Le témoin en détail

Par William Potillion @scenarmag

Le personnage du Témoin, dans les méandres de la littérature et les intrigues du cinéma, se distingue comme une figure narrative d'une grande subtilité, entremêlant les perspectives internes et externes pour créer une trame qui a un impact profond sur le déroulement de l'histoire.
Ce personnage, qui rarement ne prend la lance du protagoniste ni ne dirige le char de l'intrigue, est plutôt tel un spectateur placé en retrait, un observateur sagace et retiré, contemplant les faits et gestes des acteurs principaux et méditant sur leur portée.

Offrir une perspective et un contexte

Le personnage du Témoin est le chaperon de l'audience ! Il se balade dans l'histoire, vivant les péripéties comme le ferait Monsieur Tout-le-Monde depuis son fauteuil. Et que fait-il, à part se mêler de ce qui ne le regarde pas ? Il réagit ! Ses réactions, c'est comme un guide touristique pour vos émotions et votre intellect pendant que vous remontez les méandres de l'intrigue. Prenez un drame politique embrouillé, par exemple. Sans notre cher Témoin pour lâcher un commentaire ici ou éclairer un point là, vous seriez aussi perdu qu'un député lors d'un débat sur la physique quantique !

Ce cher vieux sage de l'histoire, toujours là pour agiter sa boussole morale et pointer du doigt les erreurs des autres, comme un arbitre à un match de boxe.
Il commente, il critique, il ne manque pas une occasion de donner son grain de sel sur les actions des héros, et parfois, il secoue même le cocotier éthique du lecteur/spectateur ! Vous voyez, dans un bon vieux polar, notre Témoin, c'est un peu comme cet ami qui, après quelques verres, vous dit ce qu'il pense vraiment de votre dernier rendez-vous amoureux.

Il vous montre les conséquences de ces zones grises morales où les héros et héroïnes aiment se balader, ajoutant ainsi un peu de piquant à l'histoire.

Améliorer la profondeur narrative

Le personnage du Témoin est un ajout ingénieux et précieux à toute histoire bien construite ! Voyez-vous, quand l'autrice et l'auteur décident de jeter dans la mêlée des événements plus grands que nature ou bien des personnages très énigmatiques, ils nous glissent souvent un Témoin.
Pourquoi, demandez-vous? Pour nous servir de guide ! Ce bon vieux Témoin, c'est souvent quelqu'un d'aussi ordinaire que vous et moi, quelqu'un qui ne sait pas plus voler qu'un pingouin ne sait jouer du banjo. Mais c'est justement grâce à lui, ou à elle, que nous, simples mortels, pouvons naviguer à travers les tempêtes et les tornades des récits sans perdre complètement notre boussole. C'est un peu comme avoir un ami qui vous prend par la main lors d'une visite dans un parc d'attractions intergalactique. Sans lui, bon courage pour comprendre ce qu'il se trame !

Le Témoin peut également jouer un rôle crucial dans la révélation ou la mise en évidence des thèmes centraux du récit. Leur statut d'outsider leur permet de questionner et de réfléchir aux implications plus larges de l'intrigue et des actions des personnages, mettant ainsi en lumière des thèmes qui pourraient autrement rester implicites ou inaperçus.
Bien que les personnages Témoins soient généralement plus observateurs que participants, ils peuvent néanmoins jouer un rôle actif en déclenchant des actions. En effet, leurs idées ou révélations peuvent inciter les autres personnages à passer à l'acte, faisant ainsi progresser l'intrigue. Dans les genres du thriller ou du mystère, par exemple, un Témoin pourrait apporter des indices cruciaux ou avoir une prise de conscience décisive qui infléchit le cours de l'histoire.

Les échanges entre le Témoin et les autres personnages peuvent enrichir les relations interpersonnelles en les rendant plus complexes. La vision extérieure du Témoin peut en effet remettre en question les autres personnages, les obligeant à faire face à des vérités ou des secrets qu'ils auraient préféré ignorer.

