Santosh (2024) de Sandhya Suri

Remarquée avec les documentaires "I for India" (2005) et "Around India a Movie Camera" (2018), le réalisatrice-scénariste Sandhya Suri est passée à la fiction avec le succès de son court métrage "The Field" (2018) nommé au BAFTA du meilleur court métrage et logiquement elle revient avec son premier long métrage. L'idée lui est venue alors qu'elle travaillait pour des organisations humanitaires en Inde, où elle a vu une image de manifestantes suite à l'affaire Nirbhaya en 2012 (un viol collectif dans un bus à New Dehli) : "Il y avait l'image d'une immense foule de manifestantes en colère, les visages contorsionnés par la rage, et une ligne de policières qui les forçaient à reculer. L'une de ces policières avait une expression si énigmatique. Elle m'a fascinée. Qu'est-ce qui la sépare des manifestants, et quel pouvoir son uniforme exerce-t-il sur ceux qui n'en portent pas ? Explorer cette violence et le pouvoir de cette femme au sein de cette violence m'a semblé passionnant." Ensuite la cinéaste a effectué des recherches où elle a pris connaissance d'un système gouvernemental unique et spécifique à l'Inde, qui permet aux personnes à charge des agents de police décédés d'hériter de leur emploi. La cinéaste a ensuite pu rencontrer certaines de ces femmes pour écrire son histoire... 

Dans une région rurale du nord de l'Inde, Santosh une jeune femme hérite du poste et de la fonction de son époux policier décédé. Bientôt elle est appelée sur le lieu du meurtre horrible d'une jeune fille de caste inférieure, Santosh se retrouve plongée dans une enquête tortueuse sous les ordres de la charismatique inspectrice Sharma... Le rôle titre est incarnée par Shahana Goswami vue dans "Rock On!" (2008) de Abhishek Kapoor, "Game" (2011) de Abhinay Deo, "Les Enfants de Minuit" (2012) de Deepa Mehta, "Les Lauriers-Roses Rouges" (2015) ou "Made in Bangladesh" (2019) tous deux de Rubaiyat Hossain, Sanjay Bishnoi vu dans "Ashok Vatika" (2018) de Rahul Mallick, "Thar : les Trois Cibles" (2022) de Raja Singh Choudhary et"12th Fail" (2023) de Vidhu Vinod Chopra, Sunita Rajwar surtout connue pour la série TV "L'Ombre de ses Yeux" (2022-...) puis vue dans les films "Stree" (2018) et "Bala" (2019) tous deux de Amar Kaushik, "The Conversion" (2022) de Vinod Tiwari ou "Aanchhi" (2022) de Yogesh Hansraj, puis enfin Shashi Beniwal dans son premier rôle devant la caméra après avoir été des années dans la distribution de films et assistante de casting... On est d'emblée un peu perplexe face au système du "recrutement compassionnel", où comment une épouse au foyer devenue veuve se retrouve policière un peu à l'insu de son plein gré mais qui y voit là une façon d'être émancipée et indépendante vis à vis de sa famille. Vierge de tout préjugé elle découvre les méthodes plus ou moins viciées de l'institution et de ses collègues dans une société de castes ; en effet il y a deux sortes d'intouchables, "ceux qu'on ne veut pas toucher, et ceux qui ne veulent pas être toucher" et on découvre que dans tous ça il y a une autre caste pourtant omniprésente : les femmes. Santosh est d'abord en observation, puis va participer de plus en plus, et si elle est parfois mal à l'aise, hésitante, son humanité est ébranlée jusqu'à user une gifle pour sa première violence, son honnêteté vacille jusqu'à accepter un premier bakchich.

Elle va s'investir sur une enquête particulière, une jeune adolescente d'une caste inférieure violée et assassinée. Mais si Santosh s'investit, si elle reste comme un témoin actif des faits plus ou moins moraux des policiers-ères ou des hommes en général elle n'est pas le personnage le plus intéressant, car c'est bien sa supérieure Sharma qui donne de l'épaisseur à l'intrigue, qui donne du poids au propos. Santosh tente surtout d'apprendre, alors qu'on apprend que Sharma est là depuis trois décennies et on imagine alors tout le combat et les difficultés qu'elle a dû endurer pour survivre dans une société aussi patriarcale et arriver là où elle en est, au point aussi d'accepter de franchir les mêmes lignes jaunes que ses homologues masculins. Et on arrive vers la fin où c'est encore Sharma qui explique à Santosh qu'il faut se battre pour le droit des femmes, quitte peut-être à faire des "erreurs morales", pour survivre. Evidemment tout le scénario tient la route parce qu'on est en Inde, pays aux contextes politico-sociaux particulièrement complexes. Le film aurait gagné à être un peu plus court de 10-15mn pour donner un peu de rythme, mais le plus gros défaut reste sans doute les quelques ellipses coupées à la serpe (formation, arrivée de Sharma, arrestation...). Néanmoins, les personnages sont bien écrits, le duo féminin s'accorde parfaitement, l'intrigue tient la route de bout en bout avec une l'envie d'arriver au dénouement qu'on devine de loin et qu'on s'agace déjà devant tant d'injustice. Un très bon film à voir et à conseiller.

Note :                 

Santosh (2024) Sandhya SuriSantosh (2024) Sandhya Suri

14/20