Le premier long-métrage d’Ariane Louis-Seize charme par la seule qualité de son concept, explicité dans ce qui s’annonce comme l’un des meilleurs titres de l’année.
Il suffit de quelques minutes au film pour nous mettre dans sa poche. Lors d'une soirée d’anniversaire pour ses 8 ans, la jeune Sasha se prend d'affection pour Rico le clown venu faire un spectacle chez elle en présence de toute la famille… Pour la famille Rico est du bétail. Traumatisée par l’événement, l'enfant ne fait que fuir un rite de passage. Sa compassion prend le pas sur sa soif de sang, au point où ses dents pointues refusent de sortir.
Le concept est génial et très inventif. Dans un jonglage des genres et des styles parfaitement équilibrés, le fantastique se mêle à la comédie et au récit d’apprentissage. Au travers de cette pure dynamique, Sasha se voit couper les vivres par ses parents en pleine adolescence (c’est-à-dire 68 ans pour une vie vampire). La voilà contrainte de chasser, après avoir trop longtemps profité du confort de sa maison, à siroter des poches de sang comme autant de briques de jus d’orange (trouvaille visuelle brillante parmi tant d’autres). Habitant chez sa cousine ainée, chasseuse émérite de gros beaufs, qui doit la former à la chasse ; le décalage entre elles deux permet d’exploiter différentes situations comiques.
Dans un premier temps, cette déconstruction du mythe suffit à emporter l’adhésion. Avec son numérique granuleux et envoûtant, dont les teintes diffuses accentuent le contraste des couleurs, la photographie convoque l’expressionnisme allemand, alors que le surnaturel vient frapper un quotidien des plus banals. Le père est aimant mais un peu à la ramasse, et la mère est au bout du rouleau. Et hop !!! un petit message pour la charge mentale féminine au passage ; elle se plaint souvent de devoir remplir le frigo. À partir de là, chaque dialogue s’amuse de parallèles hilarants, en détournant la toute-puissance inquiétante du vampire en symptômes des troubles adolescents (à commencer par la sexualité, mais aussi un rapport au morbide très contemporain).
Le décalage est amusant, mais n’aurait jamais pu se suffire à lui-même sur un long-métrage. Or, Ariane Louis-Seize et sa co-scénariste Christine Doyon ne cessent de renouveler les enjeux de leur récit, ne serait-ce qu’avec l’introduction de Paul, un adolescent aux comportements dépressifs chroniques qui accepte de “s’offrir” à Sasha. Le second degré du film ne le prive jamais de traiter sérieusement sa mythologie, et surtout le parcours émotionnel de ce couple de personnages improbables.
Il est d’ailleurs primordial de souligner le génie de ses deux acteurs principaux. Si Félix-Antoine Bénard donne à Paul une fragilité et un sentiment de gêne qui transparaît de chaque pore de sa peau, Sara Montpetit porte toute la bizarrerie stoïque du film sur ses épaules. Découverte pour ma part dans un autre film Québécois (« Falcon Lake »), on est certainement appelé à la revoir. La caméra se focalise sur leur langage corporel, sur leur peine à s’ancrer dans leur monde respectif (elle dans la réalité de la vie d’un vampire, lui dans un milieu scolaire aliénant et violent).
C’est bien ce désespoir, traité avec douceur et amertume, qui donne à l’ensemble sa saveur si particulière. Ariane Louis-Seize ne navigue pas entre les tonalités et les genres pour l’amour d’un patchwork indigeste et auto-satisfait, mais bien pour sa profonde tendresse envers ses deux personnages esseulés. Par la même occasion, sa comédie vampirique pose la question de sa nécessité et de sa modernité.
Par de petites touches, la comédie noire émeut autant qu’elle fait rire, parce qu’elle transforme son portrait d’ados marginaux en symbole d’une jeunesse solitaire, hantée par un sentiment d’abandon, et qui rend au vampire toute sa force thématique en la modernisant.
Le film d’Ariane Louis-Seize charme par la seule malice de son écriture pince-sans-rire. Mais « Vampire humaniste cherche suicidaire consentant » est aussi le portrait touchant de l’adolescence et ses troubles, joliment esquissée par sa symbolique fantastique, sa douce mélancolie et le brio de ses acteurs.
Un beau film à voir avec nos ados ; presque 16 ans, mon fils, au terme des 90’ de la projection s’est exclamé « c’est déjà fini » ; il était triste de quitter Sasha et Paul… Donc programmation de « Falcon Lake » très bientôt avec lui… Faites en de même avec vos ados.
Pour aller plus loin :
- Sarah Montpetit en interview rappelle que tout le tournage s’est déroulé de nuit de 21h à 6h ; ce qui aussi donnait encore plus des accents vampires au film. Elle vivait au rythme de ceux-ci.
Sorti en 2024
Ma note: 16/20