Les Bêtes du Sud Sauvage, la jeune héroïne, Hushpuppy, sert de personnage Témoin. Vivant dans une communauté marginalisée dans les bayous de la Louisiane appelée le Bathtub, Hushpuppy vit et raconte l'histoire à la fois comme Témoin de sa communauté mais aussi comme étrangère.

Hushpuppy offre la perspective d'une enfant qui mélange une vue intime de sa communauté avec la naïveté et la curiosité d'un être extérieur à celle-ci. Sa compréhension du monde et la menace imminente de la catastrophe naturelle sont entremêlées avec imagination et émerveillement, créant une voix narrative unique qui guide le lecteur/spectateur à travers les événements.

Le film nous plonge dans une exploration des thèmes de la résilience, de la communauté et de la survie face aux défis environnementaux et sociaux, le tout à travers le regard de la jeune Hushpuppy. Il nous conte l'histoire de cette enfant qui, malgré les épreuves, fait preuve d'une force de caractère et d'une détermination hors du commun pour surmonter les obstacles qui se dressent sur son chemin.
Ses observations et réactions au monde mettent en lumière les luttes et les forces de la communauté, rendant les messages thématiques du film plus résonnants et marquants.

Le rôle de Hushpuppy en tant que Témoin des épreuves et tribulations de sa communauté, ainsi que son propre voyage au sein de ces événements plus larges, sert à engager profondément les émotions du lecteur/spectateur. Son innocence et sa détermination offrent une vue poignante sur les réalités difficiles auxquelles sont confrontés les habitants du Bathtub, favorisant une forte connexion émotionnelle entre le lecteur/spectateur et les personnages.

Hushpuppy, c'est un personnage plutôt inhabituel. Elle joue principalement un rôle d'observatrice, mais lorsqu'une idée prend racine dans son esprit, elle devient inébranlable. Elle se lance dans une quête pour retrouver sa mère et est déterminée à protéger sa communauté contre les inondations. Et devinez quoi ? Elle y parvient ! C'est remarquable de voir ce qu'une petite figure peut réaliser. Elle agit comme une véritable force du changement dans son propre récit.

Cours Lola Cours, réalisé par Tom Tykwer en 1998, est un film qui utilise de manière innovante la structure narrative pour explorer les conséquences des choix et du hasard. Bien que Lola, la protagoniste, soit l'action principale du film, son petit ami Manni sert souvent de personnage Témoin, en particulier à travers ses interactions et ses expériences qui diffèrent à chaque boucle de l'histoire.
Manni, bien qu'impliqué directement dans l'intrigue (il a besoin que Lola lui procure 100 000 Deutsche Mark en 20 minutes pour éviter de graves conséquences après avoir perdu l'argent d'un trafiquant), sert de point d'ancrage émotionnel et narratif pour le lecteur/spectateur. À travers ses expériences, nous voyons les différentes conséquences possibles des actions de Lola. Cela renforce l'idée que chaque petit changement dans le comportement de Lola peut radicalement changer le sort de Manni.

Chaque décision de Lola influe sur le destin de Manni, faisant de lui un témoin clé des résultats conséquents. Sa position lui permet en effet d'observer les résultats des actions de Lola, même s'il ne les comprend pas pleinement. Cela crée une dynamique intéressante où le Témoin influence et est influencé par les événements narratifs, ce qui n'est pas toujours le cas dans les structures narratives traditionnelles.
Bien que Manni ne soit pas le principal moteur de l'action, son personnage évolue à travers ses réactions et ses interactions avec Lola et les autres personnages. Il devient plus qu'un simple témoin passif ; il est un participant actif dont les réactions contribuent à la tension et au développement de l'intrigue.

