Écrire le mystère – 24

Par William Potillion @scenarmag
La résolution
Le moment de vérité

C'est l'apogée du mystère, le moment où le voile qui recouvre toute une série d'informations diaprée dans l'ambiguïté ou le doute se soulève enfin.
Bien évidemment, un tel moment se prépare. S'il arrive trop tôt, vous frustrerez votre lecteur/spectateur. Et comme tout s'explique facilement par la contradiction, si vous le faites survenir trop tard dans votre récit, au mieux il semblera précipité sinon superficiel, une espèce de Deus Ex Machina qui est tout autant frustrant alors que vous vous êtes vous-mêmes jeté dans une ornière narrative.

Le bon moment se situe dans le dernier tiers du récit. Pourquoi ? Parce que la tension s'est suffisamment épaissie pour que votre lecteur/spectateur halète de connaître la solution de l'énigme. Il est d'ailleurs complètement investi dans cette exigence. Et puis, il vous restera du temps pour explorer les conséquences de la vérité : pour aider à sa digestion par votre lectrice ou votre lecteur.

Sur le plan psychologique

Vos personnages réagiront différemment face à une vérité bouleversante. Tout comme nous, d'ailleurs, dans la vraie vie. C'est pour cela que l'extraordinaire nous paraît familier dans les œuvres de fiction : nous réagissons de la même façon. Face à une information choquante, nous mettons aussitôt un mécanisme de défense en place : on se déconnecte de la réalité. Ce n'est pas encore un déni, il s'agit d'une dissociation aiguë dans le cours de laquelle notre esprit se détache et annihile ce qui l'entoure. Il remet à plus tard la confrontation avec la vérité qu'il ne peut accepter immédiatement.

Et puis donc, le déni. C'est un refus inconscient d'accepter ce qu'on apprend à cause de la douleur que cela nous procure. On évite de souffrir et nos personnages font de même. C'est très utile dans une scène car la plupart d'entre elles se justifient par une situation conflictuelle. Et les deux mécanismes ici présentés créent le conflit entre les deux personnages : l'un annonçant une terrible nouvelle qu'il lui faut partager et l'autre obstinément refusant d'y croire.

Face à la vérité, nous ressentons souvent un sentiment d'impuissance ; la souffrance suinte par tous nos pores. Sur le plan dramatique, le personnage hurle souvent son désespoir mais celui-ci est de colère. Car cette rage nouvelle qui extériorise sa douleur est précisément ce qui déterminera dans la suite de l'intrigue ses actions contre ce qu'il perçoit comme la cause de ce tourment.
Et cette colère peut être tournée contre soi-même ; on flagelle son esprit sinon son propre corps. Cependant, c'est aussi une façon de reprendre le contrôle, de nous forcer à réagir alors que le monde nous convainc qu'on ne peut rien y faire : seulement voilà, nous ne sommes plus en ces temps-là des victimes expiatoires. Certes, on prétend que la colère est mauvaise conseillère : elle l'est. Ce qui explique pourquoi les stratégies mises en place sous l'effet d'une colère passionnée ne saurait être garantie du succès.

Elisabeth Kübler-Ross a observé cinq phases lors d'un deuil (terrible nouvelle s'il en est). Parmi ces étapes du deuil, il y a le marchandage, terme que Kübler-Ross emploie pour décrire ce moment où on tente de trouver des compromis avec la réalité des faits. Prenons Mark Latimer, le père de Danny qui fut assassiné dans la première saison de Broadchurch de Chris Chibnall.
Lorsqu'il découvre le corps de Danny, Mark passe par les étapes du deuil telles que conçues par Kübler-Ross dont le déni et la colère que nous venons d'envisager. Puis, au long cours de l'intrigue, Mark commence à négocier, dans sa tête du moins, avec le destin, Dieu, l'univers. Comment se manifeste ce marchandage ? Mark s'implique personnellement dans l'enquête comme si cela pouvait lui ramener son fils. S'il découvre la vérité, il se dit qu'il pourrait être un père plus attentif aux besoins de sa fille, la seule enfant qu'il lui reste.

Et il se culpabilise aussi. Et s'il avait agi autrement, est-ce que Danny serait encore en vie ? La culpabilité est un voile aussi opaque que le refus. Mark doit passer par toutes les étapes du deuil afin d'atteindre à la rédemption et cet arc dramatique se mêle à l'intrigue principale.

Vos personnages connaîtront aussi, éventuellement, une dépression. C'est une réponse trop vraie face à un événement traumatique ou une perte quelle qu'elle soit. Ce sont des comportements et des attitudes humains auxquelles vos personnages ne peuvent échapper. Tout comme la colère, la dépression est une source de conflits. Qui ne se reconnaîtrait pas dans un personnage qui souffre de la mort d'un être cher ? Il n'est nul besoin d'écrire de manière sublime pour faire naître de tels sentiments en l'âme du lecteur/spectateur. Et à mon avis, ce même lecteur/spectateur n'a nul besoin d'interpréter ce que ressent le personnage, c'est direct.

A l'inverse, lorsqu'un personnage apprend la vérité, il en éprouvera alors un véritable soulagement. Surtout, cette catharsis doit être recherchée chez le lecteur/spectateur. Car c'est bien lui, lorsque la résolution lui est enfin donnée, qui éprouve une décharge émotionnelle : qu'elle soit positive ou négative, il en ressortira de la satisfaction.

