De quoi ça parle ?
Du rêve de Liane (Malou Khebizi), une adolescente qui aimerait s’extirper de son cadre de vie étriqué pour devenir influenceuse et star de télé-réalité.
La jeune fille habite dans une petite maison du sud de la France, avec sa petite soeur. Leur mère les laisse souvent livrées à elles-mêmes pendant qu’elle cherche du travail ou qu’elle écume les bars dans l’espoir de se trouver un mec correct. Comme aucune de ces stratégies n’aboutit jamais, Liane a décidé de prendre son destin en main et ne compter que sur elle-même. Elle a choisi de cultiver sa beauté pour en faire son atout majeur et se vendre sur Instagram ou TikTok. Elle façonne son image en prenant chaque jour le temps de se pomponner et se maquiller, une zone après l’autre, pour être parfaite face à la caméra de son smartphone et enregistrer des vidéos qui lui attireront de nouveaux followers. Pour financer les produits de beauté dont elle a besoin ou, plus rarement, les opérations de chirurgie esthétiques qui pourront faire d’elle la ”french Kardashian”, elle commet de menus larcins dans des magasins et revend son butin dans les cités HLM de Fréjus.
Pour accélérer les choses, elle a aussi envoyé des vidéos à une société productrice de téléréalité, dans l’espoir d’être retenue pour une grande émission du style de “L’Ile de la tentation”. Son obstination finit par payer. Un beau jour, elle reçoit une invitation à passer le casting de l’émission. La directrice de casting lui indique qu’elle a aimé ses vidéos et qu’elle a le potentiel pour devenir une des figures du programme, à condition de “jouer le jeu”, sous entendu ne pas se montrer farouche avec les garçons et être capable de créer des scandales durant l’émission, en se crêpant le chignon avec les autres filles. Cela n’effraie pas Liane, bien décidée à se donner les moyens de réussir.
Persuadée que sa voie est toute tracée, l’adolescente prépare son départ. Elle arrête ses études, investit dans des vêtements de marque qui la mettront en valeur lors de l’émission. Liane reste constamment focalisée sur son objectif, persuadée qu’elle a quelque chose en plus que les autres. Mais plus les jours passent, plus la réponse de la directrice de casting se fait attendre et plus les certitudes de la jeune femme se retrouvent ébranlées. Ses amies se détournent d’elle, lui reprochant son narcissisme. Ses proches tentent de la décourager, ne la croyant pas vraiment capable de devenir connue par ce biais-là. Et les retrouvailles avec un ancien camarade d’enfance, fou amoureux d’elle, dont les rêves de réussite sont plus modestes et peut-être plus réalistes, l’incitent également à douter.
Pourquoi gemme beaucoup?
Disons-le tout de suite, les émissions de téléréalité où des bimbos écervelées, gonflées à l’hélium, s’embrouillent avec des petits cons aussi bodybuildés que bas du casque, ne sont pas du tout notre tasse de thé, et on ne comprend pas vraiment ce que des spectateurs peuvent trouver intéressant à ce cirque médiatique. Idem pour la mode des influenceurs et influenceuses. Il est assez étonnant de voir que des inconnus arrivent à captiver des milliers de personnes simplement en paradant devant leur smartphone, mais force est de constater que cela fonctionne et que le business est plutôt juteux pour ceux qui arrivent à s’imposer et se maintenir au sommet des réseaux sociaux.
On n’était à priori pas forcément emballés par la perspective de voir les coulisses de ce milieu-là, ni par celle de suivre le quotidien d’une influenceuse. Pourtant, Agathe Riedinger réussit à nous faire nous intéresser au sujet, en faisant voler en éclats les stéréotypes et en adoptant un point de vue parfaitement neutre, ne jugeant jamais sa jeune héroïne.
Il faut dire que Liane est assez fascinante. On n’aurait pas forcément envie de la fréquenter de prime abord, avec ses airs de diva et son tempérament volcanique, prêt à remettre en place toute personne qui lui manquerait de respect. Mais il y a quelque chose, chez elle, qui force l’admiration. Peut-être sa foi inébranlable en elle-même et en ses chances de succès. Ou peut-être sa force de travail et tous les efforts qu’elle consent pour atteindre ses objectifs. Car Agathe Riedinger montre bien tous les efforts qu’il faut fournir pour mener cette vie publique. Il faut déjà travailler sur sa beauté physique, l’entretenir grâce à une routine de soins qui ferait halluciner même les plus acharnées des adeptes de la J ou de la K Beauty, appliquer les produits de maquillage comme il faut, en respectant l’ordre d’application, en suivant à la lettre les tutoriels sur les réseaux. Si nécessaire, Liane est même prête à passer par de la chirurgie plastique. Elle a déjà refait ses seins, injecté un peu d’acide hyaluronique pour repulper ses lèvres, et compte ajouter aussi des implants fessiers pour réaliser des twerks encore plus sensuels.
