L'écriture de mystères se fonde sur des énigmes. Quelles sont-elles ? Nous avons évidemment l'intrigue principale qui justifie tout le récit même lorsqu'il s'agit d'un McGuffin, c'est-à-dire un prétexte comme de trouver un objet sacré qui n'a d'autre utilité que de donner une motivation d'agir aux personnages.
Ensuite, c'est à un jeu du chat et de la souris que se livreront l'autrice et l'auteur. Ils parsèmeront leur récit de fausses pistes qui ne seront certes pas sans signification mais dont la finalité est de détourner à la fois le personnage principal de la vérité et tout autant le lecteur/spectateur. Et puis, ils mettront dans le texte quelques indices, des détails qui semblent sans importance mais qui ont néanmoins une signification qui s'éclairera bientôt, mais pas encore... pas encore.
L'ambiguïté est au cœur d'un mystère. Comment se manifeste t-elle ? Par les personnages bien sûr. Certains d'entre eux posséderont des motivations difficiles à saisir et feront des actions que nous ne comprendrons pas sur le coup. Souvenez-nous, néanmoins. Même ambiguë, toute action n'est pas sans signifiance. Comme l'autrice et l'auteur ne doivent pas rendre prévisible la solution, les informations se révéleront progressivement. Le suspense se maintiendra alors de lui-même sans qu'aucune béquille artificielle ( deus ex machina) ne vienne corrompre ce qui serait un beau mystère autrement. A couteaux tirés (2019) de Rian Johnson ne fait rien d'autre que d'appliquer des fausses pistes, d'introduire des personnages pour le moins ambigus et nous révèle à son rythme sans aucune précipitation les terribles secrets de chaque membre de la famille. Broadchurch (entre 2013 et 2017) est une série dans laquelle les secrets des habitants d'une petite ville côtière côtoient l'intrigue principale avec autant d'intrigues secondaires que de fausses pistes. The Sinner (32 épisodes entre 2017 et 2021) de Derek Simonds fouille les obscures motivations de ses personnages comme fil d'Ariane de l'intrigue ; ces vérités voilées se dessillent lentement et, je l'avoue, de manière assez éprouvante pour le lecteur/spectateur.
Les indispensables intrigues secondaires
Un bon récit (et en particulier de mystères) se constitue aussi d'intrigues secondaires. Un récit possède un caractère double : l'intrigue secondaire, d'une manière figurée qu'il nous faut interpréter, éclaire à sa manière l'intrigue principale.
L'intrigue secondaire n'est pas forcément une histoire dans l'histoire. Souvent, elle est parallèle à l'intrigue principale mais, comme dans Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melville, elle porte sur la psychologie du personnage (ses motivations, son mode d'être...) ou des symboles comme l'oiseau en cage qui traduit la condition de Jef.
Les conflits intimes peuvent aussi interférer avec l'intrigue principale qui, dans un mystère, consiste en une enquête. Memories of Murder (2003) de Bong Joon-ho insiste sur les frustrations et le désespoir des deux policiers pour expliquer leurs décisions. Preuve en est que nos états intérieurs influencent grandement ce que nous montrons à l'extérieur. Dans ses yeux (2009) de Juan José Campanella parle avant tout de l'obsession du héros pour une affaire qui le hante toujours 25 ans plus tard. Une passion qui s'entremêle avec l'amour secret qu'il porte à sa collègue. Dans la chaleur de la nuit (1967) de Norman Jewison insiste, quant à lui, sur les préjugés raciaux pour compliquer une enquête qui n'apparaît pas si évidente.
Qu'il s'agisse de traumatismes, d'ambitions, de préjugés ou de dilemmes, tous ces travers intimes qui ne répondent à aucune démonstration logique sont pourtant au cœur des récits.
Une structure intéressante est lorsque des intrigues secondaires sont elles-mêmes des mystères qu'il faut d'abord résoudre pour atteindre la vérité. Toute l'intrigue de Dark (2017-2020) de Baran Bo Odar et Jantje Friese repose sur un paradoxe temporel. Il n'y a rien de plus difficile que d'expliquer un tel paradoxe. Alors, les auteurs ont posé des mystères secondaires concernant les différentes lignes temporelles et les relations entre les personnages pour que nous puissions ensuite comprendre la vérité.
Britt Marling et Zal Batmanglij sont bien connus pour aimer tout ce qui nous est parallèle. The OA (2016-2019) introduit des mystères autour de l'expérience de mort imminente et des dimensions parallèles qui devront d'abord être résolues pour qu'une fois assemblés, nous comprenions l'intention des auteurs.