Le Prestige (2006) de Christopher Nolan, nous en tirons une satisfaction plutôt positive. Bien sûr, de prime abord, on est choqué par cette révélation mais, en fin de compte, comprendre enfin tous ces indices disséminés au long cours de l'intrigue, nous apporte un vrai soulagement intellectuel. Ce ne peut être qu'intellectuel évidemment, on ne sautera pas de joie sur notre fauteuil quand une énigme se livre à nous. Ce n'est pas comme la tension dramatique qui nous ferait hurler à un personnage de la menace qui le suit. Non, nous sommes récompensés de notre attention, nous nous satisfaisons de l'explication logique bien ancrée dans la réalité de notre monde même si elle demeure néanmoins extraordinaire (comme quoi la science peut rejoindre le mystère) et elle complète le thème du sacrifice pour l'art que nous acceptons mieux ainsi.

Mystic River (2003) de Clint Eastwood, la catharsis s'avère plutôt troublante. Nous sommes choqués par la vérité et par le gâchis de Jimmy à la vengeance aveugle et irraisonnée qui l'a mené à tuer pour rien Dave. La décharge émotionnelle est négative parce que nous espérions une fin plus juste et celle proposée par Brian Helgeland, le scénariste, nous laisse un malaise.

Mais c'est satisfaisant tout de même. Au moins sur le plan narratif car cette résolution est parallèle aux thèmes de culpabilité, de justice, d'assumer ses actes. Bien sûr, on ressent de la tristesse, de la colère aussi et de la frustration, mais c'est toute la beauté de récit.

Memento (2000) de Christopher Nolan souffre d'une étrange amnésie : il ne se souvient plus du passé immédiat et ne se crée donc pas de nouveaux souvenirs. Mais lors du climax qui dans la pensée de Nolan correspond au début de l'histoire de Leonard, Teddy lui apprend que, depuis la mort de sa femme, Leonard se raconte des mensonges à lui-même : il a déjà eu sa vengeance contre l'agresseur de sa femme mais il ne s'en souvient pas.

Pour Nolan, sans mémoire, notre existence est absurde. Ce sentiment incite Leonard à réinventer les événements afin de continuer à se donner un but dans sa vie même s'il ne s'agit comme ici que d'une répétition. Nolan reprend à son compte l'argumentation de John Locke (1632 - 1704) pour qui nous sommes ce dont nous pouvons nous souvenir ; Paul Ricœur (1913 - 2005) soutient que nous construisons notre identité sur les histoires que nous nous racontons à nous-mêmes et que notre mémoire participe de la sélection et de l'interprétation des événements.
Quoi qu'il en soit, la révélation que Leonard prend en pleine face remet en cause toute son identité. Terminons ce paragraphe sur cette idée : la perception de la réalité, nos préjugés, nos croyances, nos missions dans nos vies et jusqu'à notre propre identité ; face à la vérité, nous sommes annihilés.

Le climax est une scène qui ne doit surtout pas manquer son effet. Un mystère, c'est toujours plusieurs personnages et même lorsqu'ils ne sont que deux, l'autrice et l'auteur parviennent à ce que l'un des deux personnages et parfois même les deux usurpent l'identité de personnages imaginaires ; ils prétendent se faire passer pour des êtres totalement différents et évidemment pour duper.

Comment se structure le moment de la révélation ? Habituellement, tous les suspects sont réunis afin que le détective expose ses déductions et nous admirons la manière dont il confronte en fin de compte le coupable. Cette scène du salon dans le jargon du mystère est un rituel du genre. Elle est ce moment de la catharsis que l'autrice et l'auteur tentent d'obtenir auprès de leur lecteur/spectateur.

Même si le héros ou l'héroïne n'est pas le personnage principal, voir et entendre l'intelligence et la perspicacité s'exprimer de manière si brillante dans la résolution d'une énigme est un désir inavoué que le lecteur/spectateur entretient dès le début. Et même si le détective paraît parfois irritant dans sa manière d'être, ce désir compense l'impatience que provoque son attitude.

Les indices s'illuminent ce qui nous force à nous remémorer ce qu'il s'est passé et on comprend les explications. Une révélation de dernière minute nous surprendra encore et finalement un sentiment de justice viendra clore le récit.

Témoin à charge (1957) de Billy Wilder d'après Agatha Christie, la plaidoirie de Sir Wilfrid est entrecoupée d'analepses avant que Christine ne provoque l'émoi dans la salle d'audience. L'analepse est aussi un moyen de nous duper car qu'est-ce qui nous prouve qu'elle-même n'est pas qu'une apparence ?

Une présence justifiée

Gosford Park (2001) de Robert Altman, chacun réagit en fonction de sa classe mais aussi de sa relation particulière à la victime. Sylvia en est soulagée alors que Mary observe les réactions des autres, que Henry est nerveux et craint que son imposture ne soit découverte et quant à Elsie, elle laisse éclater sa colère car elle aimait secrètement la victime...

Ce n'est pas seulement valable pour le genre du mystère. Une scène est faite d'équilibre et de pertinence. Chaque élément et pas seulement les personnages a une fonction spécifique. Ce n'est pas de l'art pour l'art, c'est très pratique au contraire. En somme, chaque personne aura une motivation pour justifier sa présence dans la scène. Ce qui implique que l'auteur et l'autrice pensent cette scène d'abord en termes de contenu.