Non mais vous avez déjà vu ça? En pleine paix relative de mi-festival, quand on prend son rythme de croisière? On chante avec Audiard (fils) et puis crac un bourre-pif! Voire deux! Ah non, on n’était pas tout à fait prêt! Pas préparé à l’expérience que constitue The Substance de Coralie Fargeat, surtout dans le cadre de la compétition officielle du Festival de Cannes.
Certes, il y a souvent eu, dans l’histoire du festival, des films pour électriser l’assistance, Même à l’époque où la compétition cannoise avait une image un peu académique, où les sélections étaient composées majoritairement de films d’art et d’essai pointus, on trouvait toujours un ou deux films plus rock’n roll venant secouer le public, comme Pulp fiction ou Sailor et Lula. Souvent des gagnants de Palme d’Or, d’ailleurs. Il y a deux ans, la scène centrale de Sans filtre avait dégoûté plusieurs spectateurs. Et il y a trois ans, des projections de Titane, future Palme d‘Or, avaient été perturbée par des spectateurs ayant fait un malaise, effrayés par certaines scènes de violence. Alerte rouge! Préparez les ambulances. Car à côté du final de The Substance, les films précités font figure d’oeuvres très mesurées, d’un raffinement exquis. Plus sérieusement, quelqu’un sait quel est le film le plus sanglant de l’histoire du cinéma? Celui qui a nécessité le plus de fausse hémoglobine? Braindead de Peter Jackson? Ca ? Evid dead rise? A notre avis, le final du film de Coralie Fargeat doit tutoyer le record…
Pourtant, pendant environ deux heures, le récit reste relativement “sage”. L’intrigue est bizarre, d’accord. Elle suit les tourments de Liz (Demi Moore), ancienne star de cinéma dont l’étoile sur le walk of fame a fini par pâlir. L’actrice a pourtant su rebondir en bénéficiant d’une seconde carrière à la télévision, comme animatrice d’une émission de fitness. Seulement voilà, Liz vient de fêter ses cinquante ans. Pour son producteur, c’est l’année de trop, le cap fatidique, et donc le moment de se séparer d’elle pour la remplacer par quelqu’un de plus jeune et plus sexy. Chamboulée par ce licenciement brutal, mais aussi par le constat des effets de l’âge sur sa peau, Liz subit un accident de la route et doit être hospitalisée quelques heures. Là, un jeune médecin lui glisse dans la poche une clé USB, lui donnant des indications pour suivre un programme de recherche secret appelé “The Substance” et reposant sur une technologie révolutionnaire. L’idée est de s’injecter une substance qui accélère la division cellulaire, permettant de générer un clone plus jeune et plus énergique, une version améliorée de soi même qui pourra vivre sans contrainte pendant que le corps d’origine, la matrice, se repose et se régénère. Mais le dispositif impose de respecter quelques règles. Déjà, respecter le protocole d’initialisation, à usage unique. Puis s’injecter chaque jour une dose de stabilisateur et switcher de corps tous les sept jours, pour trouver le bon équilibre entre les deux corps. Car, comme le rappelle le mystérieux responsable du projet, les sujets ne doivent jamais oublier que ces deux entités organiques ne sont qu’une seule et même personne. Liz débute le programme et donne naissance à un clone baptisé “Sue” (Margaret Qualley) qui récupère sa place vacante à la télévision et devient la nouvelle coqueluche du public. Evidemment, on se doute que les règles vont finir par être brisées… Liz, perturbée psychologiquement, perd les pédales et les deux entités organiques deviennent de plus en plus autonomes. Sue, désireuse de profiter pleinement de sa jeunesse, retarde de plus en plus pour effectuer le switch hebdomadaire, ce qui n’est pas sans conséquences sur le corps de Liz. Cette dernière se met à haïr cette “autre” et cherche à se venger, dans une escalade dangereuse pour la santé du corps matriciel.
Jusque là, on reste dans une horreur plutôt “psychologique”, à la façon des meilleurs films de David Cronenberg, ou une évocation de la folie semblable à celle de Jack Nicholson dans Shining, auquel les références sont assez évidentes.
