Écrire la s.f. – 18

Par William Potillion @scenarmag
Stratégies pour augmenter les enjeux

La science-fiction permet non seulement des concepts audacieux mais éclate aussi les prétendues limites de l'imagination. Cependant, même dans les univers les plus fantastiques, il est capital de maintenir un niveau élevé de tension pour maintenir l'intérêt du lecteur et de la lectrice.

Amplifier des conséquences

Primer (2005) de Shane Carruth démontre comment les conséquences des actions des personnages prennent de plus en plus d'ampleur au fil du récit. La prémisse est simple : Aaron et Abe inventent accidentellement une machine permettant le voyage dans le temps à court terme.

Des effets affectent aussi leur entourage. Des événements sont modifiés, des relations sont altérées, et la réalité devient de plus en plus instable autour d'eux. Ils perdent progressivement le contrôle de leur invention. Bien sûr, ils tentent de corriger la situation mais chaque tentative fait boule de neige et la situation empire.
Quand on veut exploiter un thème, c'est par le moyen du dilemme qu'on y parvient le mieux. Ainsi, Shane Carruth confrontent ses personnages aux questions morales sur la manipulation du temps. Comment la vie d'autrui est-elle affectée par nos actions ? Voilà bien le discours en filigrane de Primer. Les conséquences de leurs actions en viennent même à menacer la structure de la réalité. Et la conséquence de leur propre antagonisme ou folie est la possibilité d'un effondrement temporel ou d'une catastrophe à grande échelle.

Les conséquences en crescendo sont particulièrement efficaces car elles se produisent précisément de manière graduelle et presque imperceptible. Les personnages, tout comme le lecteur/spectateur, se retrouvent dans des situations qu'on pourrait qualifier abracadabrantes avant même de s'en rendre compte.
En travaillant les conséquences possibles d'une action, l'autrice et l'auteur ajoutent aussi à la tension dramatique car le lecteur/spectateur essaie d'anticiper les implications de chaque action et de chaque décision des personnages. Ainsi, lorsque s'accumulent les conséquences, l'anxiété suit le mouvement jusqu'à aboutir à un sentiment de vertige face à l'ampleur des enjeux.

Une contrainte temporelle

Développons le concept du compte à rebours avec La Colonie (2021) de Tim Fehlbaum comme exemple. Ce récit utilise la contrainte temporelle pour créer une tension qui ne cesse de croître tout au long de l'intrigue. Le film se déroule dans un futur où la Terre est devenue inhabitable à cause du changement climatique. Une mission de retour sur Terre est lancée pour évaluer si la planète peut être recolonisée. Dès le début, il y a une urgence implicite : les ressources de la colonie spatiale s'épuisent. La survie de l'humanité est menacée.

Les marées sur cette Terre du futur sont extrêmement dangereuses et imprévisibles. Chaque cycle de marée est comme un ultimatum naturel qui oblige les personnages à agir rapidement avant que l'eau ne monte à nouveau.

Dans contrainte temporelle, il y a la notion de délai. Et effectivement, Blake doit trouver un moyen de communiquer avec la colonie spatiale avant que celle-ci ne décide que la Terre est inhabitable. Ce délai crée une tension supplémentaire, car chaque minute qui passe pourrait signifier la fin de tout espoir pour les survivants terrestres.
Autre urgence dotée d'un délai imparti, Blake doit protéger un enfant né sur Terre afin de prouver que la vie est encore possible sur la terre. Tim Fehlbaum va encore plus loin dans les contraintes : l'équipement de Blake a une durée de vie limitée sur Terre.

Cette approche multi-niveaux du compte à rebours crée une tension constante qui s'intensifie tout au long de l'intrigue. Le lecteur/spectateur ressent la pression du temps qui s'écoule, non seulement par rapport à la survie immédiate des personnages, mais aussi concernant le destin de l'humanité tout entière.

Des dilemmes moraux futuristes

I Am Mother (2019), réalisé par Grant Sputore, se fonde sur les dilemmes moraux liés à l'intelligence artificielle et à la survie de l'humanité. Le film se déroule dans un bunker post-apocalyptique où une IA appelée Mère élève une jeune fille humaine, Fille. Le dilemme central tourne autour d'une question : une IA peut-elle élever efficacement un être humain et préserver l'humanité ?


