Premier long métrage de Margherita Vicario, petite-fille du réalisateur Marco Vicario et de l'actrice Rossana Podesta, surtout interprète-compositrice, actrice parfois, elle s'est essayée à la réalisation avec le court métrage "Se Riesco Parto" (2011). Pour ce projet elle s'était d'abord interrogée sur la place de la femme dans la musique aujourd'hui. Après avoir effectuée des recherches elle a commencé à écrire son film : "En retraçant l'histoire des compositrices italiennes et européennes, la découverte qui m'a le plus intriguée a été le monde fascinant des quatre Ospedali de Venise et des Figlie di Choro, les filles de choeur. Les orphelinats étaient des institutions d'aide aux femmes qui dispensaient une formation musicale de haut niveau - il suffit de dire que le plus connu d'entre eux, l'Ospedale della Pieta, est connu pour avoir été l'école où Vivaldi a enseigné... Ainsi, les seules personnes qui pouvaient se permettre d'étudier la musique au plus haut niveau, à l'apogée de la splendeur de la Venise barique du XVIIIème sicèle, étaient les nobles et les orphelins ! Mais, malgré leur excellente formation, ces artistes ne pouvaient pas faire de la musique leur profession. Ainsi, alors que les musiciens professionnels étaient formés dans des conservatoires masculins de Naples, les jeunes femmes des orphelinats vénitiens ne pouvaient aspirer qu'à un bon mariage ou à jouer toute leur vie pour la gloire de Dieu. Je me suis dit : il est impossible qu'il n'y ait pas eu d'ambitions créatives chez ces filles. Il devait sûrement y avoir des auteures et des compositrices extraordinaires - pourquoi si peu d'entre elles sont-elles entrées dans l'Histoire ? En imaginant tout ce qui aurait pu se dérouler dans un tel lieu, l'idée de Gloria ! est née : l'histoire de Teresa, une jeune femme à l'oreille fine et à la perception musicale libre, qui, à travers la découverte d'un piano, parvient presque à voyager dans le temps et à explorer la créativité dans sa dimension la plus pure." La réalisatrice-scénariste co-écrit son scénario avec Anita Riravolli scénariste sur quelques séries TV dont "SKAM Italia" (2018) ou sur les films "L'Insonne : l'Ouverture" (2016) de Alessandro Giordano ou "Game of Love" (2022) de Elisa Amoruso...
Venise en 1800, une servante solitaire vit et travaille au collège Sant'Ignazio, une vieille école de musique délabrée pour jeunes filles. Si son nom est Teresa tout le monde la surnomme La Muette car ils ne connaissent pas son nom. Elle effectue les taches les plus ardues, et reste réservé et silencieuse. Lorsque le collège attend le visite de nouveau pape Pie VII le vieux maître de chapelle imagine déjà une nouvelle composition en son honneur. Entre temps Teresa découvre un vieux piano-forte dans un débarras. Petit à petit elle va s'épanouir sur ce piano, et avec un petit groupe d'élèves elles vont aller à l'encontre des conventions pour inventer leur propre musique... Teresa est incarnée par l'actrice française Galatéa Bellugi vue récemment dans "Chien de la Casse" (2023) de Jean-Baptiste Durand, "La Fille d'Albino Rodrigue" (2023) ou "La Passion de Dodin Bouffant" (2023) de Tran Anh Hung. Le reste du casting est essentiellement italien avec parmi les élèves Carlotta Gamba vue dans "America Latina" (2022) de Damiano et Fabio D'Innocenzo ou "Dante" (2022) de Pupi Avati, Sara Mafodda vue dans "Le Donne di Pasolini" (2023) de Eugenio Capuccio, Maria Vittoria Dallasta vue dans "Mon Frère chasse les Dinosaures" (2019) de Stefani Cipani et "Je voulais me Cacher" (2020) de Giorgio Diritti après lequel elle retrouve son partenaire Paolo Rossi vu dans "Le Mal d'Aimer" (1986) de Giorgio Treves, "Far North" (1988) de Sam Shepard ou "Nirvana" (1997) de Gabriele Salvatores. Citons ensuite Natalino Balasso vu dans "Ciao Stefano" (2007) de Gianni Zanasi ou "Heureux comme Lazzaro" (2018) de Alice Rohrwacher, Anita Kravos vue dans "La Grande Bellezza" (2013) de Paolo Sorrentino ou "Compulsion" (2016) de Craig Goodwill, puis Vincenzo Crea vu dans la série TV "Les Médicis" (2019), ou les films "Romulus et Rémus" (2019) de Matteo Rovere et "Padre Pio" (2022) de Abel Ferrara... L'ouverture du film est aussi inspirée qu'inspirante, originale et singulière qui lancerais presque la comédie musicale avec un petit soupçon de Broadway, juste un tout petit soupçon tout en restant bel et bien ancré en 1800. La reconstitution d'époque est parfaitement crédible, les costumes et le réalisme sociale font authentique jusque dans les décors. L'immersion est parfaite pour un film historique où finalement seule la musique pourrait nous tromper. Par exemple le facteur de piano Johan Stein a bel et bien exister, l'élection du Pape en 1800 est un fait, en filigrane la période corresponde déjà au déclin de Venise... etc... La musique, qui est au centre du récit, qui reste le fil conducteur, a été composé par la réalisatrice, elle-même compositrice avant tout, en collaboration avec Davide Pavanello.
La vraie réussite du film est d'avoir signée une musique qui paraît effectivement anachronique pour le public contemporain de l'Italie catholique de 1800, mais qui pourtant ne dénote pas foncièrement du classicisme pour un public d'aujourd'hui, d'autant plus s'il est néophyte. C'est particulièrement judicieux pour inviter le plus grand nombre au voyage mélomane et un tantinet anti-clérical. Précisons d'ailleurs et surtout que la réalisatrice-scénariste-compositrice a pu aussi s'inspirer de l'oeuvre de la seule compositrice orpheline qui a survécu jusqu'à nous, Maddalena Laura Lombardini Sirmen (Tout savoir ICI !), pour la citer. On plonge dans cette école comme dans un couvent qui se serait spécialisé dans la musique, les hommes restent les maîtres et les femmes des exécutantes soumises. L'éveil vient d'un piano, l'éveil à d'autres sonorités, l'éveil à d'autres inspirations, à d'autres rêves, à la libération des moeurs et donc à l'émancipation. Le petit groupe de musicienne est merveilleusement interprété par des actrices justes et touchantes. N'oublions pas le magnifique travail sur la lumière et la photographie dont quelques plans de la la baie de Venise de toute beauté. Un film qui évite l'écueil de la comédie musicale, mais qui est et reste un film lyrique, d'abord mélancolique pour peu à peu se libérer des contraintes patriarcales certes, mais aussi religieuses. Un moment émouvant à voir et à conseiller.
Note :
16/20