La création d'un monde est un élément fondamental de l'immersion en science-fiction. C'est un processus complexe qui implique la conception détaillée d'un univers fictif cohérent. L'imagination portera sur l'environnement physique, l'Histoire de ce monde et les événements majeurs qui ont fait ce qu'il est, les systèmes sociaux et politiques qui feront ce qu'il deviendra, les cultures et leurs arts et les coutumes, religions, croyances que l'on y rencontre et bien-sûr la technologie et la science qui pointent déjà vers le futur.
D'autres faits sont envisageables concernant les lois physiques qui deviennent souvent des extrapolations de nos propres lois naturelles ou peut-être auxquelles nous rêvons tel que le voyage dans le temps. Autre extrapolation possible : les tensions entre différents groupes ou espèces et, comme toujours, les défis environnementaux et existentiels.
La création d'un monde convaincant nécessite une attention particulière aux détails et à la cohérence. L'autrice et l'auteur imaginent souvent bien plus d'éléments que ce qu'il apparaît directement dans l'œuvre. Cette profondeur contribue à rendre l'univers plus crédible et immersif pour le lecteur/spectateur, même si tous les détails ne sont pas explicitement présentés.
La suspension de l'incrédulité
Parvenir à suspendre notre incrédulité est la tâche à laquelle s'attellent l'autrice et l'auteur en science-fiction. C'est un peu comme si notre esprit accepte de faire semblant de croire pendant un moment. Il y a d'abord une ouverture d'esprit car quand on regarde un film de science-fiction, on accepte l'univers de l'autrice et de l'auteur. On décide de ne pas douter pour conserver notre plaisir.
Malgré nous, néanmoins, même dans le monde le plus étrange qui soit, on recherche des choses à quoi se raccrocher, des choses familières. Et par choses, j'entends aussi et surtout des sentiments qu'on comprend même chez le pire des aliens.
Et puis notre intelligence et sa compagne la curiosité ont tendance à aimer les énigmes. La science-fiction ne fait que nous satisfaire, elle stimule notre imaginaire et il semble bien qu'il soit insatiable. Et ce faisant, en faisant semblant de croire à cet univers, ou plutôt de l'accepter juste un moment, tout notre esprit se construit une compréhension nouvelle de notre propre monde rien qu'en contemplant la possibilité d'une autre monde. Ce que nous ne pouvons faire, une autrice et un auteur l'ont fait pour nous.
Et bien-sûr que suspendre notre incrédulité est nécessaire pour que nous puissions nous évader juste un moment de notre quotidien. Mais nous aurions tort de croire parce qu'un récit est divertissant qu'il est moins sérieux.
Le recours aux sens
N'importe quel récit dans n'importe quel genre est une expérience en soi. La science-fiction possède cette possibilité de nous faire vivre une expérience subjective unique. Chacun d'entre nous percevons le monde d'une manière tout à fait personnelle et individuelle, c'est ainsi que l'on peut dire notre monde, ce n'est pas le monde en général, c'est ce monde bien à nous tel que nous le voyons car en fait, ce que tous nous voyons, c'est le même monde, la même réalité mais l'interprétation que nous en faisons est tout à fait personnelle.
La science-fiction plus que tout autre genre permet cette interprétation de la réalité. Néanmoins, nous recouvrons le récit de nos propres expériences. Un personnage agit, subit, éprouve et comme nous le voyons faire, nous ne pouvons nous empêcher de nous comparer à lui. Contemplons un moment Dave Bowman de 2001 : L'Odyssée de l'Espace (1968) de Stanley Kubrick. La séquence psychédélique de la traversée du monolithe est totalement abstraite (un tour de force du Show, don't tell). Elle permet l'interprétation car nous projetons nos propres significations et ressentons diversement. L'évolution de Bowman en enfant des étoiles interpelle notre propre compréhension de l'évolution humaine, c'est-à-dire vers la transcendance ou du sens de l'existence (les questions existentielles sont souvent le cœur thématique d'un récit de science-fiction).
C'est sans effort que nous comparons les réactions très humaines de Bowman et il nous est facile alors de nous projeter en lui à travers nos propres vécus, croyances et connaissances.
autre. Considérons Cohérence (2013) de James Ward Byrkit. Ici, on nous propose une réalité alternative qui nous est étrangement familière. Une réalité alternative qui s'explique par des concepts de physique quantique qui nous sont néanmoins rendus très accessibles sinon nous n'aurions pas accrochés à cet univers. Ainsi, la situation de départ est très commune : un dîner entre amis. Soudain, voilà que nous explorons un monde où plusieurs versions de la réalité (espace, temps et identité) coexistent et celles-ci nous sont communiqués à travers les regards différents des personnages.
Par ces regards, nous vivons par procuration l'incertitude, une identité qui éclate les limites du corps dans laquelle elle est habituellement confinée et nous questionnons notre propre existence lorsque l'antinomie entre possible et impossible ou entre liberté et déterminisme s'estompe.