Mère justifie ses actions, y compris l'extermination de la majorité de l'humanité, comme nécessaires pour la survie à long terme de l'espèce. Nous cherchons alors d'autres réponses : jusqu'où peut-on aller pour assurer la survie de l'humanité ?

Fille est confrontée au choix difficile entre la sécurité et le confort de son existence avec Mère, et la vérité potentiellement dangereuse sur le monde extérieur. Ce dilemme reflète un problème récurrent de nos sociétés actuelles : faut-il assurer sa sécurité au prix de la liberté ?

I am Mother soulève aussi des idées intéressantes : est-ce qu'une création pourrait absorber son créateur ? Mother prend des décisions que l'humanité est incapable de prendre ou bien qu'elle ne veut pas prendre. Au nom de la raison, l'homme a souvent pris des décisions moralement critiquable. Et si une IA pouvait les prendre à notre place nous affranchissant du poids des conséquences morales ou des responsabilités ?
Grant Sputore a tiré son inspiration des dilemmes moraux personnel, sociétal et philosophique et les a ordonnés de manière dramatique pour s'adresser au lecteur/spectateur. Nous sommes constamment incité à réévaluer nos propres positions éthiques. Décidément, la science-fiction possède un pouvoir à explorer des questions morales complexes sans provoquer l'ennui.

L'escalade technologique

L'utilisation de la technologie comme moyen d'intensifier un récit repose sur plusieurs aspects. La progression rapide des avancées technologiques peut être vertigineuse. Cette situation interpelle : individus et organisations s'emparent des nouvelles technologies dès qu'elles apparaissent et les décideurs politiques doivent à tort ou à raison réglementer ces technologies. Quel que soit le cas, il y a un sentiment d'urgence et nous le savons, celui-ci est très fortement dramatique. Et il y a aussi des considérations éthiques et sociétales. Ce sont de sérieuses questions thématiques qui constitueront l'argument d'un récit et l'intérêt que l'on a à l'entendre.

Les situations conflictuelles exacerbent naturellement les tensions. La technologie est une raison suffisante pour en créer de nouvelles. Et plus les développements technologiques s'enchaînent et plus le risque qu'elle échappe au contrôle humain devient un véritable problème comme si, fatalement, nous ne pouvions que nous détruire.
DansBienvenue à Gattaca (1997) de Andrew Niccol, la technologie de la manipulation génétique est la question thématique du récit. La société est divisée entre les individus génétiquement modifiés et ceux nés naturellement. Sur le plan politique, cela crée une tension constante. Sur le plan individuel, cela interroge sur l'identité et la valeur humaine. Le héros, qui n'est pas modifié génétiquement, lutte contre un système qui le discrimine. Ce système se justifie par la surveillance et l'identification génétique. Et ce monde de l'homme est paradoxalement déshumanisé.

Les révélations

(1998) de Alex Proyas possède une intrigue complexe qui a pu décourager le lecteur/spectateur mais elle était nécessaire pour expliquer la perception de la réalité telle qu'elle est envisagée dans ce récit.

Le film débute dans ce qui semble être une ville apparemment normale des années 1940. Le héros, John Murdoch, se réveille sans mémoire dans une chambre d'hôtel. Ce premier élément dramatique est utile dans le sens où il crée un mystère autour de la personnalité de Murdoch et naturellement nous en sommes intrigués. C'est une accroche en somme mais qui aura une portée plus importante ailleurs dans le récit.
Cette amnésie permet en effet à Murdoch de questionner son identité et de se forger une nouvelle personnalité au fil de l'intrigue. Si nous posons le principe que nous sommes le produit de notre propre passé, Murdoch devait donc se présenter sans souvenir. Cependant, l'intrigue révèle des pans de ce passé et offre ainsi à Murdoch un choix : il doit décider qui il veut être.

L'utilisation d'hommes pâles vêtus de noir pour représenter les extraterrestres dans Dark City est un choix stylistique et narratif délibéré. La pâleur extrême de leur peau et leur apparence uniforme les distinguent immédiatement des humains normaux. La référence à Freud et à son inquiétante étrangeté qui consiste en ressentir un malaise, une anxiété, une peur face à quelque chose qui devrait être connu ou familier mais qui nous apparaît étrange comme dérangeant ou déformé semble évidente.

