Mystères et dialogues
Dans un scénario et en particulier de mystères, le diable se cache dans les dialogues. D'abord, le jeu des révélations sera progressif. Dans Chinatown, Polanski nous sert l'intrigue au compte-goutte et chaque interaction de Gittes avec les autres personnages est elle-même une pièce de l'énigme. Les dialogues donnent de nouvelles révélations même lorsqu'il s'agit d'indices qui nous échappent totalement lorsqu'ils se produisent. Lorsque Gittes interroge le jardinier des Mulwray, leur conversation semble anodine et c'est là le génie de Robert Towne, le scénariste.
Alors que le contexte de la scène est la sécheresse, le jardinier arrose la pelouse. Gittes lui en demande la raison et la réponse est si évidente : l'eau salée est mauvaise pour les mauvaises herbes. Si l'on est attentif, la question qu'on se poserait alors c'est de savoir pourquoi en pleine sécheresse, de l'eau salée circule dans les canalisations.
Mais l'information est là à portée d'oreilles ; elle est seulement si bien intégrée dans le banal qu'elle en paraît insignifiante et c'est là l'intention des auteurs. Voilà comment on glisse des indices qu'on nous demande de discerner.
Robert Altman fait de même avecGosford Park : aristocrates, domestiques, potins... les dialogues s'entrechoquent, se chevauchent et pourtant chacun d'entre eux construit progressivement l'intrigue. L'idée est de solliciter fortement notre ouïe plus que nos yeux. Il suffit de respecter l'intelligence du lecteur/spectateur, lui donner la satisfaction qu'il comprend mais tout en le frustrant en ne lui donnant pas tout d'un coup : l'incontinence verbale est létale.
Les non-dits
Under the Silver lake (2018) de David Robert Mitchell en est certainement un exemple extrême plutôt qu'un modèle. Non-dits, références obscures, changements de sujet abrupts dans les dialogues, tout cela s'ajoute à la paranoïa ambiante.
silence est tout à la fois le mutisme et un sens caché derrière les mots. Ainsi dans The Invitation (2015) de Karyn Kusama, chaque silence, chaque regard porte en soi un sens souvent fragile mais l'accumulation produit le malaise voulu par les auteurs.
Les dialogues deviennent confrontation mais celle-ci est le résultat d'une tension qui éclate lors d'une scène dont elle est l'aboutissement.
Le climax de Memories of Murder (2003) de Bong Joon-ho prend place dans un tunnel ferroviaire abandonné (les lieux sont aussi chargés de sens) sous une pluie battante. Cette pluie battante n'est pas seulement esthétique. Elle est chargée de symbolisme. L'intensité de la pluie correspond à l'intensité émotionnelle du personnage à ce moment précis. D'autres interprétations sont évidemment possibles.
Les dialogues sont concis, saccadés ; pauses et silences accentuent le poids des mots. Le héros confronte le suspect avec des questions directes et accusatrices cherchant ainsi à s'assurer de sa conviction mais les réponses qu'il obtient ne sont ni aveu, ni dénégation. Cet échange met en avant la frustration du héros et l'incertitude qui caractérise toute l'affaire.
Le choix du moment et du lieu facilite les échanges. Dans Ida (2013) de Pawel Pawlikowski, la confrontation avec la vérité se produit dans un cimetière isolé et ce cadre contraste fortement avec les révélations.
Cluedo (1985) de Jonathan Lynn réunit tous les suspects lors de la confrontation finale ; les révélations s'enchaînent et cela crée une dynamique de groupe qui oriente les dialogues. L'ultime souper (1995) de Stacy Title joue aussi sur la dynamique de groupe au cours de laquelle chaque repas est une espèce de procès, un contexte où les dialogues sont tout de débats et de décisions.
L'idée de cette dynamique de groupe est que chaque participant donne son point de vue unique (sinon il y a redondance) sur l'iniquité qui constitue l'intrigue principale. Les alliances, la méfiance au sein de la dynamique créent de la tension et les révélations surgissent souvent de là où on les attend le moins.
La multitude des points de vue permet le doute et aide à la création de fausses pistes et souvent la résolution du problème est collective.