Témoin & double : archétypes

Par William Potillion @scenarmag

Les archétypes, dans le noble art de la littérature et du cinéma, jouent un rôle cardinal, en ce qu'ils offrent un éventail universel de rôles aisément discernables et intelligibles pour tout un chacun, indépendamment de son origine culturelle. Ces figures archétypales s'érigent en piliers essentiels du récit, offrant aux écrivains, tant hommes que femmes, un cadre sur lequel broder des personnages et des intrigues d'une richesse et d'une clarté sans pareilles.

Importance des archétypes

Les archétypes, véritables clés de voûte de l'entendement instantané et de la connexion affective, offrent des personnages tels que le Héros, le Mentor, ou l'Ostracisé, chargés de traits si familiers et de destinées si prévisibles que le lecteur/spectateur les saisit d'un instinct naturel.
Cette proximité, loin d'être anodine, l'entraîne avec une facilité déconcertante au cœur de l'intrigue, nouant sans peine des liens profonds et sincères avec ces figures de papier ou d'écran.

Les archétypes, ces illustres figures, se font les porte-voix de thèmes universels et d'expériences humaines partagées, telles que la sempiternelle lutte entre le bien et le mal, l'odyssée intérieure de la découverte de soi, ou encore la noble quête de justice. Ces thèmes, véritables échos de nos vies, traversent cultures et époques, conférant aux récits une portée profonde et un charme capable de captiver un auditoire aux quatre coins du monde.

Les archétypes, tels de fidèles compagnons de route, orchestrent la trame narrative, dessinant un cadre rigoureux pour l'épanouissement des personnages et le ballet de leurs interactions. Prenons, par exemple, le parcours héroïque, cette épopée archétypale qui guide le héros ou l'héroïne à travers l'aventure, la crise et une métamorphose ultime.
Ce schéma, d'une élégance intemporelle, se retrouve dans un éventail impressionnant d'œuvres, des légendes ancestrales aux blockbusters de notre ère, prouvant ainsi que certaines recettes, bien que vieilles comme le monde, conservent un goût de nouveauté.

En manipulant les archétypes avec la dextérité d'un maître horloger, les créateurs de récits peuvent sonder les profondeurs de la psyché de leurs personnages. Selon la théorie esquissée par Carl Jung, ces archétypes plongent leurs racines dans l'insondable terreau de l'inconscient collectif, se révélant ainsi comme des instruments d'une puissance inégalée pour dévoiler les mystères des vérités psychologiques universelles, en suivant les parcours singuliers des personnages qui peuplent nos fictions.

Bien que les archétypes nous servent de canevas éprouvés, ils ouvrent également la porte à des flots d'innovation. L'écrivain, qu'il soit homme de lettres ou femme de plume, peut jouer à contre-courant des traditions, bouleversant les archétypes classiques pour tisser des intrigues et des arcs narratifs rafraîchissants et surprenants, et ainsi maintenir le lecteur/spectateur en haleine, émerveillé à chaque tournant.
Un Héros dont la quête se solde par un échec retentissant ou un Antagoniste qui trouve le chemin de la rédemption ; ce sont de tels renversements qui offrent des perspectives neuves et captivantes sur des rôles que l'on croyait figés.

Dans le miroir des archétypes, les contes trouvent une résonance avec les normes et les vertus de notre société, éclairant ou critiquant les pensées culturelles avec une grâce et une finesse dignes des plus belles séductions. Ces figures, pareilles aux reflets de notre univers, remettent en question nos convictions les plus intimes et nous poussent, à l'occasion, à sourire de nos propres folies ou à méditer sur nos valeurs les plus chéries.
Ces personnages archétypaux, semblables à des acteurs sur la scène mondiale, nous présentent une représentation vivante des mœurs et des convictions qui façonnent notre existence quotidienne. Les archétypes tels que le Rebelle ou le Souverain, utilisés dans la littérature et le cinéma, peuvent tant refléter que défier les réalités politiques et sociales, faisant de ces arts des moyens d'expression et de critique culturelle percutants.

Les archétypes ne sont pas seulement des outils pour créer des personnages engageants et accessibles ; ils sont également des mécanismes par lesquels les récits peuvent se connecter profondément avec la lectrice et le lecteur, explorer des thèmes universels et commenter la nature humaine et la société. Ces archétypes rendent les histoires accessibles et résonnantes, garantissant qu'elles portent un sens et un attrait à travers différents contextes et générations.

