Aborder des sujets sensibles est une indéniable qualité de la science-fiction. Mais elle ne s'y attaque pas frontalement. Si elle parle de dérives sociétales actuelles, elle le fera de manière détournée par des significations symboliques par exemple. Que ce soit un objet, un geste, un mot ou une image, sa représentation symbolique transcende son sens littéral ou évident.
Une dérive sociétale est un fait. Et tout comme la colombe qui symbolise la paix, l'autrice et l'auteur de science-fiction représenteront cette dérive par une autre idée. Ce serait par exemple une boussole qui n'indique plus le nord pour suggérer une perte de repères moraux ou sociaux. Cette manière de faire n'est pas seulement un geste poétique. Elle est conçue pour créer une distance avec un problème qui pourrait ne pas être accepté tel quel par le lecteur/spectateur si on lui donnait directement, en pleine face.
Pour offrir une perspective nouvelle sur de vrais enjeux de société, la science-fiction déforme à sa manière notre réalité actuelle afin que nous y réfléchissions sous un angle différent. Le symbole ou l'image trouvent leur chemin plus facilement en nous que l'exposition politique d'un souci avec lequel nous nous débattons au quotidien.
(2008) de Alex Rivera aborde des questions d'immigration et d'exploitation et offre une réflexion sur la mondialisation. Si son discours avait été aussi direct, le récit n'aurait pas été si intéressant. Autrices et auteurs, vous contez une histoire. Ainsi, dans Sleep Dealer, les connexions neuronales symbolisent la mondialisation poussée à l'extrême et sa conséquence la plus immédiate, l'aliénation du travailleur (propos éminemment politique dissimulé sous une technologie qui, chez d'autres auteurs et autrices, pourraient être, au contraire, bénéfique pour l'humanité).
La robotique, elle, incarne la déshumanisation. Et c'est une métaphore dont les pays développés (ici, les États-Unis) bénéficie du travail des pays en développement sans en avoir à gérer l'immigration.
Dès le premier acte, le problème de la privatisation des ressources naturelles est une critique terrible du capitalisme. Le récit est aussi parsemé d'autres symboles pour qualifier autant de préoccupations actuelles.
(2011) de Mike Cahill utilise le concept d'une autre Terre pour explorer des thèmes comme la culpabilité, le pardon et la quête de rédemption. Des thèmes que l'aspect S.F. convertit d'une manière qui nous interpelle plus que tout autre mais qui nous demande un véritable effort de réflexion pour que nous nous saisissions pleinement du récit.
Des conséquences
A quoi servirait la science-fiction si elle ne nous avertissait pas des conséquences désastreuses de nos actions actuelles ? Les auteurs et les autrices inventent des futurs possibles tantôt favorables, tantôt plutôt désagréables en se fondant sur les tendances, les technologies et les décisions actuelles. Bien-sûr une fiction et tout particulièrement la science-fiction ne se contente pas du banal de notre quotidien, disons qu'elle pousse à l'extrême des aspects de notre réalité présente, c'est-à-dire essentiellement de nos décisions et choix collectifs afin de nous proposer, à nous, lecteur/spectateur, de savoir si nous adhérons ou non à la proposition des ramifications potentielles de ces choix que nous faisons aujourd'hui de manière plus ou moins raisonnable.
devenir plus qu'incertain. Primer (2004) de Shane Carruth illustre bien cette définition alors que les voyages dans le temps de courte durée vers l'avenir influe même à cette toute petite échelle non seulement les relations personnelles mais aussi la réalité elle-même.
(2013) de Ari Folman pousse, quant à lui, à l'extrême la réalité virtuelle. Il discute ainsi les questions d'identité, de réalité et de libre-arbitre dans un monde halluciné. Et effectivement, la science-fiction est le biais par lequel elle stimule la réflexion sur des questions éthiques et philosophiques. Des contextes nouveaux et provocants sont en effet un terrain de jeu pour l'autrice et l'auteur qui souhaitent aborder des dilemmes moraux qui nous poussent à remettre en cause nos propres valeurs et croyances. Nous nous interrogeons sur la nature de l'humanité, la conscience, l'identité, le libre-arbitre ou encore et peut-être plus pointu les limites de la science et de la technologie.
(2013) de Spike Jonze pose de telles questions mais en les liant à l'intelligence artificielle, aux relations humaines et à l'amour tout comme Stendhal dans De l'amour publié en 1822. En dépeignant une relation romantique entre un homme et un système d'exploitation doté d'une IA, le récit nous invite à réfléchir sur ce qui constitue une relation authentique, sur la possibilité pour une IA de développer une véritable conscience et des émotions, et sur l'évolution de la communication humaine à l'ère numérique.
(2004) de Michel Gondry part d'une prémisse singulière : la possibilité qui nous serait donné d'effacer sélectivement des souvenirs. La toute première question posée est de savoir si nous sommes vraiment la somme de nos expériences ou dit autrement sommes-nous déterminés par notre passé ? Manipuler la mémoire ouvre aussi des perspectives dangereuses mais outre l'implication politique d'une telle méthode, éliminer de notre mémoire la souffrance, n'est-ce pas en partie nous annihiler ?
Et qu'en est-il de notre libre-arbitre ? Sommes-nous condamnés à répéter les mêmes erreurs même si nous les avons oubliées ? Si notre raison trouve normal de supprimer de nous nos passions, qu'en sera t-il de l'amour ?
La science-fiction est-elle capable d'apporter de nouvelles solutions ?
Il est vrai qu'elle est un laboratoire d'idées d'autant plus innovant que la science-fiction s'affranchit sans vergogne de nos contraintes actuelles. Elle est inspirante et en effet nombre de nos design actuels ont pour origine des idées de la science-fiction.
Certaines autrices et auteurs sont si visionnaires sur leurs anticipations qu'ils nous forcent à réfléchir aux problèmes avant qu'ils ne surviennent. Et puis, reconnaissons que la science-fiction est exemplaire. Elle est un modèle tout comme le furent les mythes qui décrivent des En ce temps-là qui, si nous leur prêtons quelque attention, nous encouragent à questionner nos propres façons de penser.
Certes, la science-fiction apporte des solutions mais celles-ci ne sont pas des réponses radicales. Ce que font les auteurs et les autrices de science-fiction est de mettre en lumière autant les bénéfices que les risques de solutions proposées.
Et une chose importante que les autrices et les auteurs de la science-fiction ne devraient jamais oublier : c'est leur fonction démocratique en vulgarisant des idées qui seraient, autrement, inaccessible au plus grand nombre.
Le monde sur le fil (1973) de Rainer Werner Fassbinder qui se fonde sur le roman Simulacron 3 de Daniel F. Galouye qui a inspiré d'autres créateurs aborde avec une rare acuité les concepts de réalité virtuelle et de simulation. Des idées qui appartenaient encore au devenir à cette époque.
Un autre film adapté d'un roman ( Oms en série de Stefan Wul) est La planète sauvage (1973) de René Laloux coécrit avec Roland Topor. Il y a d'abord cette idée que les êtres humains sont minuscules par rapport aux Draags, les habitants de la planète. Cela met en œuvre les thèmes de pouvoir et de domination entre oppresseurs et opprimés et surtout, et certainement est là le sujet qui préoccupe les auteurs : le pouvoir de l'intelligence contre le déterminisme qui semble être une raison suffisante y compris pour des systèmes qui ne se reconnaissent pas autoritaires.