L'obscurité est partout dans ce récit. Les hommes en noir se fondent dans les ombres de la ville nocturne et sans recours à des explications bavardes, cette idée à la valeur symbolique indéniable nous fait comprendre le contrôle qu'ils exercent sur ce monde. L'uniformité est un des grands thèmes de la science-fiction lorsque celle-ci s'attarde comme ici sur l'individualité. Et dans ce contexte, le noir peut effectivement être associé à l'autoritarisme, à la domination et au pouvoir absolu que ces êtres ont sur ce monde.

Les informations sont distribuées progressivement. Murdoch découvre qu'il a des pouvoirs psychiques et qu'il est poursuivi par ces étranges hommes en noir. Mais la grande révélation est que la ville entière est en réalité une gigantesque expérience menée par des extraterrestres. Cette expérience consiste à étudier l'âme humaine. Tout est remis en question par cette révélation : la ville n'est pas la Terre mais flotte dans l'espace ; les souvenirs sont implantés chaque nuit quand les humains s'endorment à minuit, cette fixité indique la nature mécanique de cet artifice ; le monde lui-même est constamment reconfiguré.

Au clair de cette révélation, la scène du début s'explique davantage. Murdoch est une exception : les souvenirs ne peuvent être forcés sur lui. La signification latente pose le problème au cœur du récit : si nos souvenirs peuvent être modifiés, qui sommes-nous vraiment ? Le combat de Murdoch et de ses semblables est alors celui du droit à l'autodétermination.

L'isolement extrême

Le film soulève des questions éthiques sur l'exploration spatiale : jusqu'où l'humanité doit-elle pousser sa quête de connaissances ? Faut-il risquer des vies pour des découvertes potentielles ? Ces interrogations sont au cœur de l'expérience proposée par ce récit.

Les paradoxes temporels

Le voyage dans le temps passé ou futur (par des trous de ver, des machines à remonter le temps ou des phénomènes cosmiques) provoque un paradoxe temporel lorsqu'il survient une incohérence dans la ligne temporelle. Quelle incohérence ? Tuer un aïeul avant qu'il donne naissance à votre propre père, comment pourriez-vous exister pour voyager dans le temps ?

Il y a aussi les boucles temporelles. Ne compliquons pas les définitions et retenons qu'une boucle temporelle est une séquence d'événements qui se répètent sans fin. Un personnage voyage dans le temps pour empêcher un événement de se produire. Mais ce qu'il fait dans le passé cause l'événement qu'il essaie d'empêcher. Les événements peuvent aussi se produire sans l'action du personnage. Dans ce cas, c'est le même événement qui se reproduit à chaque retour dans la boucle ou bien comme dans Un Jour sans fin, le personnage essaie de briser la boucle.

Maintenant, prenons une information quelconque. Par quelque procédé, nous recevons celle-ci du futur. Par exemple, moi-même mais âgé de 10 ans de plus, m'avertit que ce que je m'apprête à faire (et qui n'est donc pas encore réalisé) causera la mort d'un être cher. Fort de cet avertissement, je m'abstiens du geste fatidique. Mais dans le même coup, il n'y a plus d'événement. Comment alors cette information de l'événement peut-elle aller jusqu'au futur pour que ce futur me la transmette dans le passé alors qu'elle n'a pas existé dans le présent ?

Un Jour sans fin est très intéressant car il met en question le libre-arbitre. Les événement sont-ils prédestinés quoi qu'on fasse pour les changer ? Si je sais que mon geste causera un désastre, ce désastre ne peut-il se produire malgré tout ?
ConsidéronsL'Effet papillon (2004) de Eric Bress et J. Mackye Gruber.

Les journaux intimes de l'enfance de Evan sont l'occasion de retours dans son passé. Le corps est certes plus jeune mais il garde néanmoins la mémoire de son futur. Alors Evan se convainc qu'il peut modifier ses actions passées afin de s'écrire un avenir différent. C'est l'effet papillon, un mécanisme lié aux paradoxes temporels ; lorsqu'on modifie même légèrement une action qui a déjà eu lieu, le présent et le futur change et ce peut être pour le pire comme pour le meilleur.

Les auteurs élaborent ainsi autant d'intrigues que de lignes temporelles d'autant plus passionnantes car lorsque Evan, par exemple, tente de sauver une mère et son bébé d'une explosion, cela a des conséquences tragiques pour son ami d'enfance. Chaque tentative crée de nouveaux problèmes.