Emmanuelle (1974) de Just Jaeckin

En pleine "Parenthèse enchantée" de de libération des moeurs, un certain Yves Rousset-Rouard, ancien notaire se rêve Producteur de cinéma et mise sur l'adaptation d'un roman oublié et sulfureux, censuré à sa sortie en librairie, "Emmanuelle" (1959) de Emmanuelle Arsan, qui fut actrice remarquée dans le chef d'oeuvre "La Canonnière du Yang-Tse" (1066) de Robert Wise. Le producteur propose la réalisation à un inconnu, Just Jaeckin jeune photographe de charme qui n'avait alors de l'expérience que dans la photo et dans la publicité. Pour le scénario le choix est porté sur Jean-Louis Richard, ex-époux de Jeanne Moreau et scénariste pour François Truffaut pour les films "La Peau Douce" (1963), "Fahrenheit 451" (1966), "La Mariée était en Noir" (1968) et "La Nuit Américaine" (1973). Pour un budget de 2,4 millions de francs (soit environ 2 millions d'euros 2022), le film devient un énorme succès surprise amassant près de 9 millions de spectateurs en France (sur environ !) et reste nettement le plus gros succès de l'année, mais est aussi un phénomène au niveau mondial avec 45 millions voir 150 millions de spectateurs selon les sources. Le film va aussi être servi par la nouvelle loi sur le classement X de 1975, le grand public va alors se retourner vers l'érotisme et "Emmanuelle" va devenir l'exemple type, le film précurseur vers un genre plus acceptable que le "X". Le succès est tel que le film devient culte et va rester à Paris plus de dix années à l'affiche. Le succès va permettre à Yves Rousset-Rouard de poursuivre sa carrière en produisant entre autre "Les Bronzés" (1978-1979) de Patrice Leconte et "Le Père Noël est une Ordure" (1982) de Jean-Marie Poiré, ainsi que le réalisateur Just Jaeckin qui va poursuivre dans l'érotisme avec son chef d'oeuvre "Histoire d'O" (1975), suivi entre autre de "Madame Claude" (1977) ou "Gwendoline" (1984) dont l'échec signe la fin de la carrière du réalisateur et le déclin du genre. Le film a été interdit au moins de 16 ans en France, mais au moins de 18 aux Etats-Unis par exemple... 

Emmanuelle est une jeune mariée avec Jean qui a une idée très libertine de leur relation. Emmanuelle se laisse séduire par cette manière d'aimer, de multiplier les expériences vers le plaisir et rechercher les différentes formes de désir... Emmanuelle est incarnée une inconnue, Sylvia Kristel jeune mannequin ayant été élue Miss TV Europe 1973, qui est apparue dans quelques films dont "Scènes de la Vie Amoureuse d'un Couple" (1973) de Pim de La Parra, qui a profiter du succès pour jouer ensuite dans "Un Linceul n'a pas de Poches" (1974) de Jean-Pierre Mocky et retrouvera Just Jaeckin pour "L'Amant de Lady Chatterley". Son époux est joué par Daniel Sarky aperçu sur grand écran dans "Bye Bye Barbara" (1969) de Michel Deville, "Impossible... Pas Français" (1974) de Robert Lamoureux ou plus tard dans "L'Addition" (1984) de Denis Amar. Parmi les belles citons Marika Green (tante de Eva Green) vue dans "Pickpocket" (1959) de Robert Bresson ou "Le Passager de la Pluie" (1969) de René Clément, Jeanne Colletin vue dans "Trois Enfants dans le Désordre" (1966) de Leo Joannon ou "Traitement de Choc" (1973) de Alain Jessua, et Christine Boisson qui enchaîne avec "Le Mouton Enragé" (1974) de Michel Deville et "Flic Story" (1975) de Jacques Deray et réussira à moins se déshabiller par la suite comme dans "Rue Barbare" (1984) de Gilles Bréhat, "Les Marmottes" (1993) de Elie Chouraqui ou "Le Bal des Actrices" (2009) de Maïwenn. Puis n'oublions pas le "mentor" incarné par Alain Cuny, grand acteur vu notamment dans "Les Visiteurs du Soir" (1942) de Marcel Carné, "Notre-Dame de Paris" (1956) de Jean Delannoy, ou "La Dolce Vita" (1960) et "Satyricon" (1969) tous deux de Federico Fellini ; pour l'anecdote, vu le genre du film l'acteur a exigé que son nom n'apparaisse pas au générique, mais ensuite vu le succès se révolta parce que son nom n'était pas assez visible sur l'affiche... Notons la célèbre chanson signée Pierre Bachelet qui compose aussi la B.O. du film avec un petit bémol, puisqu'il s'est avéré qu'une des mélodies du film est un plagiat de "Larks' Tongues in Aspic" du groupe britannique King Crimson qui aura gain de cause en justice... Le film suit donc Emmanuelle, une jeune épouse qui "aime faire l'amour" selon son époux qui assume un libertinage au point de pousser son épouse à expérimenter elle aussi les différents plaisirs que le corps à corps permet. Emmanuelle/Kristel se montre prude ou sage mais ça dure quelques secondes et s'avère finalement peu farouche. Ce qui gêne c'est justement cette fausseté constante de vierge effarouchée alors qu'il faut 2-3 secondes pour qu'elle s'ouvre aussi facilement qu'une péripatéticienne.

Le film est doté de nombreuses scènes de sexe, mais jamais vulgaires ou grossières, jamais explicites on reste bel et bien dans un érotisme soft plus ou moins sensuel. On est plus déçu par les actrices, pas franchement jolies ou désirables mais ceci est évidemment subjectif, ces femmes maigrichonnes sont sans doute dans les canons de beauté de l'époque même si on pense pourtant à des stars de cinéma contemporaines bien plus désirables. Les scènes de sexe sont entrecoupées de palabres pseudo-philosophiques sur le sexe et l'amour, faisant surtout abstraction des sentiments pour le plaisir essentiel de la chair. Ne cherchons pas le propos profond, il s'agit d'émoustiller, ou plutôt d'ouvrir les horizons à quelque chose de différent à la routine conjugale, à plus de liberté des moeurs. Le film reste peu ambitieux en réalité, et artistiquement Just Jaeckin fera mieux avec "Histoire d'O" (1975). Néanmoins, en étant le premier succès international du genre le film reste cultissime, lancera la carrière du producteur, du réalisateur et de son actrice même si ces deux derniers resteront dans le genre, le premier restera cloisonné sans avoir pu évolué, la seconde restera identifiée à son rôle (jusqu'à "Emmanuelle 4" en 1984, les trois suites suivantes se feront sans elle) malgré quelques tentatives  et resteront ainsi cloisonnés. Un film qui est surtout devenu une curiosité, mais assez mythique pour qu'un remake soit annonccé pour cette année avec "Emmanuelle" (2024) de Audrey Diwan avec Noémie Merlant... A suivre... 

Note :                 

Emmanuelle (1974) Just Jaeckin

09/20