Écrire la sf – 35

Par William Potillion @scenarmag

Dans l'écriture de la science-fiction, roman ou scénario, il faut trouver l'équilibre entre les concepts scientifiques dont le récit a besoin pour exister et ce qu'on appelle la narration car l'autrice et l'auteur content d'abord une histoire et celle-ci n'est point un traité scientifique.

La science-fiction est duelle : d'un côté, elle offre des concepts novateurs dont l'invention prend corps dans un futur plausible ou un univers alternatif tout à fait crédible (ou du moins rendu crédible par l'art de l'autrice et de l'auteur). Et de l'autre, un récit, une œuvre de fiction qui nous captive parce qu'elle nous raconte des histoires personnelles d'hommes et de femmes, même s'ils sont eux-mêmes élaborés par le génie d'un auteur ou d'une autrice.

Alors comment faire pour que l'un et l'autre de ces aspects ne se cannibalisent mutuellement ? Voici une affirmation qui risque de vous faire douter de vous-mêmes mais la science dans la science-fiction est subordonnée au récit. La science est le moyen par lequel l'imaginaire s'excite en mondes nouveaux dans lesquels des intrigues inédites se produisent. Des intrigues toutes pleines de chaleur et d'émotions qui est le propre de toute fiction digne de nous divertir et dans le cas de la science-fiction de nous instruire non pas tant par des leçons de morale mais plutôt par des avertissements si nous ne prenons garde à notre enthousiasme peut-être parfois plus destructeur que créateur.

Et pourtant, ce qu'on doit retenir, c'est que la science-fiction nous divertit. Elle nous émeut, elle nous questionne, elle nous émerveille. Autrices et auteurs de la science-fiction content des aventures et parfois elles ressemblent au parcours héroïque du chevalier courtois de la cour d'Arthur !

Les données scientifiques sont nécessaires mais elles seront distribuées avec parcimonie, dosées subtilement selon les circonstances de l'intrigue. Ne gavons pas le lecteur/spectateur d'un contenu qu'il jugera indigeste !
Non, ce même lecteur/spectateur les absorbera sans même s'en apercevoir emporté qu'il est par le flux de l'histoire. Le voyage dans la lune (1902) de Georges Méliès est un précurseur en nous faisant vivre une aventure fantastique fondée sur un concept scientifique mais sans jamais s'appesantir sur les détails censés être techniques. Seul sur Mars (2015) de Ridley Scott a en revanche introduit une grande précision dans les données scientifiques mais elles ne nous rendent jamais confus car il les a introduit de manière à démontrer le thème de son récit : la survie d'un homme dans des conditions extrêmes. Ces données constituent la matière même de l'intrigue.

Quand introduire la science dans votre projet ?

On commence par les personnages qui font votre récit (c'est-à-dire le protagoniste, la force antagoniste et quelques archétypes tels que le mentor, le love interest) et le fond sur lequel tous ces êtres s'animent. Aniara : L'Odyssée stellaire (2018) de Pella Kågerman et Hugo Lilja nous expose le vaisseau et la vie qui s'organise en son sein à travers les activités des personnages puis l'accident qui le dévie de sa trajectoire. Le contexte est ainsi posé et le poème continue sur son intrigue.
The Endless (2017) de Justin Benson et Aaron Moorhead nous présente les deux frères et leurs préoccupations juste avant de nous exposer cette secte où l'on ne vieillit pas. The Vast of Night (2019) de Andrew Patterson nous présente aussi ses personnages, leurs activités, et ensuite le signal qui lance l'intrigue.

Seul sur Mars de Andy Weir, la science n'est ni prétexte, ni digression, elle est le moyen de la survie du héros. Dans la série The Expanse de Mark Fergus et Hawk Ostby, la physique ou la géopolitique qui sont en soi des notions peu dramatiques prennent pourtant un aspect tout à fait dramatique car elles font partie des préoccupations des personnages.

Le Dernier Combat (1983) de Luc Besson justifie l'état du monde à travers les actions des personnages. Le recours à de longues explications n'est jamais nécessaire et surtout détruirait l'élan de la narration. Le Prix du danger (1983) de Yves Boisset utilise exactement le même principe narratif : nous découvrons les rouages du système progressivement sans qu'une longue exposition ne nous abrutissent et nous découragent.

Nous l'avons dit, la science-fiction est extrapolation. Prenons le concept de révolution. Il explique l'Histoire, justifie le présent mais comment en faire une idée de science-fiction ? Considérons la théorie actuelle sur les réseaux sociaux et l'état actuel de la technologie et extrapolons les tendances que nous y devinons. Nous pourrions alors imaginer qu'un mouvement révolutionnaire est facilité par ces progrès que nous jugeons utiles.

Nous pouvons extrapoler que les inégalités sociales se creusent davantage. Nous pourrions alors reprendre avec intérêt l'idée de Karl Marx que le progrès technologique influence les structures sociales ; celle de Hannah Arendt sur la libération et la liberté ou bien celle de Gilles Deleuze et Félix Guattari pour incorporer dans notre récit des formes de résistances novatrices. On peut même imaginer qu'une IA instille silencieusement des idées révolutionnaires dans les esprits.

Une chose s'avère indispensable cependant : le lecteur/spectateur a besoin d'un personnage profane qui posera les questions que lui-même se pose. Cela facilitera vos réponses surtout si votre concept produit l'intrigue ou du conflit.