Un antagoniste intelligent
Un antagoniste doté de traits positifs devient effectivement plus menaçant car il est difficile à cerner. Cette complexité le rend imprévisible et donc plus dangereux. Un méchant de l'histoire qui ne serait que méchant est facile à comprendre et à contrer, mais un antagoniste avec des qualités admirables n'est pas manichéen. Il peut utiliser ses atouts positifs de manière inattendue, ce qui le rend plus redoutable. De surcroît, ses qualités lui attire la sympathie des autres. Et c'est un moyen pour lui d'augmenter sa sphère d'influence dont il a terriblement besoin dans sa volonté de vaincre l'héroïne ou le héros.
La présence de traits positifs chez l'antagoniste excite en nous un véritable conflit moral quand nous nous surprenons à ressentir de l'empathie pour lui. Cette ambivalence enrichit notre expérience car elle plus réaliste. Le lecteur/spectateur se retrouve à questionner ses propres valeurs, à comprendre ce qui meut ce personnage, voire à justifier son comportement.
Ce dilemme tout à fait personnel et très subjectif ajoute une profondeur psychologique au récit et nous amène à réfléchir sur la nature de la moralité et des relations humaines.
Des qualités comme l'intelligence, le charisme ou la loyauté rendent en effet l'antagoniste plus formidable. Un antagoniste intelligent peut élaborer des plans complexes et anticiper les actions du héros ou de l'héroïne car sa défaite ne doit jamais être quelque chose d'entendu.
Le charisme lui permet de manipuler d'autres personnages ou même de nous séduire. Un tel antagoniste est un adversaire bien plus convaincant et influent. En un mot, il est exemplaire.
Quant à la loyauté, elle lui assure des alliés fidèles. Cette alliance est nécessaire car le protagoniste aura d'abord affaire à eux avant de pouvoir démanteler tout le réseau. Ces qualités, habituellement associées aux héros ou à l'héroïne, deviennent des armes redoutables entre les mains d'un antagoniste.
Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick. Ripper est un homme intelligent, dévoué à sa cause et ce sont des qualités remarquables. Son seul problème : il est paranoïaque ! En fiction, tout semble bien plus grand que nature et Ripper n'y échappe pas. Ce patriotisme exacerbé auquel il voue une véritable dévotion le rend à la fois admirable mais extrêmement dangereux.
Les auteurs ont tiré profit des théories complotistes (un trope souvent rencontré dans l'écriture de mystère) qui ne manquent d'ailleurs pas de piquant. Ce qui est formidable, c'est que la folie de Ripper s'accompagne d'une grande intelligence stratégique dans la mise en œuvre de son plan. Nous sommes tous dotés d'intelligence plus ou moins envahie de raison mais la folie ne l'anéantit nullement. Ripper est fou mais diablement intelligent !
Les auteurs vont même jusqu'à créer une ambiguïté morale. En effet, ses actions sont hautement répréhensibles mais ses motivations qui consistent à protéger sont pays sont hautement admirables.
(1994) de Boaz Yakin met en place plusieurs forces antagonistes. Au cœur de cette force, il y a Esteban. Doté d'intelligence et de charisme, il maintient son empire criminel mais ce qui en fait un antagoniste très singulier, c'est qu'il nous apparaît comme une figure paternelle de substitution pour Fresh. Non pas que son véritable père soit absent, il a d'ailleurs une fonction de mentor envers Fresh de manière symbolique avec les parties de blitz, mais Esteban se sert de ce lien pour mieux contrôler et manipuler le gamin.
Esteban voit en Fresh un potentiel et tente de gagner sa loyauté. Mais peut-être que Esteban a vraiment un besoin affectif de jouer ce rôle paternel qui lui procure une image positive au sein de sa communauté. Est-ce un moyen pour lui de se justifier de ses actes criminels ?
Cette relation autorise l'auteur à instaurer en Fresh un conflit moral car Fresh est foncièrement honnête. C'est le contexte qui fourvoie chacun mais pas Fresh. De plus, Fresh apprend beaucoup de Esteban et tour de force magnifique de l'auteur, c'est précisément ce qu'il apprend par Esteban qui lui permettra de s'opposer à lui et de le vaincre.
Ensuite, il y a Corky. Dans la vie de Fresh, Corky a une relation semblable à celle de Esteban mais sans le lien affectif. Et puis Jake qui est un dealer rival et violent.
Que pouvons-nous tirer de cette analyse ? D'abord qu'il n'y a pas de méchants sans motivations que nous puissions comprendre, voire même que nous trouvions tout à fait raisonnables. Ensuite, tout est relations. C'est par celles-ci que les dilemmes sont possibles. L'avantage de proposer plusieurs antagonistes est que cela permet d'explorer différents types de menace (physique, psychologique, morales).
Dans une intrigue, on trouve des retournements de situation. Faites en sorte qu'ils se fondent sur la psychologie des personnages comme Fresh qui retourne contre Esteban ce qu'il apprend de lui.
Searching : Portée disparue (2018) de Aneesh Chaganty propose un format innovant pour nous conter son récit : tout se passe sur toutes sortes d'écran et à travers eux sont pointés les médias sociaux. Ce qui est mystérieux est l'identité de l'antagoniste, nous ignorons qui il est pendant la majeure partie du récit. Mais cette incertitude marque sa présence et la disparition de Margot en est le témoignage.
Mais lorsqu'il est découvert, nous nous apercevons non seulement de son intelligence mais aussi de ses capacités à manipuler l'information outre le fait que ses motivations sont aussi très pertinentes.