Le film utilise la répétition avec des variations mineures pour explorer comment de petites variations dans les actions peuvent entraîner des différences significatives dans les résultats. Manni, en tant que Témoin de ces variations, met en lumière le rôle du destin et du hasard dans nos vies. Chaque itération offre une nouvelle perspective sur ce qu'il pourrait arriver si les choses étaient faites différemment, soulignant la fragilité et l'interdépendance de nos existences.
Le personnage de Manni enrichit l'exploration du film sur le thème du chaos contrôlé et de l'effet papillon à travers des choix apparemment insignifiants qui ont des conséquences monumentales. En tant que Témoin, il sert de reflet aux multiples possibilités qui s'offrent à chaque moment de nos vies, et son expérience souligne l'importance de chaque décision que nous prenons.

Le Témoin et l'intrigue

Le Témoin observe souvent des détails que d'autres personnages pourraient manquer, soit parce qu'ils sont trop impliqués dans l'action, soit parce qu'ils sont émotionnellement compromis. En mettant en évidence ces détails, le Témoin peut introduire de nouvelles informations dans l'intrigue. Par exemple, dans une histoire de détective, un personnage qui est témoin d'un crime pourrait remarquer un indice apparemment insignifiant qui devient central pour démêler le mystère.

Les réactions d'un Témoin peuvent déclencher des actions de la part d'autres personnages. Par exemple, si un Témoin exprime un choc ou une horreur face à une révélation, cela pourrait inciter le héros ou l'héroïne à approfondir une question ou à reconsidérer leur chemin actuel. Cette interaction conduit souvent à des décisions majeures qui peuvent modifier le cours de la narration, la dirigeant vers de nouveaux conflits ou de nouvelles résolutions.

La perspective du Témoin, c'est un peu comme un bon vieux cocktail : elle peut complètement changer la saveur de l'histoire. Ce point de vue unique, il a le don de vous faire voir les choses sous un autre angle, secouant un peu l'empathie et la compréhension de la lectrice et du lecteur. Si ce Témoin se met à trouver des qualités à un méchant de service, cela ajoute un peu de piquant à notre bonhomme et du relief à l'intrigue. Cela vous pousse à revoir vos jugements hâtifs. Voilà qui donne à réfléchir, n'est-ce pas ?
Les Témoins agissent souvent comme des traversées du miroir pour d'autres personnages, reflétant des vérités qu'ils pourraient ne pas vouloir voir ou reconnaître. Cela peut catalyser la croissance et le développement du personnage. Par exemple, un personnage pourrait être motivé à changer après s'être vu à travers les yeux du Témoin, surtout si ce qu'il voit remet en question sa perception de soi ou sa moralité.

Le personnage du Témoin a une façon bien à lui de regarder les événements avec curiosité, tout en maintenant une certaine distance, comme s'il observait à travers le trou de la serrure sans jamais oser ouvrir la porte. En partageant ses pensées, il pose des questions immenses sur ce qu'il se trame, donnant à l'histoire une dimension plus profonde. Cela donne du poids à l'intrigue, en reliant des petits faits, peut-être insignifiants à première vue, à des questions bien plus grandes, bien plus lourdes. Prenez, par exemple, un pauvre bougre dans un drame de guerre qui voit une bataille se dérouler sous ses yeux ; il pourrait se mettre à réfléchir sur les horreurs de la guerre, ce qui fait que, tout à coup, l'histoire ne parle plus seulement de ce qu'il se passe devant lui, mais de l'effet de la guerre sur tout le monde, un peu comme jeter un caillou dans un étang et regarder les ondulations s'éloigner jusqu'à l'infini.

Dans Rashomon de Akira Kurosawa, divers personnages endossent le rôle de témoins d'un crime, chacun offrant une version différente des faits. Ces témoignages divers enrichissent l'intrigue et permettent d'aborder des questions complexes telles que la vérité, la perception et la nature humaine. La structure du film, centrée sur les observations et les réactions de chaque témoin, incite le lecteur/spectateur à remettre en question la fiabilité de sa propre perception et le caractère éphémère de la vérité.

