Chien Blanc (2024) de Anaïs Barbeau-Lavalette

Nouveau film de Anaïs Barbeau-Lavalette, romancière notamment de "Je voudrais qu'on m'efface" (2010) ou "La Femme qui fuit" (2015) et documentariste entre autre de "Les Mains du Monde" (2004) ou "Ma Fille n'est pas à Vendre" (2017), puis passe à la fiction avec "Inch'Allah" (2012) suivi de "La Déesse des Mouches à Feu" (2020). Pour ce nouveau projet elle adapte le roman quasi autobiographique "Chien Blanc" (1969) de Romain Gary, mais de façon plus fidèle que la version culte "Dressé pour Tuer" (1982) de Samuel Fuller. L'idée est venu après la mort de sa grand-mère qu'elle n'a pas connu, et c'est en allant vider son appartement que le cheminement c'est fait : "Que m'avait-elle légué ? Après quelques heures, j'ai appris que ma grand-mère maternelle, Suzanne Meloche, avait habité New-York et qu'elle avait été liée à la lutte des afro-américains, vers la fin des années 60. J'ai écrit un roman sur elle, inspirée par sa trajectoire atypique, la Femme qui fuit - édité en France au Livre de Poche et aujourd'hui traduit dans une quinzaine de langues. C'est en retrouvant Diego Gary, le fils de Romain Gary, et en échangeant longtemps avec lui que nous avons conclu que sa mère, Jean Seberg, et ma grand-mère s'étaient côtoyées. Il y avait très peu de personnes blanches dans ce combat et encore moins de femmes. C'est suite à ce lien probable que Diego m'a donné carte blanche pour l'adaptation du roman de son père." La réalisatrice-scénariste co-signe son scénario avec Valérie Beaugrand-Champagne qu'elle retrouve après leur collaboration sur "Inch'Allah" (2013), cette dernière a aussi co-écrit notamment les films "Incendies" (2010) de Denis Villeneuve, "Gabrielle" (2013) de Louise Archambault ou "Tu dors Nicole" (2015) de Stephane Lafleur... 

1968, Etats-Unis, Martin Luther King a été assassiné qui attisent encore les haines raciales dans le pays. Alors que le couple Romain Gary et Jean Seberg vivent à Los Angeles ils recueillent un chien qui s'avère être dressé pour attaquer les noirs. L'écrivain, amoureux des animaux refusent de l'euthanasier ce qui amène à mettre en péril sa relation avec l'actrice qui est très active pour la lutte des Droits Civiques... L'écrivain Romain Gary est incarné par Denis Ménochet vu dernièrement dans "As Bestas" (2022) de Rodrigo Sorogoyen, "Les Survivants" (2022) de Guillaume Renusson et "Beau is Afraid" (2023) de Ari Aster, tandis que Jean Seberg est incarnée par Kacey Rohl aperçue dans le film "Le Chaperon Rouge" (2011) de Catherine Hardwicke mais surtout vue dans des séries TV dont "Hannibal" (2013-2015) ou "The Magicians" (2016-2020). Citons ensuite K.C. Collins surtout apparu dans des séries TV comme "Saving Hope" (2012-2014) ou "Lost Girl" (2013-2014) et remarqué dans le film "Spirale : l'Héritage de Saw" (2021) de Darren Lynn Bouseman, Peter James Bryant surtout connu dans la série TV "Riverdale" (2017-2023), Jhaleil Swaby aperçu dans la série TV "Supergirl" (2021) et enfin Chip Chuipka remarqué dans "Snake Eyes" (1998) de Brian De Palma, "Grey Owl" (1999) de Richard Attenborough ou "Two Lovers and a Bear" (2017) de Kim Nguyen... Avant tout, il faut un petit temps d'adaptation, Denis Ménochet est si éloigné de Romain Gary alors même que sa partenaire Kacey Rohl est une Jean Seberg idéale. Mais la justesse de l'acteur séduit petit à petit même si son jeu monolithique reste du Ménochet pur jus. Par contre l'histoire reste une autobiographie, et ce, même si la thématique reste les conséquences de la lutte des droits civiques sur la vie intime du couple et qu'il y a une dimension philosophique il n'en demeure pas moins qu'il y a des omissions qui laissent perplexe. Ainsi le film suppose que Jean Seberg ne tourne plus alors qu'elle est toujours aussi active avec trois films tournés en 1968, dont "Les Oiseaux vont mourir au Pérou" (1968) de son époux Romain Gary tourné début 68, il est donc étonnant qu'il n'en soit fait aucune mention, puis "La Kermesse de l'Ouest" (1968) de Joshua Logan dont le tournage débute en Mai 68 et qui est demeuré célèbre parce que Romain Gary aurait provoqué en duel un certain Clint Eastwood (qui s'est débiné !) après des rumeurs de liaison avec sa femme ! Le plus gênant est sa liaison peu discrète avec Hakim Jamal (cousin de Malcolm X), si le film le suggère effectivement, ainsi que son attrait "pour son fric et son cul" il est complètement occulté le fait qu'il la battait aussi ; quoi ?! On ne peut se faire anti-raciste tout en précisant qu'un Black Panther pouvait également frapper sa maîtresse ?!

Mais on peut aussi se dire que le sujet s'est imposé à la réalisatrice qui s'est focalisé sur cet unique point de vue : "Comment être un allié Blanc sans tomber dans le complexe du Sauveur Blanc (White Savior) ? Comment allier le coeur anti-raciste, les idéaux anti-racistes et les gestes anti-racistes ? Chien blanc aborde ces questionnements de front. En ce sens, notre film interroge la position des Blancs dans la lutte contre le racisme. Les collaborateurs Afro-descendants le disent : nous avons besoin de ce film-là. Il est nécessaire." Mais alors il est aussi étonnant que le FBI soit également occulté (alors très actif dans la lutte anti Black Panthers et l'actrice était une des plus surveillées et était la cible privilégiée de John Edgar Hoover). Mais le scénario reste intéressant si on accepte l'unique réflexion philosophique menée par Romain Gary/Ménochet et ce rapport avec ce chien qui n'est qu'un chien pour Jean Seberg, mais que le dresseur noir tente de sauver jusqu'à cet ultime rencontre entre lui, le chien et le romancier. C'est sur ce gros plan final de cette scène, sur le visage du dresseur, que le film aurait dû terminer. Malheureusement la cinéaste veut marteler son message, use donc de grosses cordes moralisatrices (jusqu'ici ce n'était pas suffisant, le spectateur est sans doute trop stupide ?!) avec une dernière partie composée d'images d'archives marquantes et dirigées bien appuyées par du rap. Un final lourd et poussif qui gâche le film et qui va en contradiction avec la voix Off tirée des textes de Romain Gary bien plus fins et doux à l'oreille. On notera pourtant une mise en scène jusque là intéressante, mêlant des images d'archives au huis clos familial et à des plans d'enfants qui courent qui sont d'une redoutable efficacité d'effroi. En conclusion, un film passionnant, une immersion dans l'intime conviction d'un auteur majeur et d'un grand homme, mais qui pêche par une ligne directrice militante sous oeillère, omettant trop de détails pour convaincre pleinement. A conseiller néanmoins.

Note :  

Chien Blanc (2024) Anaïs Barbeau-LavaletteChien Blanc (2024) Anaïs Barbeau-Lavalette

14/20