Cria cuervos

Un grand merci à Tamasa Diffusion pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Cria Cuervos » de Carlos Saura.

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« On ne doit pas dire de mensonges. Les mensonges ça peut faire du mal. »

Durant les dernières années du franquisme, Ana, une fillette de 9 ans, vit avec ses deux sœurs chez sa tante. Dans ce milieu étriqué, Ana étouffe. Enfant taciturne, insomniaque et douée d’une imagination féconde, elle vit toujours à l’ombre du décès prématuré de sa mère et est persuadée qu’elle possède un pouvoir maléfique au point de se croire responsable de la mort de son père.

« Je n’ai jamais compris pourquoi les gens disent que l’enfance est la période la plus heureuse de la vie »

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Principale figure de proue à l’international du cinéma espagnol durant plus de vingt ans (et l’émergence de la Movida), Carlos Saura aura su développer une œuvre riche et complexe, dans laquelle il traitera des maux et des contradictions de la société espagnole, notamment sous le régime de la dictature franquiste, en jouant notamment sur les métaphores et les symboles afin de pouvoir contourner le couperet de la censure. C’est ainsi au cours des années 70, alors que le régime du vieux dictateur brûle ses derniers feux, qu’il signe ses films les plus marquants et les plus acerbes, à l’image du diptyque « Ana et les loups » (1973) et « Maman a cent ans » (1979) ou de son très personnel « La cousine Angélique » (1974, récompensé du Prix spécial du jury au Festival de Cannes). Mais son œuvre la plus célèbre restera sans aucun doute « Cria Cuervos » (1976, là encore récompensé du Prix spécial du jury du festival de Cannes), qui connaitra un vrai succès public et critique à l’international, tout comme la chanson emblématique du film, « Porque te vas » interprétée par Janet, qui deviendra en quelques mois un tube planétaire.

« Maintenant tu dois mourir »

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« Quiconque élève des corbeaux finira les yeux crevés ». Tel est en substance le proverbe espagnol auquel se réfère le curieux titre du film (« cría cuervos y te sacarán los ojos ») et qui raisonne forcément comme une sorte de prophétie funeste. Reprenant le même principe scénaristique que dans son précédent film (« La cousine Angélique »), Carlos Saura nous conte ainsi les maux de la société franquiste au travers du prisme d’un regard d’enfant. En l’occurrence, de la jeune et taciturne Ana, 9 ans, fillette éprouvée par le récent décès de sa mère. Un évènement traumatique qui marque la fin de son innocence et son entrée sans le monde des adultes. Mais plus encore que sa dimension initiatique (découverte de la mort, de la solitude, du Mal), c’est dans sa dimension symbolique que le film trouve toute sa force. En effet, « Cria cuervos » a dans son scénario quelque chose de quasi psychanalytique (le récit est d’ailleurs raconté a posteriori par Ana adulte, une scène où Ana et ses sœurs rejouent les dysfonctionnalités familiales), voire cathartique dans ce qu’il dit de la société espagnole franquiste : un huis clos dans une maison fermée et étouffante, sans vie, régie par un père militaire tyrannique et violent. Un univers suranné, où toute tentative de fantaisie (maquillage, féminité) est systématiquement réprimée par des adultes aux mœurs rigides mais aux comportements souvent hypocrites (le père qui a une sexualité de débauché). Tout cela ne laissant d’espace aux enfants que pour jouer à s’entretuer. Pour mieux préparer leur révolte contre leurs ainés (et à travers eux, leurs dirigeants et leurs institutions) ? Porté par la douceur détachée de Géraldine Chaplin et le regard intense de la jeune Ana Torrent, « Cria Cuervos » est à l’évidence un film aussi troublant que puissant, même s’il n’est pas des plus faciles d’accès. De loin le meilleur film de Carlos Saura.

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un Master restauré 2K et proposé en version originale espagnole (1.0) ainsi qu’en version française (1.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné du Court métrage documentaire « Rosa, Rosae. La guerra civil » de Carlos Saura (2021, 6 min.), de « Cría cuervos » vu par Carlos Saura (3 min.) ainsi que de Bandes-annonces.

Édité par Tamasa Diffusion, « Cria Cuervos » est disponible en blu-ray depuis le 16 mai 2023.

Le site Internet de Tamasa Diffusion est ici. Sa page Facebook est ici.