Profondeur psychologique : les motivations
Héros, héroïnes, méchants de l'histoire ou personnages secondaires, donnez-leur une profondeur psychologique.
Le désir de justice est un besoin fondamental de l'être humain qui aspire à vivre dans un monde qu'il perçoit comme juste et équitable. Martin McDonagh entre de plain-pied dans la théorie de la croyance en un monde juste car lorsque cette tendance est ébranlée, une forte réaction compensatoire s'opère. Le meurtre non résolu de la fille de Mildred est une puissante motivation de la décision de celle-ci de louer les panneaux publicitaires.
dissonance cognitive : c'est une tension entre des attentes (ici, que la police résolve le crime) et la réalité dans les faits.
La frustration ressentie par Mildred est constitutive de sa motivation.
Lorsque vous élaborez un personnage et que vous ayez peut-être quelques difficultés à lui donner une existence légitime dans votre récit, misez sur la culpabilité. La dernière fois que Mildred a vu sa fille vivante, leur relation s'était mal passée. Mildred en tire depuis un fort sentiment de culpabilité. Et c'est un bon mécanisme de défense en cela qu'elle offre à celui ou celle qu'elle hante une raison de se racheter. C'est aussi une fixation sur le passé avec un besoin obsessionnel de corriger une situation.
Et puis l'exigence de justice s'applique aussi à soi. L'auto-flagellation est un moyen inconscient de se punir. La dangerosité de choix et de décisions se justifie comme soulagement d'une souffrance. Mildred sublime celle-ci dans l'action et est indifférente à ce qu'elle soit ou non approuvée par les autres.
Lorsqu'on est confronté à un événement tragique, on perd le sens de son existence. L'action significative comble ce manque car la terreur ou l'angoisse que l'on ressent dans cet anéantissement de soi est un puissant aiguillon pour nous motiver à agir.
Et votre personnage en est d'autant plus imprévisible.
Le Traître (2019) de Marco Bellocchio
Être pris entre deux mondes soulève des motivations contradictoires. En cherchant à se venger de ceux qui ont tué les membres de sa famille, Buscetta agit selon un code d'honneur ancien et viscéral. Cette motivation peut être vue comme une forme de justice personnelle et noble, bien qu'elle s'inscrive dans un contexte criminel.
On peut aussi voir dans l'attitude de Buscetta une forme de rédemption envers ses actes. S'agit-il d'une prise de conscience ? Et d'un désir de changement ?
Adoptez cette règle d'écriture : lorsque vous motivez un personnage, ne posez pas seulement les enjeux. Créez immédiatement la situation inverse et vos enjeux en seront grandement augmentés. J'ai un autre exemple pour expliquer cela. Considérons un pompier vétéran sur le point de prendre sa retraite. Son objectif cependant est de former les jeunes pompiers afin qu'ils apprennent à minimiser les risques.
J'établis aussitôt une contradiction avec cette décision : un terrible incendie se déclare et les jeunes pompiers se trouvent exposés à un risque mortel contre lequel ils ne sont pas encore en mesure de se protéger efficacement. L'idée ici est que chaque décision que prendra notre pompier vétéran peut soit valider son enseignement, soit voir échouer tragiquement les jeunes pompiers pendant l'intervention. Pour le vétéran, cette dualité crée l'enjeu : si les circonstances déjouent son objectif, il en sera hanté dans la pénombre de sa retraire.
On peut aussi s'interroger sur la trahison de Buschetta en se mettant à sa place. Pourrions-nous trahir nos amis ? La trahison est un thème puissant dans un récit et elle est toujours légitime. Et là, nous pouvons remettre en lumière notre précédente règle d'écriture : malgré sa légitimité, le sentiment de trahison de Buschetta envers les valeurs mafieuses traditionnelles s'exprime en une nostalgie vers un passé idéal et est contradictoire avec sa volonté de collaborer avec la justice.
Ni héros, ni traître, Buschetta oscille entre son passé et son devenir, entre une loyauté envers un code d'honneur obsolète et la nécessité du changement. Quel est le prix de la vérité dans un monde de mensonge et de violence ?
Ici, la contradiction n'est pas interne mais s'extériorise et crée de manière très naturelle des situations conflictuelles et des dilemmes et le tout alimente l'intrigue. En effet, chaque décision prise ou à prendre devient un point de tension qui réclame négociation, affrontement ou compromis pour se résoudre.
Une dynamique de groupe permet de déterminer les valeurs qui préoccupent chaque personnage et est un biais pour qu'il les défende. Nous verrons ainsi que dans cette lutte, chaque personnage est contraint d'évoluer, de remettre en cause ses croyances et ses préjugés et simultanément le plus souvent de renforcer des convictions hésitantes.
Diverses motivations équivalent à diverses individualités. Quand on cherche un tant soit peu de réalisme dans son récit, il est bon de se rapprocher de la vie. C'est fou comme les tensions entre les personnages nous invitent à prendre parti, à débattre avec nous-mêmes des choix moraux qu'ils font. Autrices et auteurs, merci de nous impliquer si intimement dans votre récit.
Considérons maintenant la scène de l'arrestation de Issa, le jeune garçon qui a volé un lionceau. Dans cette scène, les trois policiers sont confrontés à une situation qui dégénère rapidement. Cette scène a pour thème l'usage de la force par la police dans les quartiers sensibles. Les auteurs se servent des réactions différentes des policiers pour l'illustrer. Stéphane, le novice idéaliste, tente de désamorcer la situation parce qu'il veut que l'ordre soit maintenu dans le respect de la dignité des habitants du quartier. Mais Chris, endurci et cynique, a pour motivation d'affirmer l'autorité de la police même si la méthode est controversée.
Quant à Gwada, sa motivation se compose des deux précédentes : maintenir l'ordre et éviter une escalade de la situation dans la violence. Seulement, tiraillé et fragilisé entre son origine et son devoir, accidentellement, il blesse Issa.