In water : Seul sur la plage le jour

Par Robin Miranda Das Neves

73e Berlinale
Encounters
Sortie le 26 juin 2024

Sur les terres volcaniques de la plus méridionale des îles sud-coréennes, un jeune acteur ambitionne de réaliser son premier court-métrage de fiction. À travers les rues de Jeju, Seoung-mo (Shin Seokho) cherche en vain l’inspiration. Alors que les quelques jours prévus pour le tournage défilent sans succès, ses humeurs l’isolent de ses deux compagnons : Nam-Hee (Seung Yun Kim), actrice, et Sang-guk (Ha Seong Guk), cinéaste. In water commence comme le making-off relatant un processus créatif absent. Lorsque Nam-Hee lui demande pourquoi il souhaite devenir réalisateur, Seoung-mo répond qu’il cherche, « comme tout le monde », simplement de la reconnaissance et de l’honneur – plaçant donc dans le regard des autres la validation dont il aurait besoin pour être artiste. À l’instar des multiples personnages-artistes qui habitent l’œuvre de Hong Sangsoo, Seoung-mo lutte contre ses propres doutes d’être capable de créer (ou de continuer à créer). L’apprenti cinéaste avertit qu’il est bloqué dans les « films des autres » qui façonnent son imaginaire cinématographique. Tandis qu’il cherche son langage créatif, Hong Sangsoo trouve le sien en plongeant ces déambulations dans un flou qui ne quittera plus les trois protagonistes.

Depuis plusieurs projets, Hong Sangsoo dissèque les potentialités artistiques du cinéma numérique. Face à la lisse crudité de ce type d’images, il construit un nouveau langage qui s’exprime depuis ses défauts inhérents. Dans Juste sous vos yeux [2022] ou La Romancière, le film et le heureux hasard [2023], les surexpositions blanchâtres enfermaient ses personnages dans une image privée d’horizon repensant totalement le rapport à l’hors-champ. Ici, il modifie notre relation à la netteté, pourtant intrinsèque au numérique, pour qu’elle fasse écho à sa propre réalité (sa vue se détériorant rapidement). L’image renoue avec son caractère expressionniste. Le flou ouvre un nouvel espace où il est possible de rêver le film qui se déroule pourtant sous nos yeux. Lorsque les personnages s’émerveillent de la beauté d’une fleur de colza qui rompt avec le gris de la pierre, la caméra de Hong Sangsoo nous empêche de partager sa vision. Cette fleur ne prend vie que dans l’esprit de chacun·e. Elle n’est alors plus qu’un simple spécimen, mais l’essence même d’une fleur de colza. Qu’il s’agisse d’un mystérieux reflet doré dans une mare ou de l’histoire d’un fantôme criant en pleine nuit « reprends tes esprits », In water est parcouru par le merveilleux – ce qui est assez inattendu chez Hong Sangsoo. Par le flou, l’image devient un portail vers des réalités multiples offrant aux spectateur·trices une pleine conscience.

De coutume, le hasard tient un rôle crucial dans le cinéma de Hong Sangsoo. Ici, il s’agit d’une rencontre avec une femme, tâche blanche qui se distingue des rochers en bord de mer, qui ramasse les déchets laissés par les touristes. Après une brève discussion qu’elle tente de clore à plusieurs reprises, cette femme se distingue par la sincérité de son geste civil qu’elle souhaite sans reconnaissance. Chez Hong Sangsoo, la pureté est la forme d’expression souveraine, celle qui permet d’atteindre autant la vérité que la poésie. Cette pureté devient pour Seoung-mo une épiphanie créatrice découlant sur un scénario qu’il présente le lendemain sur la plage à ses deux camarades. Si la rencontre fictionnelle est assez similaire à celle du réel, elle débouche sur une tout autre finalité. La confrontation des deux au sein de In water est une précieuse idée de métacinéma. Elle témoigne de la puissance de l’acte créatif et de sa force cathartique. Le court-métrage est le territoire où la fascination de Seoung-mo peut s’exprimer pleinement, libérer un cataclysme émotionnel protégé par sa nature fictionnelle. En jouant son propre rôle, il fait corps avec une autre réalité – plus pure, plus en adéquation avec le geste initial de cette femme anonyme. Il détruit les frontières et disparaît totalement dans le paysage. Dans l’une des plus belles fins de la filmographie de Hong Sangsoo, seul le flou pouvait sublimer cette fusion entre le ciel et la mer, entre la réalité et le fantasme.

CONTRECHAMP
☆☆☆☆ – Excellent