Premier long métrage de Jacques Demy après plusieurs courts métrages dont "Le Bel Indifférent" (1957) ou "La Mère et l'Enfant" (1958). Le cinéaste dit s'être inspiré de ses fréquentations des salles obscures quand il était enfant, et d'une amie qu'il aurait connu à Nantes, mais c'est surtout une adaptation libre du roman "Les Nuits Blanches" (1848) de Fiodor Dostoïevski. Au départ le réalisateur-scénariste a intitulé son projet "Un Billet pour Johannesburg" et avait imaginé une comédie musicale tournée en couleur et en cinémascope pour un budget de 250 millions de francs. Mais Georges de Beauregard, producteur de la Nouvelle Vague dont "Pêcheur d'Islande" (1959) de Pierre Schoendoerffer et "A Bout de Souffle" (1959) de Jean-Luc Godard, n'accepte de participer que pour un montant de 45 millions. Jacques Demy doit donc réécrire son scénario, abandonne la comédie musicale, passe au Noir et Blanc puis ne peut avoir comme acteur Jean-Louis Trintignant. Par contre il peut compter sur le compositeur Michel Legrand qui deviendra un de ses fidèles collaborateurs, sur Agnès Varda sa conjointe et pièce maîtresse de la Nouvelle Vague qui signe les chansons du film, puis le Directeur Photo Raoul Coutard fidèle des réalisateurs de la Nouvelle Vague. Notons que le film est dédié au réalisateur Max Ophüls. Précisons que le film avait disparu, le négatif avait brûlé il y a de nombreuses années, mais Agnès Varda a pu lancer une mission de sauvetage grâce à un internégatif retrouvé au British Film Institute en 1999. Après des années de travail le film a pu être reconstitué et numérisé en 2012...
Danseuse de cabaret, Lola élève seule son fils dont le père a disparu depuis plusieurs années. Même si elle l'attend sans trop y croire, elle aime aussi de temps en temps les marins qui passent. Un jour elle croise Roland, un amour de jeunesse. Ce dernier est dans une période dilettante où il se cherche, mais il sait qu'il aime encore Lola... Lola est incarnée par Anouk Aimée vue entre autre dans "Pot-Bouille" (1957) de Julien Duvivier, "La Tête contre les Murs" (1959) de Georges Franju ou "La Dolce Vita" (1960) de Federico Fellini. Roland est joué par Marc Michel vu auparavant dans "Le Trou" (1960) de Jacques Becker ou "La Ragazza" (1964) de Luigi Comencini et retrouvera son réalisateur pour "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) ainsi que Dorothée Blank actrice récurrente dans l'univers Demy avec plus tard "Les Demoiselles de Rochefort" (1967) et "Peau d'Âne" (1970) ainsi que "Cléo de 5 à 7" (1962) de Agnès Varda à l'instar de ses partenaires Corine Marchand vue ensuite dans "Le Passager de la Pluie" (1969) de René Clément ou "Coup de Tête" (1979) de Jean-Jacques Annaud, puis Alan Scott remarqué dans "Les Tricheurs" (1958) de Marcel Carné. Citons ensuite Elina Labourdette vue dans "Le Drame de Shanghaï" (1938) de G.W. Pabst, "Les Dames du Bois de Boulogne" (1945) de Robert Bresson ou "Le Château de Verre" (1950) de René Clément, sa fille est jouée par la jeune Annie Duperoux dont l'unique autre film est "Aimez-vous Brähms ?" (1961) de Anatole Litvak, Jacques Harden aperçu dans "Manèges" (1949) de Yves Allégret, "Gervaise" (1955) de René Clément ou "Les Misérables" (1958) de Jean-Paul Le Chanois, Margo Lion apparue dans "La Bandera" (1935) de Julien Duvivier, "Jeunes Filles en Détresse" (1939) de G.W. Pabst ou "Katia" (1959) de Robert Siodmak, puis enfin Carlo Nell aperçu ensuite dans "Le Samouraï" (1967) de Jean-Pierre Melville ou "Dupont Lajoie" (1974) de Yves Boisset... A l'instar de la saga Antoine Doinel chez Truffaut, avec ce film Jacques Demy se façonne les prémices d'une trilogie plus ou moins reliée par ses personnages. Ainsi Mme Desnoyers renvoie à Mme Emery dans "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) dans lequel on revoit Roland Cassard joué par Marc Michel, tandis qu'on revoit aussi Lola/Aimée dans "Model Shop" (1969). Notons aussi le clin d'oeil à Godard lorsqu'un certain Michel Poiccard est évoqué qui n'est autre que le nom de Belmondo dans "A Bout de Souffle" (1960)...
Malgré son titre, Lola est autant le rôle principal que Roland Cassard. Il s'agit avant tout de deux ex-amoureux qui se rencontre par hasard alors qu'ils attendent tous les deux l'événement ou le sursaut qui ferait évoluer leur vie. La première est danseuse qui semble toujours joyeuse bien que teintée de mélancolie, le second vit en dilettante parce qu'il ne sait pas pourquoi il travaille (?!... on le lui expliquerai bien !). Mais on a bien du mal à s'attacher à eux, l'une s'avère finalement inconsistante et superficielle, l'autre reste un faineant que sa situation qu'on devine aisée lui permet. Mais surtout c'est un film de la Nouvelle Vague, un dogme qui fait constamment le funambule entre l'excellence et l'ennui, entre l'élégance et le snobisme. Demy ne fait pas exception. Les dialogues sont si littéraires ou du moins en langage si soutenu à chaque instant que ça devient parfois presque surréaliste, notamment avec le petite Cécile qui est avec sa mère "très nerveuse" parce qu'elle attend une visite où on va lui prêter un livre ; effectivement quel stress ! On passera sur la relation bizarre entre un marin et une fillette, ou sur ce retour final qui a dû inspirer la série animée "Princesse Sarah" de notre enfance. Heureusement il y a donc bel et bien l'élégance, surtout celle de Anouk Aimée, et l'intelligence de traitement sur la relation entre Roland et Lola. Un film considéré comme un chef d'oeuvre mais qui s'avère un monument cinéphile d'un point de vue historique mais avouons-le qui reste un brin surestimé.
Note :