La transformation

La métamorphose du personnage Témoin est véritablement sublime, car en observant les différents spectacles du monde, il se transforme peu à peu. Ce personnage est essentiel dans la construction de nos récits, car son évolution offre une profondeur insondable et enrichit notre histoire de perspectives nouvelles et grandissantes.
Par ce chemin, il devient un puissant conduit pour les exploitations thématiques, portant au sein de l'intrigue une résonance émotionnelle qui touche le cœur de l'auditoire. En vérité, cette mue n'est pas une mince affaire ; elle incarne la quintessence de notre art narratif, mêlant subtilement la forme à la substance, pour élever l'âme et éclairer l'esprit.

Au commencement, notre personnage Témoin, figurez-vous, se pourrait fort bien de flâner, égaré et désorienté, tel un voyageur privé de compas en un exotique marché. Les arcanes du tumulte l'entourant lui échappent presque entièrement. Néanmoins, à mesure que le drame se déploie, une illumination se fait jour. La brume de l'ignorance se dissipe. Considérons à cet égard notre civil au cœur d'un récit guerrier. Initialement, il pourrait croire à un jeu, une escarmouche enfantine amplifiée, mais, tandis que les heures s'égrènent, il perce à jour la véritable nature tragique de la guerre. Il témoigne des stigmates indélébiles qu'elle imprime, non seulement sur les champs de bataille mais aussi dans les âmes et les esprits des hommes. Et voici donc notre Témoin, transmué d'un spectateur naïf en un sage qui saisit avec acuité les conséquences accablantes et les casse-têtes moraux de la guerre.

Les personnages Témoin vivent souvent des changements dans leurs croyances et leurs valeurs en conséquence directe de ce qu'ils observent. Cette transformation peut être profonde, surtout si les événements remettent en question leurs notions préconçues ou les exposent à des vérités qu'ils avaient auparavant ignorées ou mal comprises. Par exemple, un personnage qui est témoin d'actes d'héroïsme ou d'altruisme pourrait réévaluer ses vues cyniques sur la nature humaine.
Ce sont de drôles de zèbres, ces Témoins, tranquilles et détachés, qui squattent les gradins comme des fantômes à une foire où ils n'ont pas misé un radis. Mais attendez que la scène s'échauffe et que les lumières de l'action leur tapent dans les mirettes, et vous verrez quelque chose ! Subitement, quelque chose les chatouille ! Poussés par une frénésie qui ne demande qu'à exploser, ils sautent de leur fauteuil de spectateurs apathiques pour se mêler à la danse. Et pas question de retourner s'asseoir ! Soudain, cela les prend ! Comme une envie pressante au milieu d'une nuit sans lune, ils ne peuvent plus se retenir. Voilà nos gaillards, telles des têtes brûlées lancées dans un baroud d'honneur, qui se jettent dans la mêlée. Ils sont prêts à suer, à hurler, à battre le pavé, et si le besoin s'en fait sentir, à balancer quelques gnons bien placés.

On dit au revoir au paisible observateur, celui qui regarde la vie comme on feuillette un vieux magazine chez un dentiste, et bonjour au guerrier, celui qui entre dans la danse avec la flamme dans les yeux ! Ils se transforment alors en véritables meneurs de revue, acteurs principaux de l'épopée qu'ils ne faisaient qu'observer du coin de l'œil. Ils s'engagent corps et âme pour les causes et les frères d'armes avec lesquels, petit à petit, ils se sont mis à partager plus qu'un simple bout de trottoir. Ils tissent des liens, des vrais, de ceux qui ne craquent pas au premier coup de vent. Voilà nos héros, transformés, prêts à rentrer dans le lard du destin !
Alors, accrochez vos ceintures pour le grand spectacle, le drame épatant du personnage Témoin qui sort de la pénombre pour se retrouver sous les feux de la rampe, bouillonnant d'une passion et d'un engagement flambant neufs ! C'est le vrai théâtre de la vie, où chaque pékin derrière son rideau peut finir en héros, où un simple coup d'œil peut mettre le feu aux poudres et démarrer une sacrée révolution.

