De quoi ça parle ?
De l’homophobie ordinaire dans un petit village de Roumanie. Et de ce qui en découle, de façon assez édifiante.
Adi (Ciprian Chiujdea), un jeune homme de dix-sept ans suit des études à Tulcea, la ville la plus proche de son village natal, quelque part dans la région du “Bras de Saint Georges”, dans le delta du Danube. Profitant de l’été, il revient pour quelques jours chez ses parents. Après avoir retrouvé sur la plage avec son amie d’enfance, Ilinca (Ingrid Micu-Berescu), il passe la soirée dans un bar avec elle et un touriste de passage avec qui il sympathise. Quand il rentre finalement, cette nuit-là, au domicile parental, il a le visage tuméfié et ensanglanté, le corps meurtri, après une sauvage agression. Immédiatement, ses parents (Bogdan Dumitrache et Laura Vasiliu) l’accompagnent au commissariat pour porter plainte. Ils sont reçus par le chef de la police locale (Valeriu Andriuță), qui ouvre le dossier, fait établir un rapport médico-légal et recherche des témoins. Le problème, c’est que ceux-ci ne se montrent guère bavards, comme s’ils cherchaient à protéger les coupables. Et les choses se compliquent encore quand les pistes mènent aux fils de Zentov, un caïd local, qui auraient attaqué Adi pour lui voler son téléphone portable. Zentov possède un certain pouvoir et connaît des gens haut placés. Suffisamment pour compromettre la retraite anticipée du policier. Il en joue pour faire pression sur lui. Mais celui-ci est embêté. L’affaire est déjà remontée jusqu’à Tulcea, et ne peut être étouffée si facilement.
Zentov abat sa dernière carte, en finissant par lâcher les véritables raisons de l’agression d’Adi. Si l’adolescent a été attaqué, c’est parce qu’on l’a aperçu, à la sortie du bar, enlacer un autre garçon, sans doute le fameux touriste de passage, et de façon équivoque. Ailleurs, le côté homophobe de l’agression serait considéré comme un facteur aggravant. Pas dans ce village… Les réactions à cette révélation sont aussi édifiantes que le délit lui-même. Jusqu’alors considéré comme une victime par ses proches, Adi perd subitement toute leur affection. Il est considéré comme un pestiféré, un malade à soigner… On le prive de contact avec l’extérieur, confisquant son téléphone et empêchant toute sortie de la maison familiale. Il est reclus dans sa chambre, mis de côté comme un secret honteux. Toute la communauté semble liguée pour régler le problème, laissant éclater toute son intolérance et une étroitesse d’esprit assez hallucinante. Il faut entendre les âneries débitées par les différents protagonistes au sujet de l’homosexualité pour le croire.
Pourquoi on marche ?
Déjà, parce que cette histoire nous semble assez inconcevable aujourd’hui, dans un pays appartenant à l’Union Européenne et nous rappelle que le combat contre l’obscurantisme, la bêtise et la haine est encore loin d’être gagné.
On ne devrait pas être si étonnés que cela puisque les films roumains présentés en sélection officielle, ces dernières années, racontaient déjà des histoires édifiantes, autour de la corruption endémique du pays (Baccalauréat, Les Siffleurs), des secrets de famille honteux (Sieranevada), d’un avortement sordide (4 mois, 3 semaines et 2 jours), d’un exorcisme sur une jeune fille libre et lesbienne (Au-delà des collines) ou de rejet des migrants (RMN). Ah, si on ajoute à cela le folklore passé, des Carpathes de Dracula à la tyrannie des Ceaucescu, ça donne tout de suite envie de visiter le pays!
En même temps, la Roumanie est un terreau fertile pour l’émergence de cinéastes passionnants, au style affirmé. Emanuel Parvu réalise ici seulement son troisième film, mais il a aussi joué sous la direction de Bogdan George Apetri et surtout Cristian Mungiu. On sent clairement l’influence de ce-dernier dans la mise en scène de son jeune compatriote : Montage brut, sec, plans fixes joliment composés, jeu sur la profondeur de champ, opposition entre le plan initial, ample, en extérieur, offrant un horizon parfaitement dégagé et les suivants, en intérieur, plus serrés, étouffants pour accompagner les tourments d’Adi, le personnage principal, qui voit s’effondrer tous les éléments constitutifs de sa vie.
A la violence physique vient vite s’ajouter une violence verbale et mentale, presque plus dure à encaisser. Ses parents, qui l’ont accompagné jusqu’à l’âge adulte, entouré d’affection et de compréhension, deviennent subitement des inconnus ou, pire, des ennemis. Tout leur passé commun s’évapore. Le futur du jeune homme vole aussi en éclats, en même temps que ses rêves. Il se voyait déjà partir à Bucarest pour vivre sa sexualité de façon décomplexée, trouver un métier correspondant à sa sensibilité et ses capacités. Le voilà contraint d’accepter le plan de ses parents concernant son avenir : un passage dans un établissement chrétien histoire de se purger du Mal, puis une formation pour intégrer la marine et un mariage arrangé avec une fille du coin. L’enfer…
Le cinéaste en profite aussi pour mettre à plat tous les défauts de la société roumaine, qui souffre, dans certaines régions, de cet obscurantisme, mais qui pâtit aussi d’un système politique et social inique. Il dénonce le pouvoir des truands, comme Zentov, qui gangrènent le pays, le poids d’une religion rétrograde, les rouages de la corruption, la fraude fiscale, les différences de développement entre les villes et les campagnes. Un film coup de poing qui ne brille pas par son originalité, mais démontre que la relève de la “Nouvelle vague roumaine”, très active au début des années 2000, est assurée.
Contrepoints critiques :
”Emanuel Parvu signe un drame sur l’homophobie dans son pays. Le résultat est malheureusement beaucoup trop convenu.”
(Thomas Baurez – Première)
”Disons-le d’emblée : 3 kilomètres jusqu’à la fin du monde est un véritable choc, et l’un des meilleurs films roumains de ces dernières décennies, quelque part entre La mort de Dante Lazarescu et 4 mois, 3 semaines, 2 jours.”
(Gérard Crespo – A voir à lire)
Crédits photos : copyright Vlad Dumitrescu – Image fournie par le Festival de Cannes