c'est tant mieux.
IL ETAIT UNE FOIS UN FLIC (1972)
Poursuivant dans sa veine polar et comédie, Lautner va cette fois s'adjoindre les services du scénariste Francis Veber pour adapter une série noire. Le postulat est simple : Michel Constantin joue un flic qui, pour les besoin d'une couverture, se voit faire couple avec Mireille Darc et son gamin. Au-delà de l'enquête, c'est ce trio qui amuse surtout Lautner. Constantin, flic maniaque et célibataire endurci, doit cohabiter avec un petit garçon (formidable Hervé Hillien) qui a son franc-parler. Mireille Darc est épatante en maman qui doit composer entre son fils et ce flic dont la mission va se révéler plus complexe que prévue. Lautner et Veber s'amusent de toutes les situations, le ton du réalisateur fait merveille et le film est une belle réussite. Scénario au cordeau, dialogues savoureux, interprétation parfaite, réalisation inventive, Il était une fois un flic est un succès et le début d'une collaboration Francis Veber/Georges Lautner. A noter, une brève apparition d' Alain Delon sonnant par erreur à une porte ouverte par Mireille Darc. Un clin d'œil amoureux de l'acteur à sa compagne d'alors.
LA VALISE (1973)
Cette fois-ci, Georges Lautner et Francis Veber vont sur un terrain délicat. Enfin, pas exactement délicat car, au milieu du conflit israélo-palestinien, les auteurs délivrent en réalité un message de paix. Il n'empêche que raconter à cette période cette histoire d'espion israélien (Jean-Pierre Marielle) qui doit être exfiltré en urgence d'un pays arabe avec l'aide d'un agent secret français ( Michel Constantin) était audacieux, surtout pour un divertissement. D'ailleurs les auteurs ont pris soin de débuter le film avec un carton explicitant leurs intentions. Il s'agit de s'amuser et il faut reconnaitre que le film est vraiment plaisant. Voir ce duo (qui devient trio lorsqu'apparait Amidou en officier égyptien) vivre une aventure rocambolesque en étant sous le charme de Mireille Darc est assez réjouissant. Comme toujours, Mireille Darc est superbe en objet de désir. Elle est le moteur de l'histoire et surtout du propos : tous ces hommes vont mettre de côté leur fonction pour l'amour de cette femme. Faites l'amour pas la guerre, c'est le message de Lautner. Le film sera reçu de façons diverses, certains y voyant une provocation, d'autres une non prise de position gênante... Au final, il fallait y voir une envie de divertir et un message d'amour. Tout simplement.
LES SEINS DE GLACE (1974)
Ce projet, c'est le cadeau d' Alain Delon à Mireille Darc. Les deux comédiens sont en couple et vivent une très forte histoire d'amour. Delon producteur est à la recherche d'un projet mettant en vedette son amoureuse tout en lui permettant un changement de registre pour montrer son talent. Il rachète à Jean-Pierre Mocky les droits d'adaptation d'un roman policier de Richard Matheson car, au cœur de cette sombre intrigue, Delon y voit un personnage féminin fort pour Mireille. La comédienne convainc son compagnon de confier l'adaptation et la réalisation à Lautner. Ce sera la première véritable rencontre artistique entre les deux hommes. Delon ne veut pas jouer le rôle principal mais s'octroie celui de l'avocat, plus secondaire. Sans doute le personnage le plus intéressant de l'histoire par son ambiguïté. Et Delon est formidable, tout à la fois en froideur et en émotion, en amoureux de Peggy que joue Mireille. C'est Claude Brasseur qui hérite du rôle-titre masculin pour l'humour et le naturel qu'il est capable d'amener. Darc s'en tire très honorablement dans un rôle de femme fragile qui se révèle psychopathe. Ici, Lautner est loin de ses habituelles comédies. Les seins de glace est un film d'atmosphère, au suspens latent, qui permet à son réalisateur de montrer un autre savoir-faire. Les puristes du roman de Matheson n'y trouveront pas leur compte, Lautner confessa d'ailleurs qu'il n'aimait pas le roman de base, mais le public sera au rendez-vous de ce nouveau cadeau fait à Mireille Darc. Le film sera la dernière collaboration entre Darc et Lautner avec la comédienne en haut de l'affiche.
MORT D'UN POURRI (1977)
Après Les seins de glace, l'idée de continuer la collaboration avec Delon est mise sur la table. Cette fois, Lautner va signer un film où Delon tient le premier rôle. Et quel film ! L'un de ses meilleurs. Thriller politique très ancré dans son époque, habile polar au suspens tendu, Mort d'un pourri s'inspire de diverses affaires politiques et d'un roman de Raf Vallet. Le scénario est fignolé anonymement par le maitre des script doctors, Claude Sautet, et Michel Audiard signe des dialogues inspirés (parmi les meilleurs qu'il ait écrits) et très incisifs. La distribution est grandiose. Autour de Delon, impérial et d'une grande classe, on retrouve nombre de seconds rôles tels que Ornella Muti, Klaus Kinski, Maurice Ronet, Mireille qui ne fait qu'un tout petit rôle (la petite amie de Delon). Elle est là à la fois pour Delon et Lautner, deux hommes qu'elle aime profondément. Julien Guiomar... et puis il y a Delon revient en haut du box-office avec ce film et aura même une nomination aux Césars. Lautner aussi, en tant que scénariste, avec Audiard. Un excellent film. Mort d'un pourri est un succès,
LA VIE DISSOLUE DE GERARD FLOQUE (1986)
Si le début des années 80 est synonyme de triomphe pour Lautner grâce à sa collaboration avec Belmondo, les choses se gâtent un peu par la suite. Lautner sort de deux déceptions, Le cow-boy et La cage aux folles 3 (même si ce dernier film n'est pas réellement un échec public). Le projet de La vie dissolue de Gérard Floque est l'occasion pour Lautner de travailler avec une nouvelle génération qu'il a vu éclore : les gens du café-théâtre. Ainsi, c'est Christian Clavier et Martin Lamotte que l'on retrouve au scénario et aux dialogues du film. La distribution convoque les anciens ( Maillan, Galabru...) et les plus jeunes ( Marie-Anne Chazel, Mathilda May...) autour d'un Roland Giraud épatant. Lautner veut s'offrir une nouvelle jeunesse et toucher un autre public. Il sent bien que la comédie n'a plus les mêmes codes. Si le film comporte son lot de séquences réussis, le réalisateur ne parvient pas à faire un ensemble construit. Le film se perd un peu et n'a pas vraiment de fin. Reste des numéros d'acteurs réjouissants (la scène avec Galabru est formidable) et une apparition toujours bienvenue de Mireille Darc en épouse de Jacques François. Ce sera la dernière fois que Georges filme Mireille.
13 longs métrages sur plus de 20 ans, des films différents qui ont permis à l'un et l'autre d'explorer des univers variés, la collaboration Georges Lautner/ Mireille Darc est surtout une belle histoire d'amour. Un amour amical, artistique, chaleureux et véritable. Georges a révélé Mireille, Mireille est allé chercher Georges pour des projets inhabituels pour lui. Ils se sont beaucoup apportés l'un l'autre et ont marqué leur époque. A revoir leurs films, à écouter les entretiens qu'ils ont donné, à lire les écrits qu'ils nous ont laissés, nous pouvons encore ressentir ce qui les liait : une joie de vivre communicative et une belle humanité.
Les seins de glace est disponible en Blu-Ray depuis le 6 mars 2024 dans la collection Nos années 70 éditée par StudioCanal.