Développement émotionnel et psychologique

Assister aux luttes, aux victoires ou aux tragédies des autres transforme inévitablement le Témoin. Ce processus n'est pas juste une observation passive ; c'est un voyage émotionnel qui forge l'empathie et façonne profondément le personnage du Témoin. À mesure qu'il s'imprègne des joies et des peines autour de lui, ses réactions émotionnelles deviennent le moteur de ses actions, le poussant souvent à s'engager de manières qu'il n'aurait jamais envisagées auparavant.

Un Témoin, initialement à l'écart, devient un acteur clé, motivé par une profonde connexion émotionnelle avec les événements qu'il observe. Les défis et les traumatismes qu'il voit ne font pas que le toucher ; ils le transforment, aiguisant sa résolution morale et durcissant sa volonté. Dans les récits les plus intenses, comme les drames profonds ou les thrillers, cette évolution est criante de vérité. Le Témoin ne se contente plus de regarder, il agit, souvent au péril de sa propre sécurité, pour défendre la justice et intervenir là où d'autres hésiteraient. Ce n'est pas juste un changement, c'est une métamorphose héroïque, un témoignage de la capacité humaine à grandir et à influencer le cours des événements. Embrassez pleinement cette perspective, car elle révèle le véritable impact du Témoin dans le récit : un catalyseur de changement, un phare de courage et un pilier de justice. Enfin.. si on veut.

Un Jour avec, un jour sans, la notion de personnage Témoin n'est pas conventionnelle car l'histoire se concentre principalement sur les interactions entre deux personnages centraux : un réalisateur de films et une peintre. Cependant, si nous étendons notre définition de Témoin, chaque personnage peut être considéré comme témoin de la vie et des circonstances de l'autre au cours de leur journée ensemble.

Ils découvrent mutuellement leurs peurs, leurs désirs et leurs histoires personnelles. La structure narrative double du film, qui présente deux versions de la même journée, permet aux personnages (et au lecteur/spectateur) de constater comment des choix différents affectent les résultats de manière subtile mais significative. Ainsi, les personnages sont témoins des possibilités que leurs propres actions peuvent créer, ainsi que des vulnérabilités et des forces de l'autre.

Mrs. Fang (2017) de Wang Bing

Mrs Fang, la notion de Témoin est non seulement tangible, mais elle est aussi au centre de l'attention, audacieuse et indéniable. Les membres de la famille, les voisins, et même la caméra endossent le rôle de Témoin, installés au premier rang pour le dernier acte de la vie de Madame Fang. Ils assistent, impuissants, à la fermeture du rideau sur une vie riche de souvenirs et d'émotions, comme des spectateurs réticents à un spectacle de vie où la seule magie est la réalité brutale de la mort qui nous surprend.

Ce film se passe de grands discours ou de gestes théâtraux pour rendre hommage. Les images font tout le travail, éloquentes et puissantes ; elles saisissent le lecteur/spectateur par le col et l'entraînent dans une profonde réflexion sur la condition humaine, la fragilité de l'existence, et la manière dont nous accompagnons nos aînés dans leurs derniers moments.
C'est un témoignage crucial sur des sujets importants tels que la mortalité, la dignité et le regard de la société sur le vieillissement et la mort.

Le spectateur, qu'il soit lecteur ou cinéphile, est propulsé dans le rôle d'observateur, contraint d'affronter l'inconfort et la vérité crue sur le déclin et la mort. Ces sujets sont souvent édulcorés ou balayés sous le tapis dans les médias et la culture populaire. Mais voici ce film, qui relève courageusement le défi de remettre en question notre approche consensuelle, nous forçant à regarder au-delà des filtres et conventions entourant ces sujets tabous.
Avec une touche documentaire, la caméra devient un témoin intime des derniers instants de Madame Fang, nous incitant à réfléchir à notre propre rapport à la mort et à la manière dont nous soutenons nos aînés à l'approche de leur fin.

