Équilibrer le familier et l'étrange dans l'écriture de la S.F.
S'il n'y avait pas de choses familières dans la science-fiction, il nous serait difficile d'entendre ce que le discours d'une autrice ou d'un auteur a à nous dire. Un rapport s'installe entre nous et un imaginaire. Comment une telle relation peut-elle être possible ? D'abord, en tant qu'être humain, nous avons un besoin d'appartenance et de liens affectifs sincères.
Advantageous (2015) de Jennifer Phang se fonde sur le transfert de conscience dans un corps plus apte aux exigences nouvelles surtout pour les femmes. Dans cette dystopie aux allures pourtant si familières, les inégalités se sont accentuées. On est riche ou bien pauvre et dans ce cas, un accès plus que limité aux opportunités. Advantageous insiste sur les liens familiaux entre une mère et sa fille alors que la technologie déshumanise davantage. De son côté, Aniara : l'odyssée stellaire (2018) de Pella Kågerman et Hugo Lilja expose comment des humains dans une situation d'extrême isolement demeure néanmoins liés par un même sentiment d'appartenance.
Cohérence (2013) de James Ward Byrkit traite d'identité et de choix de vie en invitant pour l'occasion des théories quantiques. I, Origins (2014) de Mike Cahill assume encore plus le parcours héroïque en tant que quête existentielle mêlant science et spiritualité. Mais le héros devra surmonter son scepticisme initial et ses traumatismes s'il veut répondre à ses propres questions sur l'identité et la réincarnation. Upgrade (2018) de Leigh Whannel se fonde sur le thème de la vengeance mais le problème au cœur du récit est la récupération de son identité et de son propre corps.
Vous voyez, l'héroïsme est très souvent une confrontation avec soi-même. La technologie à venir de plus en plus intrusive remet en cause notre identité et nos croyances. Notre être mérite bien plus en somme.
La famille comme moyen d'accès au récit de science-fiction
On peut se demander pourquoi Advantageous a fait ce choix d'insister sur les liens familiaux pour traiter de la déshumanisation. Les relations familiales, nous y sommes tellement habituées que nous ne les percevons plus, alors en les transposant dans des situations extraordinaires, nous les réactualisons afin d'en ressentir de nouveau toute l'importance dans notre relation à l'autre. Jurassic Park (1993) de Steven Spielberg conte la relation entre adulte et enfant, un thème cher à Spielberg, une marque de fabrique en somme ; Terminator 2 : Le jugement dernier (1991) de James Cameron nous introduit au concept du père de substitution révélant ainsi la faillite des pères biologiques.
L'idée consiste à redonner à la relation familiale sa signification primordiale.
Midnight Special (2016) de Jeff Nichols nous conte le récit d'un père qui protège son fils contre des forces qui le dépassent totalement mais l'amour filial est bien davantage réel que l'adversité. The Host (2006) de Bong Joon-ho débute avec une famille pour le moins dysfonctionnelle mais là n'est point le discours des auteurs, ce que l'on découvre par la suite est que le sens de la famille est le véritable acte héroïque. Robot and Frank (2012) de Jake Schreier, un enchevêtrement heureux entre comédie et science-fiction, c'est le récit d'une relation improbable d'affection entre un homme âgé pétri dans la solitude morale et d'une IA.
Des mécanismes de défense semblables
Déni, projection, rationalisation, nos personnages ne sont pas différents de nous. L'étrange The Man from Earth (2007) de Richard Schenkman expose précisément le déni et la rationalisation chez les collègues de John comme mouvement de l'intrigue. Possessor (2020) de Brandon Cronenberg enchevêtre aussi admirablement thriller et science-fiction dans un récit de dissociation et de projection.
La possession est une métaphore de la projection d'une conscience dans un corps autre, le récit assume à sa façon que l'âme et le corps sont distincts. Mais Tasya projette ses propres désirs et ses craintes sur ses hôtes, c'est là aussi une métaphore que nous déteignons en partie sur les autres. Et réciproquement.
Et puis dans ce processus, il y a un déni de soi. En effet, la projection sur autrui est un mécanisme de défense contre des traits de nous-mêmes que nous ne parvenons pas à accepter.
DansAnother Earth (2011) de Mike Cahill, le contexte d'une planète jumelle de la Terre sert de prétexte d'une étude du déni et de la culpabilité.
La dimension philosophique
La science-fiction adore traiter de l'existence, de la conscience, du libre-arbitre. Solaris (1972) de Andreï Tarkovski est évidemment une référence quand on s'interroge sur la réalité, la mémoire et la conscience mais il est loin d'être singulier.Le Dernier Survivant (1985) de Geoff Murphy se penche sur la solitude et le sens de l'existence tout en questionnant la responsabilité des hommes à s'autodétruire.Appel d'urgence(1989) de Steve de Jarnatt pose la grande question du libre-arbitre et la prise de conscience soudaine du sens de la vie alors que la fin est proche. (2001) de Mamoru Oshii mélange les réalités virtuelle et réelle afin de susciter en nous notre propre questionnement sur notre existence et la conscience que nous avons de nous-mêmes.
