La Pianiste (2001) de Michael Haneke

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après une trilogie, déjà marquante, le réalisateur autrichien Michael Haneke a passé un cap plus formel avec "Funny Games" (1997) et après une première expérience hors de son pays avec "Code Inconnu" (2000) il a déposé ses valises en France et pour la première fois enchaîne aussitôt le tournage suivant avec l'adaptation du roman éponyme (1983) de Elfriede Jelinek (qui sera Prix Nobel de littérature 2004), pour une histoire qui lui permet d'aborder d'autres sujets que ses films autrichiens en proposant le rôle principal à Isabelle Huppert, star qui avait refusé le rôle de la mère pour "Funny Games" (1997), et qui cette accepte  ; rappelons que l'actrice a joué dans le film "Malina" (1991) de Werner Schroeter qui était déjà adapté d'une oeuvre de Elfriede Jelinek. Le film est un nouveau choc, abordant des thématiques taboues comme le sado-masochisme. Le film est présenté au Festival de Cannes où il divise mais récolte pas moins de trois prix, les prix d'interprétations et le Grand Prix du Jury ; ce qui poussera d'ailleurs le Festival à durcir le réglement ensuite pour éviter que cela se reproduise. Au casting, le cinéaste avait proposé le rôle de la mère à Jeanne Moreau avant qu'elle ne se ravise juste avant le tournage, c'est ainsi que Annie Girardot la remplacera au pied levé ce qui lui vaudra le César du meilleur second rôle féminin. Si la violence est différente que dans les précédents films de Haneke le film reste difficile et est logiquement interdit au moins de 16 ans... Erika Kohut a l'air sévère et coincé, vieille fille qui vit encore avec sa mère possessive et inquisitrice, mais elle est aussi une professeure de piano réputée du Conservatoire de Vienne. Sans plaisir et dans une vie routinière entre la musique et une mère envahissante Erika s'octroie parfois des séances dans des sex shop et s'adonne à des séances masochistes. Un jour elle rencontre le jeune et beau Walter Klemmer, pianiste déjà doué qui semble être séduit sincèrement par Erika. Si au départ elle se refuse à lui, elle finit par lui imposer ses désirs qui occultent toute sensualité ou toute sensiblerie... 

La pianiste Erika est incarnée par Isabelle Huppert qui retrouvera Haneke dans "Le Temps du Loup" (2003), "Amour" (2012) et "Happy End" (2017), puis retrouve après "Docteur Françoise Gailland" (1976) de Jean-Louis Bertucelli sa partenaire et mère pour la seconde fois Annie Girardot star de "Rocco et ses Frères" (1960) de Luchino Visconti, "Un Homme qui me Plaît" (1969) de Claude Lelouch ou "Mourir d'Aimer" (1971) de André Cayatte qui retrouvera également Haneke pour "Caché" (2005). Le jeune Walter est joué par Benoît Magimel révélé tout jeune dans "La Vie est un Long Fleuve Tranquille" (1988) de Etienne Chatiliez et qui est devenu un acteur de premier plan avec "Les Enfants du Siècle" (1999) de Diane Kurys, "Le Roi Danse" (2000) de Gérard Corbiau et "Selon Mathieu" (2000) de Xavier Beauvois. Citons ensuite deux acteurs qui retrouve Haneke après "Le Septième Continent" (1988) et "71 Fragments d'une Chronologie du Hasard" (1995), Udo Samel qui jouera également dans "Silentium !" (2004) de Wolfgang Murnberger avec son partenaire Georg Friedrich qui sera aussi dans "Le Temps du Loup" (2003), Udo Samel retrouve aussi après le téléfilm "Le Château" (1997) l'actrice Susanne Lothar qui retrouvera de son côté Georg Friedrich dans "Import/Export" (2007) de Ulrich Seidl, et qui retrouve et retrouvera surtout Haneke dans "Funny Games" (1997) et "Le Ruban Blanc" (2009). Citons ensuite Anna Sigalevitch vue plus tard dans "Le Voyage du Ballon Rouge" (2007) de Hou Hsiao-Hsien ou "Belle Epine" (2010) de Rebecca Zlotowski et retrouvera Isabelle Huppert dans "Copacabana" (2010) de Marc Fitoussi. Et enfin n'oublions pas une toute petite apparition, la première d'une jeune actrice qui est Eva Green qui sera surtout révélée dans "Innocents : the Dreamers" (2003) de Bernardo Bertolucci... La musique est très présente dans le film, si Erika/Huppert est partiulièrement adepte du compositeur Franz Schubert on peut entendre les plus grands avec Chopin, Beethoven, Rachmaninov, Bach ou Haydn. Par là même, Benoît Magimel qui ne savait pas jouer a dû apprendre durant quatre mois intensif, alors qu'a contrario Isabelle Huppert a eu plus de facilité puisqu'elle avait déjà 12 ans de piano derrière elle. C'est le premier film de Haneke où il n'use pas d'une ouverture longue, redondante et évocatrice d'une certaine routine ou d'un certain ennui. Cette fois le film démarre vite par une crise aussi froide que déchirante qui impose un climax austère et malaisant. D'emblée on se dit que vivre comme une ado attardée depuis toujours auprès d'une père castratrice ne peut évidemment pas donné toute latitude à l'épanouissement d'une femme. Un petit appartement où il est impossible d'avoir son intimité, un métier où il faut de la discipline et de la méthode et on comprend peu à peu que Erika compense sa frustration par des séances au sex shop et une mutilation intime dangereuse.

La frustration de Erika est aussi dans sa manière de donner ses cours où elle est méprisante et cruelle mais toujours quand il n'y a pas de témoin. Le jeune Walter qui est tout le contraire va pourtant séduire et se laisser séduire jusqu'à cette lettre fatidique qui va le perdre dans ses sentiments. Isabelle Huppert incarne une femme frustrée, sans aucun doute malheureuse, qui n'a jamais su devenir libre et indépendante. La mère castratrice est sans doute fautive, une mère jalouse et envieuse qui a clairement peur que sa fille puisse la quitter. Le désir et la chair pervertie par un emprisonnement émotionnel insidieux qui a créé des failles psychologiques béantes jusqu'à une violence dont Erika n'a plus le contrôle. Le trio d'acteurs seront tous primés pour leur performance, Magimel est alors au sommet de sa beauté de jeune éphèbe, Girardot est déchirante en mère apeurée et égoïste, Huppert est aussi froide que glaciale comme si elle n'avait plus de chaleur ni dans le coeur ni dans le corps. La performance de l'actrice est dès la sortie du film saluée par tous au point qu'elle était pressentie à l'Oscar, si seulement son distributeur américain n'avait pas omis de remplir de dossier d'inscription ! Aux Etats-Unis ce rôle est considéré comme le plus emblématique de sa carrière. Malgré des séquences malaisantes, la violence est moins gratuite que dans ses précédents films, les personnages sont psychologiquement plus intéressants, plus profonds et surtout, ce qui est agréable, le cinéaste n'abuse cette fois pas de passages trop longs et trop inutiles. Résultat, "La Pianiste" est son film le plus abouti en ce début de millénaire. Un film difficile mais dont la détresse d'une femme émeut autant qu'elle terrifie.

Note :                 

17/20