Or Coralie Fargeat choisit, pour sa dernière demi-heure de passer à une horreur plus radicale et plus graphique. Sur le coup, on est un peu déçu de ce choix de verser dans le grand guignol, pas forcément très utile. Mais sa détermination à pousser les curseurs très loin dans le gore, le déluge d’hémoglobine et la monstruosité finissent par nous emporter. Il est clair que tout le monde ne va pas apprécier ce dénouement dantesque, mais là encore, il fallait oser le faire. On ne sait pas si le jury osera lui donner une Palme d’Or. En tout cas, ce sera assurément la Palme gore de l’année!
Avant cela, nous avons vu une femme battue rendre la monnaie de sa pièce à son salaud de mari, à coups de pelle. Il veut manger, le gugusse? Bam! Prends-toi déjà ça dans les dents! Puis ses voisines du dessous ont eu la bonne idée d’empaler le type de l’immeuble d’en face, un bel exemple de la masculinité toxique n’ayant toujours pas compris la notion de consentement. Tout ceci est au menu du film de Noémie Merlant, Les Femmes au balcon, présenté en séance de minuit. Voilà encore une oeuvre atypique, qui n’hésite pas à mélanger les genres et bousculer les conventions. C’est à la fois une comédie, un drame, un thriller et on y trouve même des éléments fantastiques. Tout ça dans un seul film, et presque à huis-clos, puisque toute l’action est concentrée entre deux petits immeubles marseillais. L’idée est surtout de détourner les clichés et de mettre en scène des personnages féminins forts, qui ont le contrôle sur leurs vies et leurs désirs. Sanda Codreanu incarne une auteure qui tente de trouver l’inspiration en fantasmant sur le bellâtre qui vient de s’installer dans le quartier – pour une fois, c’est l’homme qui est érotisé et objet de fantasme. Sa colocataire, jouée par Souheila Yacoub, assume sa féminité et son pouvoir de séduction. C’est comme cela qu’elle gagne sa vie, en faisant des shows érotiques devant sa webcam. Noémie Merlant complète elle-même le trio en jouant une actrice déjantée, experte pour faire son cinéma et sa diva, mais qui perd ses moyens face à son mari, insupportable, crampon, égocentrique et jaloux. Il reste de la place dans la poubelle? Porté par l’énergie du trio d’actrices et une mise en scène virevoltante, tirant parti de la configuration des lieux. Une jolie réussite.
Nous avons aussi eu droit à des pionniers scalpés par des indiens belliqueux, et des apaches criblés de balles par des cowboys revanchards, plus quelques éclats de violence dans le nouveau film de Kevin Costner Horizon : Une saga américaine, chapitre 1, une grande fresque sur la conquête de l’Ouest. Du moins, surtout au début du film, qui voit les indiens attaquer un campement, à l’emplacement où les colons ont décidé d’installer une nouvelle ville, baptisée Horizon. Après cela, l’action se fait plus rare. On comprend que le cinéaste n’a pas voulu réaliser un nouveau western, mais une oeuvre plus ample, plus ambitieuse. Une vraie saga, comme l’indique le titre français. Ainsi, Costner cherche à tisser une ribambelle d’intrigues secondaires, impliquant beaucoup de nouveaux personnages. Il tente tant bien que mal de donner un peu de temps à chacun, d’équilibrer les temps de présence à l’écran, de diversifier les points de vue. Mais il y a sans doute trop de matière, trop de fils narratifs différents à relier. Comme le rythme de la mise en scène est très lent, on finit par trouver le temps un peu long. Le seul moment où tout s’accélère, c’est à la toute fin, quand le cinéaste nous propose un aperçu des deux épisodes suivants (il y aura en tout 3 épisodes de 3h…). Le montage se fait plus vif, la musique s’emballe. Mais les images, elles, semblent rester assez similaires à ce qu’on vient de subir, impliquant toujours plus de personnages, plus de blabalas, mais peu d’action.
Plutôt que neuf heures de ce calibre, on peut éventuellement choisir de voir ou revoir la version longue de La Porte du Paradis, de Michael Cimino… En attendant, cette projection a surtout permis au Festival d’accueillir Kevin Costner et à la Ministre de la Culture de lui remettre la médaille du Chevalier des Arts & Lettres.
