Emilia Perez (2024) de Jacques Audiard

10ème long métrage de Jacques Audiard depuis "Regarde les Hommes Tomber" (1994) et après "Les Olympiades" (2021). Le cinéaste a commencé à travailler sur ce projet juste après "les Frères Sisters" (2018) en lisant le roman "Ecoute" (2018) de Boris Razon : "J'ai lu un roman de Boris Razon, avec un chapitre sur un personnage de narcotrafiquant qui voulait faire sa transition. Ce n'était pas développé et je me suis permis de le faire." Le producteur-réalisateur-scénariste signe son premier scénario en solo mais il a tout de même collaboré avec Léa Mysius réalisatrice de "Ava" (2017) et "Les Cinq Diables" (2022) qu'il retrouve après "Les Olympiades" (2021), puis avec Thomas Bidegain réalisateurs de "Les Cowboys" (2015) et "Soudain Seuls" (2023) qu'il retrouve pour la 5ème fois depuis "Un Prophète" (2009). Le film est une production 100% française mais est tourné en espagnol, langue maternelle de ses acteurs et logique pour une histoire mexicaine. Le film est présenté au Festival de Cannes 2024 où il remporte le Prix d'interprétation féminine pour l'ensemble de ses quatre actrices principales ainsi que le Prix du Jury. Notons que le film sort en salles officiellement fin août 2024, pour correspondre à la sortie du roman annoncé écrit par Boris Razon sans qu'on connaisse à ce jour le niveau de collaboration entre Audiard et le romancier... Surqualifiée et surexploitée, Rita est une avocate talentueuse mais qui reste dans l'ombre d'un cabinet enclin à blanchir les criminels. Mais après une affaire qui lui laisse un goût amer, un chef de cartel lui propose de devenir riche si elle lui organise sa disparition légale en devenant une femme, celle qu'il a toujours rêvé d'être. Rita accepte et organise tout de A à Z jusqu'à l'exil de son épouse et de ses deux enfants. Quelques années après, Rita est de nouveau contacter pour une nouvelle organisation familiale et peut-être un peu plus... 

Le caïd du cartel et future Emilia Perez est incarnée par Karla Sofia Gascon, qui est née Carlos Gascon avant sa transition à partir de 2018 et vu auparavant dans des séries TV comme "Corazon Salvaje" (2009-2010) ou "Llena de Amor" (2010-2011) et dans des films comme "Box 507" (2002) ou "Nosotros los Nobles" (2013). L'épouse est interprétée par Selena Gomez vue entre autre dans "Spring Breakers" (2012) de Harmony Korine, "The Dead Don't Die" (2019) de Jim Jarmush ou "Un Jour de Pluie à New-York" (2019) de Woody Allen. L'avocate est jouée par Zoe Saldana vu récemment dans deux de ses rôles emblématiques dans "Avatar : la Voie de l'Eau" (2022) de James Cameron et "Les Gardiens de la Galaxie Vol.3" (2023) de James Gunn, elle retrouve après "Angles d'Attaque" (2008) de Pete Travis son partenaire Edgar Ramirez déjà vu en lien avec les narcotrafiquants comme dans "Carlos" (2010) et "Cuban Network" (2019) tous deux de Olivier Assayas ou "Cartel" (2013) de Ridley Scott. Citons ensuite la nouvelle amante jouée par Adriana Paz aperçue dans "Tijuana Bible" (2020) de Jean-Charles Hue ou "L'Un de nous doit Mourir" (2023) de Manolo Cardona, puis le chirurgien est interprété par Mark Ivanir qui a débuté dans "La Liste de Schindler" (1993) de Steven Spielberg et qui retrouve Zoe Saldana après "Le Terminal" (2004) de Spielberg également. Citons encore James Gerard aperçu dans diverses séries TV ou dans le film "Elle s'appelait Sarah" (2010) de Gilles Paquet-Brenner, Shiraz Tzarfati vue dernièrement "Il n'y a pas d'Ombre dans le Désert" (2024) de Yossi Aviram, Eduardo Alagro apparue dans "The Goya Murders" (2020) de Gerardo Herrero, Anabel Lopez aperçue dans "Les Envoûtés" (2019) de Pascal Bonitzer ou "On est fait pour s'Entendre" (2021) de et avec Pascal Elbé... Notons que le compositeur du film est Clément Ducol, ami du producteur et surtout conjoint de la chanteuse Camille qui s'est alors jointe au projet pour écrire les chansons. Rappelons que Camille a déjà travaillé pour le cinéma, comme actrice comme récemment dans "Pulse" (2023) de Aino Suni et comme autrice-compositrice comme sur "9 Mois Ferme" (2013) de et avec Albert Dupontel ou "Corsage" (2022) de Marie Kreutzer... Rappelons que ce nouveau film de Audiard est aussi une comédie musicale d'où l'importance de la musique et des chansons, comme des chorégraphies signées de Damien Jalet déjà oeuvré au cinéma sur le film "Suspiria" (2018) de Luca Guadagnino ou du court métrage "Anima" (2019) de Paul Thomas Anderson. Les chansons sont magnifiquement écrites, des chansons à texte dans une musique latino dansante ou non. Le film débute comme un thriller judiciaire façon "La Firme" (1993) de Sydney Pollack mais on s'interroge sur un petit bémol : comment et pourquoi une avocate talentueuse resterait dans un cabinet comme faire-valoir ou sous-fifre alors qu'elle pourrait se mettre à son compte ou trouver un cabinet plus sérieux envers elle ?! C'est un des deux soucis du film.

Mais ce n'est qu'un détail puisque ce travail dans ce cabinet est accessoire dans le récit. L'intrigue se met en place rapidement, l'avocate saute sur l'occasion d'un changement de vie inespérée grâce à un parrain terrifiant d'un cartel qui s'avère prisonnier d'un corps qui l'a plus ou moins poussé aux pires. Un criminel de la pire espèce qui aspire à devenir la femme qu'il sait être depuis toujours. Ainsi le symbole s'impose, celui  évident que l'homme est un loup pour l'homme, mais surtout que le mal est masculin et que le bien est féminin ce qui, en devenant une femme permet la rédemption d'un homme. Mais un changement si radical dans un corps mais aussi dans une vie, voir des vies, n'est pas sans conséquences, incontrôlables, violentes et définitives. Le réalisateur mélange les genres avec brio, comédie musicale, thriller, drame social, romance le tout sans alternance mais bien dans une histoire maîtrisée et cohérente. La mise en scène est tout aussi inventive, la caméra est fluide et suit en permanence les héroïnes, dans des mouvements amples et virevoltantes dans les parties musicales, plus proches des visages dans les parties du quotidiens. Le second soucis vient pourtant de ce gros plan, d'un gros plan plus précisément où comment on a bien du mal à comprendre que l'épouse ne soit jamais troublé par les yeux de Emilia-Manitas del Monte ?! Mais on reste pris par cette histoire qui n'est pas tant l'histoire d'un changement de sexe que celle d'une rédemption improbable, d'un être qui cherche à se racheter une virginité de l'âme avec cette question existentielle : peut-on être pardonné de tout ?! En prime un quator d'actrices fabuleuses qui mérite effectivement leur prix à Cannes. Audiard prouve une fois de plus son éclectisme, qu'il demeure le plus grand réalisateur français de son époque avec un film qui ne ressemble à aucun autre, audacieux et passionnant. Un grand film, le meilleur film 2024 à ce jour...

Note :  

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17/20