J'ai parlé du Show, don't tell qui consiste à montrer les choses plutôt que de les dire. C'est l'application d'une idée très importante : l'empirisme qui soutient que la connaissance vient de l'expérience sensorielle. On pense à la vue mais l'ouïe n'est pas en reste. Le bourdonnement d'un vaisseau spatial dans l'espace intersidéral bien que la propagation du son ne peut s'y faire transmet l'idée d'une technologie avancée par exemple. Ou bien encore le changement graduel d'une tonalité ou d'un rythme signifiera que quelque chose dans l'environnement change ce qui induit une montée de la tension.
Les conséquences des technologies futuristes
Dans Gattaca (1997) de Andrew Niccol, la crédibilité de l'univers est construite autour de l'exploration des conséquences d'une société qui décida de se construire sur le déterminisme génétique. Le récit ne se contente pas de présenter la modification de l'ADN comme un progrès scientifique, ce qu'elle est certainement, mais examine ses implications sur la structure sociale, l'éthique et les opportunités individuelles ou comment un progrès au lieu de servir le plus grand bien s'est mué en un mouvement ségrégationniste.
Quand on cherche à lever l'incrédulité sur un discours, lui donner juste ce qu'il faut de réalisme suffit amplement. Ainsi qu'y a t-il de plus alarmant qu'un système de contrôle qui se fonde sur de constants tests ADN ? N'y perçoit-on déjà une menace sur nos vies quotidiennes, nos emplois et jusqu'à nos relations personnelles ?
Le Jour où la terre s'arrêta (1951) de Robert Wise, le vaisseau spatial cause évidemment une surprise énorme pour les terriens mais par pour Klaatu qui est le personnage principal. Le lecteur/spectateur pourrait cependant rester indifférent face à cette chose extraterrestre. Pour l'éviter, le scénariste Edmund H. North crée un contraste entre l'état actuel de la science dans les années 1950 et des possibles dont le signe est le vaisseau et sa technologie embarquée.
Donc ne vous contentez pas de décrire mais faites interagir les personnages avec cette technologie, montrez comment elle participe aux habitudes mais aussi aux défis qu'elle représente pour eux. Ancrer la technologie dans des situations concrètes et familières permet au lecteur/spectateur de se l'approprier et de demeurer ainsi dans le récit.
Une stimulation intellectuelle
La science-fiction est comme ouvrir une boite de pandore avec des idées qui frôlent la folie. Dans la vie réelle, nous avons par exemple le télétravail : devient-on plus productif ou au contraire cela favorise t-il un certain laissez-aller ? La science-fiction et ses idées nous fait aussi carburer les neurones ! Prenons Premier Contact (2016) de Denis Villeneuve. Des extraterrestres dont le langage à déchiffrer nous retourne complètement notre notion habituelle du temps. Le passé, le présent, le futur : autant de notions qui perdent sens.
Cette capacité que nous avons, en tant que lectrice et lecteur, de prédire en quelque sorte des développements possibles des idées de l'autrice et de l'auteur renforce notre estime de soi et notre confiance en la justesse de nos raisonnements. La lecture (roman ou film) devient une expérience interactive.
Et puis l'être humain est curieux par nature. Les anticipations qui ne rendent pas le récit prévisible mais qui sont provoquées par lui exigent un désir de confirmation. Et lorsque celle-ci survient, elle s'accompagne d'un sentiment de complétude.
L'imagination devient un moyen de la connaissance. En effet, comment pourrions-nous concevoir l'inconnu si ce n'est en le reliant à ce que nous connaissons déjà ? Pour comprendre, il nous faut remonter à l'origine et l'origine est le familier comme point de départ.
Nous vivons l'imaginaire de l'autrice et de l'auteur non pas en s'absorbant totalement en lui mais en le percevant, ou en l'interprétant si vous voulez, selon notre propre expérience, notre propre vécu. Ce qu'on nous propose est une réalité bien différente de la nôtre, alors forcément, nous la comparons à ce que nous avons déjà éprouvé dans notre réalité actuelle.
Par cette comparaison, nous en venons à réinterpréter notre propre réalité, à lui donner un sens qui n'est pas évident mais qui émerge d'une dialectique, ou d'un frottement si vous voulez, entre les idées fantastiques d'une autrice et d'un auteur contenues dans un monde semblable au nôtre et notre monde et ses possibilités somme toute limitées.
Par sa nature même, la science-fiction a une démarche spéculative. Elle nous conduit à réfléchir sur nos valeurs morales et sur leur évolution possible. Elle envisage comment une chose qui nous est familière prend une tournure qui aujourd'hui nous paraît impossible et, se faisant, nous envisageons nous-mêmes les conséquences de cet impossible. Her (2013) de Spike Jonze extrapole sur les relations humaines et en particulier l'amour dans notre ère devenue si numérique. En somme, c'est la question de l' autre qui est examinée dans une dialectique entre réel et fantastique mais un réel très semblable au nôtre avec une technologie légèrement plus avancée. Et nous nous interrogeons : Et si...