Classe Tous Risques (1960) de Claude Sautet

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Malgré un premier long métrage avec "Bonjour Sourire" (1955) passé quelque peu inaperçu, Claude Sautet est revenu à son métier d'origine, scénariste et assistant-réalisateur, notamment pour "Les Yeux sans Visage" (1959) de Georges Franju et sur "Le Fauve est Lâché" (1959) de Maurice Labro avec un certain Lino Ventura, dont l'entente avec Labro était laborieuse au point que ce dernier quitta le tournage juste avant la fin ce qui poussa Sautet à assurer la fin du tournage. Cela pourrait être anecdotique, mais c'est justement de là que le projet d'un second long métrage en solo est venu pour Sautet qui s'est magnifiquement entendu avec l'acteur Lino Ventura. Le hasard faisant bien les choses, le réalisateur Jacques Becker qui avait révélé Ventura dans "Touchez pas au Grisbi" (1955) a aimé le film et, venant de signer "Le Trou" (1960) d'après un roman et scénario de José Giovanni, leur conseille d'adapter un autre roman de cet auteur. Ventura est enthousiaste et s'entand avec Sautet pour adapter "Classe Tous Risques" (1958) de José Giovanni qui participe à l'adaptation en collaboration avec Sautet et Pascal Jardin qui vient remarquer pour ses premiers scénarios avec "Un Drôle de Dimanche" (1958) et "Les Affreux" (1959) tous deux de Marc Allégret. Précisons que Giovanni, ex-truand devenu scénariste et qui deviendra réalisateur avec "La Loi du Survivant" (1967), s'est inspiré de Abel Danos (Tout savoir ICI !) qu'il a côtoyé en prison à la fin des années 40. Le film a connu un succès limité, atteignant difficilement un peu plus de 1,1 millions d'entrées France l'année de sa sortie... Gangster condamné à mort par contumace, Abel Davos s'est réfugié en Italie avec sa famille mais après une affaire avec son ami Raymond ils doivent revenir secrètement en France. Mais après plusieurs incidents la Police suit bientôt leurs traces. Abel fait donc appel à ses anciens complices et amis afin de venir les chercher à Nice et les ramener à Paris avec tout le soutien matériel et financier nécessaire. Mais les amis plus ou moins rangés des affaires se méfient et préfèrent envoyer un homme de confiance, Eric Stark, pour organiser le rapatriement. Sur le trajet retour Abel et Eric se lie d'amitié mais le retour à Paris va s'avérer plus complexe que prévu... 

