Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ? Certes la question aura été éculée en long en large et en travers de toutes les façons et par toutes les perspectives possibles, mais il est pourtant clair que nous n'en aurons jamais fait le tour et que nous ne trouverons pas de réponse consensuelle. Pourtant, dans la foldingue filmographie de l'un des comédiens les plus illustres de l'Histoire du Cinéma, entre deux volets du Parrain de Coppola et un passage dans la peau de l'illuminé Tony Montana chez Brian De Palma, Al Pacino s'est fait, l'espace de deux films à peine, la muse d'un certain Sidney Lumet. Au programme : la vie trépidante d'un flic intègre au milieu de la corruption de la police dans Serpico, puis un déroulé quasiment en temps réel d'un braquage mené par des losers peu débrouillards en pleine canicule dans Un Après-Midi de Chien. Lumet, en adaptant une histoire vraie à peine croyable, donne à Pacino l'un des rôles les plus hallucinants de sa carrière. Un Après-Midi de Chien suit trois braqueurs amateurs qui prennent d'assaut une banque de Brooklyn avec l'objectif de voler l'argent des coffres et de prendre la poudre d'escampette dans la foulée. Mais leur inexpérience et les imprévus de l'opération vont mener au chaos total, et Sonny et Sal se retrouvent acculé à l'intérieur du bâtiment, cernés par la police, par des journalistes et par une foule de curieux en délire. La négociation commence alors...
Fidèle au compte de l'histoire véritable qu'il adapte, celle du braquage mené par John Wojtowicz en 1972, le scénariste Frank Pierson compose un récit découpé par un sentiment d'ultra-réalisme quasiment documentaire. Les discussions, engueulades, incompréhensions, et autres négociations se voient conférés un sursaut de vie total, au démarrage d'une valse impressionnante de maestria - tant dans la fabrication des dialogues et dans l'interprétation de son casting que dans la mise en scène de Lumet. Le réalisateur signe ici une approche à l'orée de ses personnages, appuyant à la fois la nature maladroite de ses braqueurs du dimanche ( Sonny est une boule nerveuse, Sal est un imprévisible penaud, Stevie est un jeune +1 qui lâche les autres au premier imprévu) mais aussi le climat chaotique qui se meut et qui se bloque diablement autour de ce braquage ponctué d'infortunes. Un Après-Midi de Chien est une matrice essentielle du film de casse, une composition d'un réalisme stupéfiant à la fois troublant et d'un naturel confondant, se reposant sur une photographie extrêmement sobre maîtrisée à la perfection par Victor J. Kemper et sur une absence totale de musique.
La perspective choisie par Sidney Lumet, à savoir une approche diégétique au maximum pour gérer l'immersion du spectateur dans l'action, permet au film de s'élever dans son rythme mené tambour battant, sans une seule seconde de répit, laissant les personnages s'épuiser en se hurlant dessus, en guettant le moindre mouvement suspicieux chez leur adversaire ou se noyer dans leur transpiration. Cette mise en scène voulue par Lumet permet, en plus de livrer une composition impeccable, à Al Pacino et John Cazale de s'octroyer parmi les rôles de braqueurs les plus mémorables de l'histoire du film de casse. Leurs deux braqueurs, tour à tour empotés, maladroits, froids, humains et palpitants, font battre le cœur du long-métrage, nourri par des talents tellement massifs qu'il serait presque insultant de tenter de les analyser au sein du présent papier. Pacino livre une performance extraordinaire à tout point de vue, un homme au naturel troublant qui s'enfonce dans l'impossible pour une raison qui sera révélée dans la dernière partie du film. Si le sujet du braquage de Sonny paraît aujourd'hui extrêmement avant-gardiste ( Al Pacino serait-il l'Icône queer ultime des années 70 ?), Un Après-Midi de Chien est surtout un long-métrage tonitruant et éminemment politique sur l'échec des systèmes policiers américains et sur l'appétit uniforme et malsain des médias pour les histoires sensationnelles. Par une capture du sensationnalisme et des défaites successives des mécanismes représentés par le film, Lumet inaugure ce qu'il explorera l'année d'après dans son Network, tout en posant de manière implacable le scénario de Pierson.
Un Après-Midi de Chien est une immense merveille qui défie le temps et les époques, gardant à la fois sa fougue et son courage politique saisissant tout en restant toujours aussi puissant dans le récit extrêmement construit de son casse aux 1001 galères. Derrière le Sonny d' Al Pacino et le Sal de John Cazale, il y a l'histoire de classes populaires extrêmement banales, poussées par le système à tenter de se dresser contre lui dans un geste déjà vain car condamné d'avance. Une comédie sur des braqueurs médiocres qui voient leur plan échouer instantanément ? Un drame social sur un homme qui brave la loi par amour ? Une tragédie totale qui se visse inéluctablement sur sa fin ? Un Après-Midi de Chien est un objet hybride, une œuvre au-delà de sa proposition, de ses personnages, des caméras braquées sur eux et de la foule qui les acclament autour des flics qui tentent de les descendre. Alors si le terme " chef-d'œuvre " veut encore dire quelque chose aujourd'hui, on l'appliquerait sans doute sur ce film - même s'il est quasiment certain que le personnage de Sonny détesterait cette adaptation. La preuve : John Wojtowicz critiquera à sa sortie, dans les grandes lignes, la fidélité des évènements transcrits par Pierson. Mais le Cinéma n'est pas la réalité, et quelque part c'est tant mieux.
Titre Original: DOG DAY AFTERNOON
Réalisé par: Sidney Lumet
Casting : Al Pacino, John Cazale, James Broderick ...
Genre: Policier, Thriller
Sortie le : 30 janvier 1976
Distribué par: -
CHEF-D'ŒUVRE