Fitzcarraldo (1982) de Werner Herzog

Réalisateur entre autre de "Signes de Vie" (1968) ou de "L'Enigme de Kaspar Hauser" (1974) Werner Herzog revient surtout sur les terres qui ont hanté et hante encore son chef d'oeuvre "Aguirre la Colère de Dieu" (1972). Le réalisateur-scénariste revient donc dans l'enfer vert de l'Amazonie, mais cette fois au lieu du mythe de l'Eldorado chez les conquistadors du 16ème siècle il imagine un nouveau fou en pleine fièvre du caoutchouc (Pour en savoir plus ICI) mais qui rêve plutôt d'opéra en pleine forêt équatoriale au début du 20ème siècle. Pour imaginer son histoire Herzog s'inspire fortement mais librement de la vie du péruvien Carlos Fitzcarrald (Tout savoir ICI !). Si Fitzcarraldo est sans doute un peu fou, Werner Herozg ne l'est certainement pas moins pour revenir dans l'enfer vert où déjà il a connu le tournage cacophonique de "Aguirre la Colère de Dieu" (1972). Ce second enfer vert ne sera pas mieux et c'est peu de le dire ! Le tournage se fait en pleine Amazonie éloigné de 1400km des premiers villages "civilisés", la nourriture et le matériel doivent être livrés par avion avec entre deux crashs à gérer, le tournage doit être suspendus plusieurs fois, d'abord à cause d'orage qui forcera aussi l'équipe à lutter contre la boue (les scènes du film ne sont pas truquées !), puis par l'abandon de la vedette Jason Robards en plein tournage suite à une dysenterie grave, et un pauvre indigène qui s'amputera la jambes seul avec une tronçonneuse (oui oui !) après avoir été mordu par un serpent. Résultat le tournage va s'étaler sur trois années, forçant un certain Mick Jagger a quitté le navire aussi engagé par une tournée mondiale de son groupe The Rolling Stones, et surtout, pour remplacer son acteur principal Herzog se résout à faire à nouveau appel à Klaus Kinski, acteur dingue  dans tous les sens du terme qu'il s'était pourtant promise de ne plus le faire tourner. Présenté au Festival de Cannes 1982 Werner Herzog obtient le Prix de la Mise en scène. Brian Sween Fiztgerald, plus connu sous le nom de Fitzcarraldo, a fait faillite dans le chemin de fer, mais tente de se relancer dans l'industrie des pains de glace, puis finalement va réfléchir à se lancer lui aussi dans le caoutchouc mais tout ça il ne le fait que pour réaliser un rêve : construire un opéra en pleine Amazonie pour y faire chanter son idole, le ténor Enrico Caruso. Tout le monde le prend pour un fou mais il a le soutien de sa maîtresse, Molly tenancière d'une maison close. Après avoir acquis une concession pour le caoutchouc, il doit acheminer tout un chargement industriel et humain à travers l'Amazonie sur un bateau mais le périple va s'avérer hasardeux et dangereux mais rien ne peut arrêter le rêve de Fitzcarraldo... 