L'œil du mal (2008) de D.J. Caruso, nous avons une I.A. qui décide par elle-même de ce qui est juste ou non. Ce qui est intéressant ici, c'est qu'elle ne s'embarrasse pas de dilemmes moraux. Transcendance (2014) de Wally Pfister et bien que le scénario pêche par moments à bien mettre en place le dilemme moral au cœur du récit est un exemple assez convaincant de choix entre sauver le monde ou bien ceux qu'on aime.
En fait, la science-fiction interroge nos valeurs. Par exemple, considérons ce qui est tout à fait du domaine du possible qu'une I.A. préside au système de santé. Elle décidera de la distribution des soins non pas selon le serment d'Hippocrate mais sur la probabilité de la survie.
L'altérité
Nous ne sommes pas seuls, semble nous dire la science-fiction. L'approche de Under the Skin (2013) de Jonathan Glazer est originale car elle nous place dans la perspective de l'autre de manière à ce que l'autre, ce soit nous-mêmes. C'est un moyen de rhétorique en somme pour nous amener à reconsidérer nos comportements sous un regard extérieur (ici, celui d'une extraterrestre).
Under the Skin qui est loin d'être un récit facile dénonce aussi que nos comportements sont ritualisés. Par exemple, lorsque l'entité interagit avec des hommes dans un club ou un bar, elle reproduit mécaniquement des attitudes, des postures telles que sourire, établir un contact visuel... Ce que l'auteur Walter Campbell essaie de nous dire par cette séquence, c'est que souvent, trop souvent, nous ne comprenons pas le sens de nos actions ou l'émotion qui en émane parce qu'en fait, nous suivons des choses préétablies en particulier dans les contextes de séduction ou de socialisation. Ainsi, nous serions des êtres inauthentiques.
Le récit critique aussi les préjugés liés au genre. En faisant le choix d'une apparence séduisante pour l'entité, l'auteur met en relief les attentes et les comportements que le genre implique et la dynamique d'un pouvoir arbitraire qui en découle. Ce qui est étudié ici est la relation entre l'apparence et l'identité et comment l'autre nous perçoit et nous juge sur notre apparence.
Another Earth (2011) de Mike Cahill reprend l'idée d'un autre soi-même. Le film pose le principe d'une réalité alternative qui conte un autre récit de soi. Cette possibilité démontre l'importance de nos choix dans nos destinées. Et si... ? exprime le regret et les aspirations perdues dont l'autre soi-même ne souffre pas.
Monsters (2010) de Gareth Edwards, la présence permanente des extraterrestres met en avant la difficulté de la reconnaissance de l'autre ce qui conduit nécessairement à l'affrontement. A sa manière, ce récit reprend l'idée de colonisation mais non par une espèce d'extraterrestre mais par l'homme lui-même qui envahit le lieu de séjour des extraterrestres qui ne font alors que se défendre contre une menace existentielle.
Le propos de Gareth Edwards est sévère : le mur symbolise notre incapacité culturelle à accepter la différence. Nous ne pouvons comprendre l'autre. L'auteur reprend à juste titre le discours de Paul Ricœur qui nous abjure de reconnaître l'autre comme un autre soi-même et de respecter l'intégrité d'autrui.
Sputnik : Espèce inconnue (2020) de Egor Abramenko où l'autre est un organisme parasitaire ou symbiotique (selon l'interprétation qu'on en fait) en soi, dans notre corps. Soi et l'autre ne se distingue plus. C'est de fluidité de l'identité dont parle ce récit : notre identité est-elle rigide ou bien susceptible de changement ?
Pourquoi aussi avons-nous cette tendance à vouloir dominer ce qui est différent plutôt que de le comprendre ?
Intelligence artificielle & Conscience
Les machines (sans que ce terme ne soit péjoratif) peuvent-elles acquérir une conscience ? Peuvent-elles croire en un Dieu ? Ont-elles une notion de l'infini ? Arthur C. Clarke a permis à HAL 9000 de développer une conscience de soi et lui a donné des émotions et pour conséquences, HAL s'est livré à des actions irrationnelles.
Autómata (2014) de Gabe Ibáñez envisage la possibilité pour un robot humanoïde de modifier sa programmation symbolisant ainsi le libre-arbitre. Celui-ci est alors perçu comme une menace pour l'ordre établi. Le libre-arbitre consiste à faire des choix totalement indépendants, par exemple on ne donne pas de soi l'image que les autres en attendent. L'embarras n'est pas que nous nous servions de notre libre-arbitre, il vient plutôt que les autres ne peuvent déceler nos actions et nos décisions et cette imprévisibilité est la cause d'une anxiété. Alors quand le robot humanoïde PILGRIM 7000 entend faire usage de son libre-arbitre, c'est une source majeure de peur de l'inconnu.
Le libre-arbitre est pourtant très bénéfique lorsqu'il remet en cause le statu quo et pourtant, beaucoup le craignent comme une menace pour l'ordre établi. C'est ce qu'il se passe dans Autómata.
(2019) de Grant Sputore oppose directement un e conscience artificielle à une conscience humaine. Maintenant, la question posée est de savoir si une chose artificielle peut vraiment imiter une conscience humaine pour exister. Ce qui est intéressant ici est que l'éveil de la conscience de l'enfant est parallèle à celui de Mother qui adapte sa propre conscience à celle de l'enfant. Il est remarquable aussi que le scénariste Michael Lloyd Green considéra que les doutes et les questionnements sont des signes de conscience.