Écrire la sf – 33

Les concepts abstraits dans la science-fiction

La métaphore et le symbolisme seront de très précieux alliés pour traduire à l'écran de la science-fiction des idées abstraites autrement inaccessibles et pourtant nécessaires au récit.

Upstream Color (2013) de Shane Carruth utilise la métaphore d'un parasite pour parler de la relation humaine et de notre interdépendance. Et ce sont des éléments naturels (des plantes ou des animaux) qui symbolisent les émotions et nos différentes humeurs. Cette vision s'attache à l'holisme dans lequel tout est indivisible. Ou, dit d'une autre façon, tous les systèmes vivants sont liés. Selon Carruth, notre relation aux autres n'est pas un fait de société, de bien vivre ensemble, mais une tendance tout à fait naturelle. Un autre exemple est celui de The Endless (2017) de Justin Benson et Aaron Moorhead dans lequel la stagnation de soi et le passé sont représentés par des boucles temporelles.

La technologie : pierre angulaire de la science-fiction

Depuis Samuel Butler qui, dès 1872 dans Erewhon, envisageait déjà que les machines pourraient un jour surpasser l'intelligence humaine, il n'en reste pas moins que la science-fiction pose la question de la conscience et de notre identité. Descartes par exemple place la conscience au cœur de l'identité. Penser ce que nous sommes, c'est être.
Westworld (2016 - 2022) de Lisa Joy et Jonathan Nolan pose l'émergence de la conscience en des êtres artificiels. Qui est humain ? Un androïde peut-il être plus humain que l'humain ?

(2018 - 2020) de Laeta Kalogridis pose le principe (donc c'est un fait que le récit n'explique pas) que la conscience se transfère d'un corps à un autre. Ici, ce n'est pas vraiment de l'âme distincte du corps dont on parle mais plutôt que ce qui nous définit comme nos souvenirs et notre vécu sont distincts de notre corporéité ou dit autrement de notre identité.

Par ailleurs, le biais de la réalité virtuelle est un chemin facilement emprunté, un peu trop peut-être et qui doit être soigneusement pensé pour être digne de notre intelligence. En effet, lorsqu'elle n'est pas un gadget, la réalité virtuelle est fascinante. ExistenZ (1999) brouille la limite entre réel et virtuel et, certes, connaissant Cronenberg, de manière très provocante ce qui ne manque pas de nous déranger dans notre confort de lecteur/spectateur.
Strange Days (1995) de Kathryn Bigelow malgré la difficulté de son scénario et de ses thèmes sur la société très dérangeants à l'époque de sa sortie parle des implications sociales et éthiques des réalités virtuelles. Passé Virtuel (1999) de Josef Rusnak est une très belle étude des implications philosophiques des réalités simulées.

Plus grand que nature

Dans un récit de fiction, les traits sont souvent exagérés parce qu'il faut impressionner le lecteur/spectateur. Ainsi, des choses abstraites s'incarnent un peu plus fortement. Dans Blade Runner, les réplicants ont une durée de vie de quatre ans. Pourquoi ? Pour incarner notre angoisse devant la mort. De même, Wall-E se fonde sur une Terre extrêmement polluée pour partager la préoccupation écologique.

Her (2013) de Spike Jonze, la relation entre Théodore (humain) et Samantha (IA) traduit symboliquement notre dépendance à la technologie et notre besoin d'une relation humaine dans un monde qui les dissipe. Le poignant Auprès de moi toujours (2010) de Mark Romanek traite avant tout de déshumanisation (un thème cher à la science-fiction). Clone ou non, le récit semble dire qu'il est vain d'affirmer son identité et son individualité dans un système oppressif car sommes-nous vraiment différents des clones ?

Des métaphores

L'autre monde (2010) de Gilles Marchand utilise la métaphore d'un jeu en réseau pour traiter de la perception de la réalité entre virtuel et réel. Paprika (2006) de Satoshi Kon est un peu semblable sauf qu'ici la technologie sert à pénétrer les rêves, un moyen comme un autre de visiter subrepticement le subconscient d'autrui. Où s'arrête la fiction ? semble nous demander ce conte. The Signal (2014) de William Eubank, malgré son scénario un peu bancal, entremêle aussi réalité et illusion dans des métaphores qui illustrent la conscience et notre humanité ; des thèmes philosophiques en somme que seules les métaphores peuvent mettre à notre portée.

Il y a le sens littéral mais quand on veut bien interpréter un texte, il faut tenir compte du sens figuré mis dans les mots de l'auteur et de l'autrice. En science-fiction, ce sens figuré, ce sont des éléments, des personnages et des concepts qui vont au-delà de leur simple apparence : il y a des idées derrière la façade.

Les mondes imaginaires parlent de thèmes ou d'interrogations que nous rencontrons au quotidien dans notre monde réel, espace et temps confondus. L' autre ou l'étranger se symbolise par des entités extraterrestres (ce que traduit la prolifération de films américains des années 1950 reflétant la paranoïa collective de la Guerre froide) ; comment ne pas admettre que notre vécu se revêt de regrets dans notre vie actuelle ? Alors le voyage dans le temps devient un symbole pour tenter de corriger ses erreurs ou bien accomplir ses rêves de jeunesse... En somme, métaphores et symboles sont des images.