Dans Limonov, Kirill Serebrennikov adopte une stratégie totalement inverse à celle de Kevin Costner. Pour parler des remous géopolitiques de la fin du XXème siècle, il choisit de s’intéresser à un seul personnage, mais à forte personnalité, l’écrivain et activiste russe Edouard Limonov, et de capitaliser sur sa mise en scène, toujours inventive et rythmée, qui permet d’assurer des transitions rapides et fluides entre chaque chapitre, d’accélérer la chronologie ou encore d’entremêler la vie privée du personnage et ses écrits. Cela donne, par exemple, un formidable plan-séquence dans les rues de New York, qui évoque à la fois la passion de Limonov pour Lou Reed et le Velvet Underground, ses poèmes newyorkais et une scène-clé de Taxi driver ou encore une visite éclair des années 1980 en quelques secondes, en suivant le personnage en train de chambouler des éléments du décor, une façon de signifier la chute du Mur de Berlin et le retour au pays de l‘écrivain.
Serebrennikov confirme tout le bien que l’on pense de lui, après Leto, La Fièvre de Petrov et La Femme de Tchaïkovski. Son talent de metteur en scène est indéniable et l’énergie qu’il met dans chaque film est incroyable. Il parvient ici, bien aidé, il est vrai par Ben Whishaw, à nous intéresser à un personnage assez insupportable, hautain, bravache, égocentrique à l’excès et obsédé par la notoriété. Sans parler de ses idées politiques mouvantes et souvent douteuses.
Sans doute le cinéaste se reconnaît-il un peu dans le côté insaisissable du personnage, son anticonformisme et sa façon de ne vivre que pour son art, en louvoyant entre les étiquettes que certains cherchaient à lui coller.
Enfin, terminons En fanfare avec le nouveau film d’Emmanuel Courcol. On y suit Thibault (Benjamin Lavernhe), chef d’orchestre réputé, qui voit sa santé décliner brusquement. Son seul espoir de survie passe par une greffe de moelle osseuse. IlEn cherchant un donneur au sein de sa famille, il découvre qu’il a été adopté et qu’il possède un frère, Jimmy (Pierre Lottin), qui vit dans une petite ville du nord. Par la force des choses, ils apprennent à se connaître et se découvrent comme point commun la passion de la musique. Jimmy n’évolue pas au même niveau que son frère, mais joue du trombone dans la fanfare de la ville. Celle-ci se prépare à un concours déterminant pour son avenir et dont l’issue pourrait redonner du baume au coeur des travailleurs de la seule usine du coin, en grève après des menaces de délocalisation de leur outil de travail. Quand le chef de la fanfare ne peut plus assumer son rôle, Jimmy demande à Thibault un coup de main pour les diriger. Mais tout be va pas se dérouler tout à fait comme prévu…
Sur le papier, on se dit qu’un tel projet pourrait donner un film bien indigeste, dégoulinant de pathos et de bons sentiments. Mais à l’écran, cela fonctionne plutôt bien. Le film écarte bien vite la partie mélodramatique pour se concentrer sur la comédie sociale, dans la tradition du cinéma britannique (on pense forcément, ici, au film de Mark Hermann, Les Virtuoses) et sur l’aventure collective musicale. Cela donne un joli film, tendre et drôle, aux personnages attachants.
Pour une fois, le public semblait assez unanimement apprécier l’oeuvre, longuement applaudie après sa projection, dans la section Cannes Premières. Il faut dire aussi que l’équipe du film avait amené du renfort : la véritable fanfare qui joue la musique du film…
Allez, un peu de musique pour finir, ça adoucit les moeurs, paraît-il… Mais pas de Sardou, hein! Déjà qu’on doit se taper la musique ringarde des fêtes tout le long de la Croisette, n’allons pas trop loin… Ne déconnez pas avec ça, sinon, on rappelle les femmes au balcon, histoires qu’elles ajoutent quelques pièces à leur collection… Comme le précise le dicton : “Femmes au balcon, Michel au tison”.
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.