La création de néologismes et de jargon technique en science-fiction
Cette pratique consiste à inventer de nouveaux termes ou à détourner des mots existants pour décrire des technologies, des concepts ou des phénomènes futuristes. La combinaison de mots existants est souvent employée par l'auteur et l'autrice. Par exemple hyperdrive pour décrire un système de propulsion ou cyberpunk qui désigne un genre particulier de la science-fiction. Ou bien encore médiaplastie qui est une modification de termes existants par Michel Houellebeck dans son roman La possibilité d'une île. Dans le contexte du roman, médiaplastie désigne une technologie qui modifie l'apparence physique d'une personne pour qu'elle corresponde à son image médiatique.
Nous avons aussi la possibilité de créer des mots totalement inventés : Kwisatz Haderach dans Dune de Frank Herbert ne possède aucun équivalent dans aucune langue.
Cependant, le terme doit être facile à retenir pour le lecteur/spectateur. Il doit pouvoir se le répéter mentalement si ses lèvres ne le lui permettent pas et surtout le terme évoquera l'idée qu'il véhicule. Par exemple, dans Matrix, l'expression Jack In correspond à l'acte de se connecter à la matrice. Il évoque les prises jack que l'on manipule souvent au quotidien et qui, dans Matrix, permettent de brancher le câble neural à l'arrière du crâne et cette expression nous rappelle aussi le log in qu'on rencontre un peu partout dans les applications informatiques, une expression qui sied d'ailleurs à l'univers cyberpunk de Matrix.
Ce dernier point insiste aussi sur le besoin de cohérence du néologisme avec le contexte dans lequel il s'insère. Le sabre laser de Star Wars est l'arme emblématique des Jedi et des Sith. Dans sa langue d'origine, c'est un lightsaber. Ligth, c'est la lumière donc la nature énergétique et lumineuse de l'arme et saber, c'est-à-dire sabre, est l'arme blanche mythique des traditions martiales.
Le jargon technique
Souvent, des termes scientifiques réels sont employés dans l'œuvre comme, par exemple, terraformation. Il est possible aussi de créer un acronyme. C'est le cas avec Tardis dans Doctor Who qui se construit sur les premières lettres de l'expression anglaise Time And Relative Dimension In Space.
Aussi amusant que cela puisse paraître, il faut néanmoins se méfier de ne pas surcharger son texte avec une pléthore de néologismes sinon le lecteur/spectateur risque de se sentir confus. Et puis il arrive aussi qu'un terme spécifique à la science-fiction vieillisse mal. Dans Tron (1982) par exemple, le terme programme désignait des entités conscientes dans un monde numérique. Mais à cette époque, l'informatique était encore toute nimbée de mystère. De nos jours, nombre de ces mystères n'en sont plus et le terme paraît obsolète.
Et puis programme est devenu un cliché des mondes virtuels.
Rendre l'incroyable crédibles
Le style en science-fiction joue un rôle essentiel pour rendre crédibles des concepts, des technologies ou des environnements qui pourraient sembler invraisemblables au premier abord. Pour ce faire, l'autrice et l'auteur chercheront dans la science actuelle les termes les plus appropriés pour décrire leurs phénomènes fictifs. Ils peuvent tout autant extrapoler à partir de technologies existantes.
Les éléments futuristes qu'ils inventent seront décrits avec précision, c'est-à-dire détaillés de manière plausible. Et afin de les normaliser dans le récit, ils seront utilisés au quotidien par les personnages. Ainsi, dans Seul sur Mars (2015) de Ridley Scott, Mark maintient en état l'habitat martien indispensable à sa survie. Il fait de même avec les combinaisons spatiales. Mark adapte et utilise le rover pour des tâches quotidiennes. Toutes ces technologies futuristes s'incarnent dans une habitude, tout comme nous-mêmes apprenons à nous servir des nouvelles technologies.