Donc le rôle titre revient à Klaus Kinski, acteur au parcours de longue haleine avec entre autre des rôles secondaires mais marquants dans "Le Docteur Jivago" (1965) de David Lean, "Et pour Quelques Dollars de Plus" (1965) de Sergio Leone ou "Le Grand Silence" (1968) de Sergio Corbucci avant d'être réellement révélé dans "Aguirre la Colère de Dieu" (1972), et qui retrouvera son réalisateur encore pour "Nosferatu, Fantôme de la Nuit" (1979), "Woyzeck" (1979) et une ultime fois pour "Cobra Verde" (1987). Son amante est incarnée par la toujours sublime Claudia Cardinale petite italienne de "La Fille à la Valise" (1960) de Valerio Zurlini ou "Le Mauvais Chemin" (1961) de Mauro Bolognini devenue star avec "Le Guépard" (1963) de Luchino Visconti ou "Il était une Fois dans l'Ouest" (1968) de Sergio Leone. Le duo Herzog-Kinski retrouve et/ou retrouveront aussi José Lewgoy vu dans "Terre en Transe" (1967) de Glauber Rocha ou plus tard "Le Baiser de la Femme Araignée" (1985) de Hector Babenco et qui sera dans "Cobra Verde" (1987) à l'instar de Peter Berling déjà dans "Aguirre la Colère de Dieu" (1972) vu auparavant dans "La Poursuite Implacable" (1973) de Sergio Sollima, "La Victoire en Chantant" (1976) de Jean-Jacques Annaud ou "Le Mariage de Maria Braun" (1979) de Rainer Werner Fassbinder. Citons Grande Otelo vu entre autre dans "Rio Zone Nord" (1957) de Nelson Pereira Dos Santos, "Les Amants de la Mer" (1967) de Antoine D'Ormesson ou "Ultimatum" (1977) de Hector Babenco, Miguel Angel Fuentes aperçu dans "L'Homme Puma" (1979) de Alberto De Martino et plus tard dans "Blow" (2001) de Ted Demme et "Le Mexicain" (2001) de Gore Verbinski, Huerequeque Enrique Bohorquez vu dans "Les Dieux et les Morts" (1970) de Ruy Guerra, puis plus tard dans "La Forêt d'Emeraude" (1985) de John Boorman et "Running out of Luck" (1987) de Julien Temple où il retrouvera la rockstar Mick Jagger. Notons aussi un caméo de Milton Nascimento chanteur brésilien en placier à l'opéra, puis plus incongru l'acteur français Jean-Claude Dreyfus, entre "Allon z'Enfants" (1981) et "Le Prix du Danger" (1983) tous deux de Yves Boisset, crédité en Sarah Bernhardt malgré ses 1m76 pour 120kg ! Enfin n'oublions pas quelques centaines de figurants indigènes joué par des amérindiens locaux issus en majorité de la tribu des Campa, mais aussi des Machiguenga et des Aguarunas... Notons que la musique est signée de Popol Vuh, compositeur fidèle de Werner Herzog et notamment après "Aguirre la Colère de Dieu" (1972) retrouvant le contexte de la jungle, des amérindiens et de l'atmosphère particulière de l'Amazonie, mais cette fois avec l'importance non négligeable des auteurs classiques de Bellini, Puccini et Verdi ainsi que les enregistrements originaux de Enrico Caruso... Si son histoire est ancrée dans un contexte historique réel Herzog se laisse aller aussi à quelques fantasmes d'opéra ; en effet, si la fièvre du caoutchouc va de la fin du 19ème jusque vers 1912 qui correspond à un lent déclin ensuite, on sait que le ténor Enrico Caruso a bien effectué une tournée en Amérique du Sud entre 1917 et 1919, tandis que la star Sarah Bernhardt a effectué trois tournées en 1886, 1893 et 1905. Un détail que le cinéaste s'est permis comme une folie, qui correspond plutôt bien avec la passion folle de Fitzcarraldo pour l'opéra. 

Une passion qui nous est bien montré dès les premières minutes avec une arrivée à l'opéra qui paraît précipitée alors qu'elle est viscérale au contraire, le regard plein d'admiration, les étoiles littéralement dans les yeux quand Fitzcarraldo/Klinski voir enfin Caruso est magique. Dans la première partie le réalisateur, via la quête de Fiztcarraldo, montre bien tout le côté paradoxal de ce nouveau pays nommé Brésil. En effet, alors que les autochtones vivent comme il y a des siècles ils restent des esclaves pour des blancs dont le luxe façonnne les villes nouvelles comme Manaus. On est touché aussi par l'amour de Molly/Cardinale pour Fitzcarraldo, on perçoit et on ressent aussi son admiration pour cet homme qui est prêt à tout pour vivre son rêve. Un rêve dément, surréaliste surtout en ce début 20ème. L'entreprise prend toute sa dimension, voir tout son côté kafkaien dans sa partie "croisière fluviale". Herzog connaît bien l'Amazonie, il la filme de la même façon que dans "Aguirre...", envahissante, inquiétante et mystérieuse, et par là même il y a les indigènes, à la fois omniprésents absents, soumis et sages mais qui sont pourtant comme des poisons insidieux si on les poussent trop loin et ce dans le récit du film comme hors caméra ; en effet, Klaus Kinski est si abject que Herzog connaît la même situation que sur "Aguirre..." , les tribus lui proposent de se débarasser littéralement de lui ! Mais les autochtones ont dû aussi en vouloir au réalisateur tant ce dernier pousse les limites de tous pour que son film soit le plus réaliste que possible. Ainsi il n'y a qu'une séquence avec des effets spéciaux (celle des rapides) mais la partie aussi mythique que dantesque du bateau hisser en haut de la montagne a bel et bien été réalisée  à la force des centaines d'autochtones dans un chantier boueux (les orages !)  aux allures de tranchées de 14-18. Le navire de 360 tonnes a donc bien été hissé via dse poulies géantes, une opération surréaliste démente à l'image de Fiztcarraldo mais aussi à celle de son réalisateur. Werner Herzog avait déclaré lors du tournage : "Si j'abandonne ce projet, je serai un homme sans rêves. Je ne veux pas vivre comme ça. Je vis ma vie ou je finis ma vie avec ce projet."... ou finalement était-ce une de Fitzcarraldo... Un film qui reste étonnament optimiste ce qui est rare pour un Herzog, un film fascinant et envoûtant, sur un fou rêveur à voir et à conseiller.

Note :                 

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17/20