Le Témoin

Le Témoin dans un contexte narratif est un archétype qui agit principalement comme le substitut du lecteur/spectateur. Ce personnage ne mène souvent pas l'action principale mais l'observe, offrant des perspectives, des réactions et des commentaires qui correspondent à ce que la lectrice et le lecteur pourraient penser ou ressentir.

En voyant le monde de l'histoire à travers les yeux du Témoin, le lecteur et la lectrice acquièrent une perspective structurée sur les événements qui s'y déroulent, qui pourraient autrement être trop complexes ou trop chargés émotionnellement pour être interprétés directement. Le Témoin peut fournir une voix pondérée ou critique, ajoutant une épaisseur à la narration en mettant en lumière des thèmes, en soulevant des questions éthiques, ou en révélant des aperçus personnels ou sociétaux. Ce rôle renforce la connexion entre l'histoire et son lecteur/spectateur, rendant l'expérience plus proche et compréhensible.

La Bataille d'Alger, le concept du Témoin n'est pas tant incarné par un personnage unique que par l'expérience partagée du peuple algérien dans son ensemble, alors qu'il se bat pour obtenir son indépendance face à l'oppression coloniale française. Le film utilise un style quasi documentaire qui brouille les frontières entre fiction et réalité, plaçant ainsi le lecteur/spectateur dans la position de témoin des événements historiques.
Cette méthode plonge celui-ci dans la réalité émotionnelle et physique du conflit, favorisant une compréhension plus profonde des complexités et des brutalités de l'oppression coloniale et de la résistance contre celle-ci. Le lecteur/spectateur endosse le rôle de Témoin, ressentant pleinement l'intensité de la guérilla et des mesures de contre-insurrection françaises, qui sont représentées avec un réalisme saisissant. Ce témoignage informe non seulement une perspective historique mais suscite également une réflexion sur la nature de la violence et de l'aspiration à la liberté.

Blow-Up de Michelangelo Antonioni, le protagoniste, un photographe de mode, devient involontairement le Témoin à travers ses propres photographies. Après avoir pris des photos apparemment innocentes dans un parc, il découvre un meurtre potentiel en agrandissant ses photos, remarquant des détails qu'il n'avait pas vus lors de la prise de vue initiale. Ici, l'archétype du Témoin est exploré à travers un processus de découverte accidentelle et d'examen obsessionnel.
L'itinéraire du héros reflète l'expérience du lecteur/spectateur qui assemble les indices de l'intrigue. Son incertitude croissante quant à ce qu'il a vu reflète également les doutes du lecteur/spectateur sur la réalité et la perception, soulignant des thèmes d'ambiguïté et la nature insaisissable de la vérité. Ce film transforme l'acte passif de témoignage en une enquête active, mettant en lumière les limitations de la perception et les complexités de la réalité objective.

La Bataille d'Alger mobilise la perspective collective comme témoin, provoquant une réaction émotionnelle intense face aux enjeux historiques et politiques, tandis que Blow-Up explore l'importance de l'individu dans l'analyse et la critique du monde qui l'entoure. Dans chaque cas, la figure du Témoin est essentielle pour réduire la distance entre le lecteur/spectateur et les enjeux profonds du film, le plongeant dans une réflexion plus intense sur les récits présentés.

Le Double

L'archétype du Double est fréquemment employé dans la littérature et le cinéma pour examiner des sujets tels que l'identité, la dualité ou les aspirations secrètes. Ce personnage tend à refléter ou à contraster avec un autre, offrant ainsi un moyen d'enrichir la profondeur narrative et psychologique. Le Double peut prendre la forme d'un jumeau littéral ou d'un doppelgänger, incarnant une version alternative d'un personnage, ou de manière plus symbolique, une personne dont les caractéristiques amplifient ou soulignent les aspects essentiels du protagoniste.

L'archétype du Double remet souvent en question ou interroge l'identité du personnage principal en dévoilant une version alternative ou sombre. Cette confrontation incite le protagoniste à sonder plus profondément son propre sens de soi, engendrant un conflit intérieur marquant ou une transformation.
Dans de nombreux récits, le Double représente les traits que le personnage principal nie ou refoule. Ces éléments peuvent inclure des désirs inavoués, des craintes ou des facettes de leur personnalité qu'ils sont incapables ou peu disposés à exprimer. Au travers des interactions avec le Double, le personnage principal peut réussir à accepter ces aspects refoulés de sa propre identité.