Etre belle ne suffit évidemment pas pour se faire connaître, car la concurrence est rude. Des milliers de gamines rêveraient de pouvoir gagner leur vie uniquement grâce à leur image et leurs followers, mais peu arrivent à briser le plafond de verre qui les feraient passer dans la catégories des stars des réseaux. Liane, elle, vise grand. Elle élabore des stratégies de communication, doit sans cesse créer de nouveaux contenus, se mettre en scène et se réinventer. Un job à plein temps, dur, exigeant, où le moindre faux-pas pourrait avoir des conséquences délétères sur sa notoriété. Pour son jeune âge, sans avoir suivi d’études, Liane gère sa petite entreprise de façon plutôt sensée et efficace. Même si elle ne possède pas les fonds pour réaliser toutes les opérations dont elle rêve, la jeune femme s’adapte. Elle trouve des solutions parfois discutables sur le plan légal ou sur le plan sanitaire (le tatouage qu’elle réalise elle-même n’est pas forcément l’idée du siècle), mais qui lui permettent constamment d’avancer.
En fait, le quotidien de Liane est à la fois celui d’un parfait entrepreneur, forcé de chercher des opportunités de développement, et d’une athlète de haut niveau, contrainte de préparer son corps pour être performante.
On pourrait aussi faire le parallèle avec une danseuse. D’ailleurs, la danse est importante pour la stratégie de communication de l’adolescente, et c’est cela qui, finalement, va l’aider à se faire remarquer. Face au film d’Agathe Riedinger, on pense forcément un peu (voire beaucoup) au Fish Tank d’Andrea Arnold, qui avait beaucoup plu au jury cannois en 2009. On retrouve la même structure narrative – une ado qui cherche à s’extirper de son milieu modeste grâce à son talent – le même contexte social – un milieu pauvre, une structure familiale monoparentale où la communication est heurtée, et la même énergie dans l’interprétation.
Comme Katie Jarvis dans le film britannique susnommé, Malou Khebizi est formidable dans la peau de cette jeune femme au caractère bien trempé et à la foi affirmée, mais présentant aussi une certaine fragilité, un côté encore naïf et enfantin. De toutes les scènes, ou presque, elle crève l’écran et porte à elle seule le film, grâce à son incroyable force de conviction.
Mais la comparaison s’arrête là. Car Agathe Riedlinger s’amuse aussi à dynamiter les poncifs scénaristiques. Dans un tel récit, on s’attend à ce que les choses virent assez vite au drame. On ne peut s’empêcher de penser qu’il va arriver malheur à Liane, qu’après lui avoir fait miroiter la gloire, la société de production va l’oublier ou la délaisser pour une autre bimbo encore plus pulpeuse, ou plus en phase avec la ligne éditoriale du programme. On observe avec une pointe d’appréhension les hommes lui tourner autour, ceux des cités, qui la harcèlent quotidiennement, ou ceux qui la croisent en boîte de nuit, qui posent sur son corps des regards lubriques. Ici, la cinéaste réussit à mener sa barque sans éluder tous les problèmes que la jeune influenceuse pourrait rencontrer au cours de sa carrière (revers de fortune, mauvaises rencontres, argent facile…), mais sans chercher non plus à lui fermer les portes de la réussite.
Ce Diamant brut s’avère finalement joliment taillé pour la compétition cannoise, révélant au moins deux talents, celui d’Agathe Riedinger et celui de Malou Khebizi. Puisqu’on a cité Fish Tank, souhaitons-lui au moins la même réussite. Le film d’Andrea Arnold (encore en compétition cette année avec Bird) avait remporté le Prix du Jury.
Contrepoints critiques :
”Portrait d’une adolescente en attente éperdue d’une réponse après un casting, le premier long métrage d’Agathe Riedinger s’impose par son approche habile, entre empathie et critique.”
(Louis Guichard – Télérama)
”Autrement dit, le carbone, c’est le personnage, et le diamant qui en émerge, grâce à l’action de la cinéaste, c’est le film. Comment dès lors s’étonner que ce dernier soit en toc ?”
(Josué Morel – Critikat)
Crédits photos : copyright Silex films – images fournies par le Festival de Cannes