Le lecteur/spectateur est aussi l'observateur ; ce film nous pousse à nous interroger sur notre rôle dans la société et notre responsabilité collective envers les plus vulnérables. C'est un appel à prendre conscience de l'importance d'être présent, d'écouter attentivement alors que ceux autour de nous se préparent à quitter la scène. Et à réfléchir à la façon dont nous pouvons construire une communauté plus juste et plus solidaire.

Bien-sûr que la caméra reste discrète et maintient une distance respectueuse, capturant les scènes éphémères de la vie avec une décence que ne renierait pas un moine. La caméra devient un personnage à part entière, un témoin privilégié chargé de rapporter fidèlement les derniers actes de chacun. Elle est alors le confident des derniers instants de Madame Fang, révélant la vérité brute et non embellie de sa condition.
Mais non, il n'y a pas de faste ni de mise en scène ostentatoire ici. La caméra se contente de capturer la vie dans sa forme la plus nue, modestement et discrètement, laissant au lecteur/spectateur la liberté de ressentir et d'interpréter les émotions qui se dégagent.

En adoptant cette posture, le film souligne justement le rôle de l'observateur et met en lumière la réalité crue et sans artifice de la fin de vie. Il nous invite à envisager une perspective différente sur celle-ci, à nous interroger sur notre propre relation à la mort, et à prendre conscience de l'importance d'être présent et d'offrir une oreille attentive à ceux sur le point de faire leur dernier salut.

Vitalina Varela, l'héroïne elle-même incarne le rôle de Témoin, non seulement des conséquences de la vie de son mari à Lisbonne, mais aussi des expériences plus larges de la communauté immigrante cap-verdienne au Portugal.

Tout au long du film, le parcours de Vitalina se déploie comme une quête solennelle de vérité. Elle sonde les profondeurs de son mariage, explore les intrications de sa communauté et questionne sa place dans un monde qui a imperturbablement continué son cours sans elle.
C'est une démarche empreinte de gravité, où chaque découverte apporte son lot de réflexion sur l'isolement et la persévérance humaine. Le rythme lent et contemplatif du film permet au lecteur/spectateur de témoigner aux côtés de Vitalina, ressentant son isolement, son désespoir et son acceptation éventuelle.

Quant aux décors et à la cinématographie ! Ils transforment littéralement le lecteur/spectateur en un voyeur privilégié, plongé malgré lui dans le quotidien de Vitalina. C'est un peu comme être invité à une fête où personne ne vous connaît, mais vous finissez par tout savoir sur eux. Ces éléments visuels accentuent les thèmes de la perte, du déracinement et de l'identité avec une finesse qui rend le tout aussi poignant que de découvrir que votre psychothérapeute est votre cousin éloigné. C'est déstabilisant, c'est introspectif ; c'est du cinéma qui vous fait réfléchir sur votre propre vie.
En suivant Vitalina dans son odyssée, nous sommes conviés à une profonde introspection sur les défis rencontrés par les immigrants, ces êtres en quête d'un ancrage dans un milieu souvent réfractaire. Ce film est une contemplation sur leur combat pour se frayer une place dans un monde qui ne semble pas préparé à les accueillir.

Chaque pas de Vitalina est lourd de la solitude de ceux contraints de renégocier en permanence leur identité, leur appartenance dans un espace qui leur demeure étranger. Avec son rythme posé et son regard scrutateur, Vitalina Varela nous guide doucement dans un ballet presque muet, nous invitant à la pause, à l'observation, à l'écoute. Nous sommes appelés à nous immerger dans le monde de Vitalina, à parcourir ses silences, ses espaces, à éprouver ses émotions comme si elles étaient intimement les nôtres.
C'est une plongée dans une chorégraphie de gestes et de regards minutieusement orchestrée, où chaque mouvement, chaque nuance d'ombre contribue à cette vaste fresque qu'est la vie. Ce film nous incite à méditer sur notre propre relation à l'autre et sur les moyens de forger une société plus ouverte, plus accueillante.