Le Double, en sa qualité de rival ou d'antagoniste, peut animer l'intrigue d'une verve singulière, engendrant un conflit qui n'est pas sans éveiller les passions. Qu'il s'agisse de confrontations morales, philosophiques ou physiques, ce reflet, adversaire des desseins et actes de notre héros ou de notre héroïne, mène souvent à une joute finale des plus exquises.
Dans les méandres des récits, le Double nous invite à sonder les abysses de la philosophie, interrogeant la nature même de notre être, le mystère du libre arbitre, et les entrelacs complexes de notre psyché.

Ce personnage, par sa duplicité intrinsèque, enrichit l'histoire, lançant au protagoniste des défis de taille et captivant l'âme du lecteur/spectateur par ses méditations profondes sur la condition humaine et les subtilités des liens qui nous unissent.

L'archétype du Double trouve une expression profonde dans des films tels que La Double Vie de Véronique (1991) réalisé par Krzysztof Kieślowski et Vertigo (1958) réalisé par Alfred Hitchcock. Chacun de ces films utilise le concept du double pour explorer des thèmes complexes d'identité, de destin et de connexion humaine.

La Double Vie de Véronique, le double se manifeste dans la vie de deux femmes, Weronika et Véronique, qui vivent respectivement en Pologne et en France. Elles ne sont pas conscientes de l'existence de l'autre mais partagent un lien profond et mystérieux. Le film examine le concept du double en tant que reflet à la fois littéral et métaphysique, abordant le thème du doppelgänger et s'immergeant dans les questions spirituelles et existentielles liées aux vies parallèles.

La mort soudaine de Weronika en Pologne a un impact profond, bien que inexplicable, sur Véronique en France, la conduisant à ressentir inconsciemment la perte d'une partie d'elle-même. Ce film met en avant le double non seulement comme un dispositif narratif mais aussi comme une exploration profonde de la manière dont nos vies peuvent résonner avec des contreparties inconnues, soulevant des questions sur les rapports entre le choix, la conscience et le destin.

Vertigo, Alfred Hitchcock tisse avec maestria le motif du double, incarné par les figures de Madeleine et Judy, toutes deux interprétées par la même divine actrice, composant ainsi un récit d'une complexité envoûtante sur l'obsession et l'identité. Scottie, le personnage principal, se retrouve obsédé par Madeleine, qu'il pense être l'épouse d'un de ses amis. Après sa mort apparente, Scottie rencontre Judy, qui ressemble remarquablement à Madeleine.
Le coup de théâtre dévoile que Judy, en vérité, n'était autre qu'une habile imitatrice de Madeleine, jouant un rôle dans une sinistre machination meurtrière, digne des plus retorses intrigues amoureuses dont Don Juan lui-même aurait pu être le héros.

Dans ce thriller psychologique, le double sert de catalyseur pour explorer les thèmes de l'illusion et du réel, de la construction de l'identité et de la nature destructrice de l'obsession. La manipulation de Judy par Scottie pour la transformer de nouveau en Madeleine souligne la profondeur psychologique et l'horreur de tenter de recréer ou de posséder l'identité d'une autre personne.

Dans La Double Vie de Véronique, le concept de double va au-delà de la simple similitude physique, impliquant une connexion existentielle plus profonde qui transcende les limites géographiques. La connexion qui existe entre les deux personnages remet en question notre vision traditionnelle de l'individualité et laisse entendre que nos vies pourraient être plus interdépendantes que nous ne le pensions auparavant. La manière dont les destins parallèles sont dépeints dans le film nous amène à nous interroger sur la nature de nos choix : sont-ils réellement le fruit de notre propre volonté, ou font-ils partie d'une histoire plus vaste, peut-être même prédéterminée ?
Pendant ce temps, Vertigo (Sueurs froides) explore le tourment psychologique induit par le double. Le film illustre l'obsession de recréer un idéal perdu, un thème qui résonne avec la peur de la perte et l'incapacité de se détacher du passé. Le parcours de Scottie est une descente terrifiante dans la folie alors qu'il tente de modeler Judy à l'image parfaite de Madeleine, révélant finalement la futilité et le danger de tenter d'imposer ses désirs sur la réalité d'une autre personne. Cette manipulation remet non seulement en question la nature de l'identité, mais met également en lumière l'impact destructeur de la tentative de vivre selon une version idéalisée de soi-même qui pourrait ne pas vraiment exister.