Assurer la cohérence
Il importe donc de créer et de maintenir un univers cohérent même avec des concepts fort éloignés de notre réalité quotidienne. Contemplons un instant Tenet (2020) de Christopher Nolan. L'idée ici est l'inversion temporelle. Les personnes et les objets peuvent voyager à rebours dans le temps. Comment Nolan parvient-il à en assurer la cohérence ? En appliquant ce principe de manière systématique. Il ne s'agit pas d'expliquer pourquoi et comment c'est seulement possible. Cela est partie prenante du quotidien des personnages.
Maintenant, un concept très difficile à comprendre : la symétrie des événements. Lorsqu'un personnage est inversé, il voyage donc à rebours dans le temps. Pour un observateur non inversé, donc nous aussi, ses actions sont vues comme dans une marche arrière. De cette façon, la causalité est inversée. Nous constatons d'abord l'effet d'une action et ensuite sa cause.
protagoniste non inversé poursuit Sator inversé. Le protagoniste inversé entre dans la poursuite au volant d'une voiture qui file à toute vitesse mais en marche arrière.
Du point de vue normal, nous voyons que la voiture inversée se retourne et glisse sur le toit. Soudain, la voiture se redresse et reprend sa course. C'est à ce moment que le protagoniste non inversé saute dans la voiture inversée.
Un principe essentiel dans la pensée de Nolan est qu'une version inversée et une version non inversée peuvent coexister dans le même espace-temps. Seulement, elles ne peuvent interagir sous peine d'annihilation. Dans la scène de l'aéroport, le protagoniste se bat contre une version non inversée de lui-même. Cela prouve que la coexistence est possible. Nolan peut alors inventer des situations où un personnage s'observe et peut même influencer indirectement ses actions que celles-ci soient passées ou bien futures.
C'est sa manière à lui de traiter les boucles temporelles. Ici, comme nous sommes dans une inversion temporelle, c'est le futur qui influence les actions passées.
Reprenons au moment où le protagoniste saute dans la voiture inversée. Il faut bien comprendre qu'il n'y a pas de versions multiples d'un même personnage. En temps normal, il saute dans la voiture. En temps inversé, il en sort. C'est le même protagoniste qui s'inverse temporellement. La voiture n'est qu'un moyen de transition du temps normal au temps inversé.
Maintenant, nous adoptons le regard du protagoniste inversé. Nous découvrons alors que la cause réelle de l'accident est le protagoniste inversé roulant en marche arrière. Et la voiture se met à glisser sur le toit. Compliquez, non ?
Éclaircissons. Et si.. nous pouvions voir cette scène dans les deux sens ? D'abord, on voit une voiture sur le toit qui se redresse et qui continue à rouler normalement. Mais en temps inversé, la voiture roule normalement puis perd l'équilibre et se met à glisser sur le toit. Et là apparaît tout le génie de Nolan : la voiture continue de glisser. Ce mouvement ou plutôt ce moment est un temps partagé entre le temps normal et le temps inversé.
Les deux actions contraires s'opèrent dans le même temps. La voiture qui se redresse est l'accident vu à rebours. Le protagoniste inversé vit l'accident : la voiture se retourne et glisse sur le toit ; pour lui, c'est le début de l'événement. Pour nous, qui sommes dans le temps normal, nous assistons à la fin de l'événement et alors la voiture qui était sur le toit se redresse subitement. Je l'avoue, la pensée de Nolan n'est pas sans aspérités, ni crevasses et il faut nous saisir de chacune d'entre elles.
En fait, le même événement est vu sous deux perspectives temporelles contraires, c'est-à-dire à la fois dans le passé et dans le futur, et ce qu'il faut donc saisir pour que cette séquence fasse sens, c'est que ces deux actions contraires se jouent simultanément.
Cette simultanéité explique pourquoi des personnages du temps normal réagissent à des événements futurs (ou à des conséquences) dont l'origine est les personnages inversés. Ceux-là remontent le temps et au cours de cette remontée, ils font des choix, prennent des décisions qui engendrent des événements futurs que vivront les personnages du temps normal.