Abel Davos est incarné logiquement par Lino Ventura acteur devenu star notamment avec "Ascenseur pour l'Echafaud" (1958) de Louis Malle, qui va devenir un fidèle de José Giovanni sur plusieurs films dont deux directement réalisés par le réalisateur-auteur-scénariste avec "Le Rapace" (1968) et "Le Ruffian" (1983), puis retrouvera Sautet pour "L'Arme à Gauche" (1965)  et retrouvera également dans "Cent Mille Dollars au Soleil" (1964) de Henri Verneuil son jeune partenaire, un certain Jean-Paul Belmondo alors un quasi inconnu après quelques films dont "Les Tricheurs" (1958) de Marcel Carné, et qui à la base a été imposé par Ventura et Sautet contre l'avis des producteurs, et bien leur en a pris puisque l'acteur va devenir une star avec "A Bout de Souffle" (1960) de Jean-Luc Godard qui sort une semaine avant leur film ! Leur partenaire et actrice principale Sandra Milo retrouve Ventura après "Le Chemin des Ecoliers" (1959) de Michel Boisrond et retrouvera Belmondo dans "Le Jour le plus Court" (1962) de Sergio Corbucci, entre temps elle va devenir une star avec les films "Vanina Vanini" (1961) de Roberto Rosselini et "Huit et Demi" (1963) de Federico Fellini. Les complices ou associés sont joués par Marcel Dalio grand acteur vu entre autre dans "La Grande Illusion" (1937) ou "La Règle du Jeu" (1939) tous deux de Jean Renoir, mais aussi à l'international avec les chefs d'oeuvres "Casablanca" (1942) de Michael Curtiz ou "Le Port de l'Angoisse" (1944) de Howard Hawks, Michael Ardan vu dans "Panique" (1946) de Julien Duvivier ou "L'Ennemi Public Numéro Un" (1953) de Henri Verneuil, Claude Cerval  vu dans "Bob le Flambeur" (1955) de Jean-Pierre Melville ou "Le Beau Serge" (1958) et "Les Cousins" (1958) tous deux de Claude Chabrol après lesquels il retrouve l'actrice Jeanne Pérez, puis citons Bernard Dhéran habitué aux costumes comme dans "Belles de Nuit" (1952) et "Les Grandes Manoeuvres" (1955) tous deux de René Clair, René Génin grand second couteau des années 30 à 60 avec entre autre "Les Bas-Fonds" (1936) de Jean Renoir, "Quai des Brumes" (1938) de Marcel Carné, "L'Assassin habite au 21" (1942) de Henri-Georges Clouzot ou "Les Yeux sans Visage" (1960) retrouvant ainsi Sautet et son partenaire Charles Blavette acteur fétiche de de nombreux film de Marcel Pagnol dont "Regain" (1937) et "La Femme du Boulanger" (1938), Jacques Dacqmine vu dans "Caroline Chérie" (1951) de Richard Pottier ou "Michel Strogoff" (1956) de Carmine Gallone, puis en fin Evelyne Ker vue dans "Les Fruits Sauvages" (1953) de Hervé Bromberger ou "Ramuntcho" (1958) de Pierre Schoendoerffer... A l'époque du film, personne ne semble avoir fait le lien entre Abel Davos alias Lino Ventura et le personnage réel et au combien nauséabond Abel Danos, gangster et collabo-tortionnaire de la gestapo alors que pourtant l'individu est connu, exécuté peu d'année avant le film, c'est plusieurs années après, avec la postérité que certains se sont offusqués qu'on ait pu faire un film avec un tel exemple. Mais rappelons-le il s'agit ici bel et bien d'un film de fiction, nullement un biopic ou un film historique, José Giovanni s'est seulement inspiré de certains aspects de sa vie. Outre Davos/Danos, le personnae du complice en fuite est lui-même inspiré de Raymont Naudy dit le Toulousain membre du "Gang des Tractions Avant", tandis que le commissaire Blot s'inspire du commissaire Georges Clot responsable de la cellule anti-Gestapo à la Libération... 

On peut dire que le film est scindé en deux parties, l'exil, la fuite, et le retour catastrophe en France, puis l'arrivée de Stark/Belmondo qui signe le retour définitif vers Paris et qui symbolise aussi malgré tout la fin d'un chapitre. Dès le début on reconnaît le style très épuré et direct des Films Noirs à la française emmené par les Duvivier, Becker, Autant-Lara, Gabin et qui va avoir encore de beaux jours avec Giovanni justement et surtout Melville... Un Noir et Blanc beau et net sans abuser des jeux d'ombres, un scénario avare de discours, une violence abrupte et sèche sans chichi et sans blabla et surtout des gueules et une atmosphère fataliste omniprésente, aucune sensiblerie ce qui ne veut pas dire sans émotion. Et surtout un scénario qui tient la route, qui reste ancré dans un réalisme digne des faits divers. Le seul véritable bémol vient du début de la relation entre Davos/Ventura et Stark/Belmondo, une rencontre placée sous le coup de foudre amical, tout va pour le mieux, confiance et loyauté semble automatique et soudain ce qui paraît antinomique avec la personnalité de Davos avant tout, qui nous est montré comme un tueur de sang froid, taciturne et méfiant, puis pourtant accepte sans trop sourciller ce jeune gangster inconnu ?! C'est ce bémol qui coûte la dernière étoile. Néanmoins, le duo fonctionne bien ensuite, le récit évolue de façon efficace et on savoure un récit sans fioriture à l'image de son personnage central. Un très bon moment à conseiller.

Note :                 

17/20