Dans le mystère, le lieu est décisif. Par exemple, Dark (2017-2020) de Baran Bo Odar et Jantje Friese se situe dans une petite ville entourée d'une dense forêt qui abrite en son sein une centrale nucléaire. L'isolement, la présence de la centrale, les grottes aussi qu'on rencontre dans la forêt participent de plein droit à l'impression que nous en tirons. Il sourde à travers ce cadre les sombres secrets de Winden (une petite ville fictive) mais il explique aussi les paradoxes temporels de l'intrigue.
(2019) de Antonin Baudry prend place dans un sous-marin nucléaire. Ce n'est pas tant le sous-marin qui crée cette impression propre au Chant du loup mais plutôt les profondeurs de l'océan. Ajoutez à cela une menace de guerre nucléaire et vous possédez un cadre exceptionnel. La isla mínima (2014) de Alberto Rodriguez parcourt les labyrinthiques et désolés marécages du Guadalquivir : isolement et danger. La chaleur étouffante devient aussi métaphore de la tension d'une enquête très singulière. La Trêve (2016-2018) prend place elle aussi dans une communauté rurale toute entourée d'une forêt dense et aussi d'un étrange brouillard.
Pour votre scénario, optez pour un environnement qui ne soit pas seulement esthétique. Utilisez un contenu qui soit naturel comme la forêt ou artificiel comme une centrale nucléaire pour instaurer votre mystère. Ce cadre doit suggérer des secrets enfouis, créer des obstacles et bien-sûr influencer le comportement des personnages. Alors cherchez dans ce lieu des endroits isolés et qui peuvent receler des indices. Pensez comment votre cadre interagira avec votre intrigue.
Contrastes et métaphores serviront votre propos. L'opposition entre le sous-marin à l'espace réduit et la vastitude renforce l'angoisse et l'incertitude qui sont étroitement liées à la constitution du mystère. Car, malgré une technologie avancée, celle-ci ne peut rien contre l'inconnu qui enveloppe et oppresse les personnages.
De manière pratique, relevez dans votre environnement ce qui peut nous donner à ressentir l'état émotionnel de vos personnages ou bien, si vous l'exprimez mieux ainsi, qui contraste fortement avec cet état. Et dites-vous que plus un lieu paraît paisible, et plus il est dangereux. L'isolement est d'ailleurs un contexte ou même un thème récurrent dans le mystère. Pourquoi ? Parce qu'il limite les possibilités d'agir pour les personnages. C'est comme si le lieu ramenait toujours en lui les êtres qui le peuplent.
Une lente découverte
Le lieu recèlera des indices utiles qui prendront sens plus tard. Top of the Lake (2013) de Jane Campion et Gerard Lee a pour cadre un lac de montagne dans les Alpes du Sud. Chaque espace tel Paradise cache sa véritable nature ; c'est par le regard de Robin que nous en découvrons les détails. Les rues labyrinthiques de Séoul dans (2008) de Na Hong-jin traduisent la désespérance et la désorientation du héros. D'abord obstacles, elles aussi cachent des secrets et des dangers. L'étonnant (2008) de Joel Anderson réussit même à faire planer la présence du lac sans même que nous nous y rendions.
Les personnages
Dans un mystère, l'héroïne ou le héros sont dès le commencement jetés dans une situation qui nous permet de faire connaissance avec quelques traits de leurs personnalités mais aussi quelques unes de leurs compétences. Le Salaire de la peur (1953) de Henri-Georges Clouzot nous montre dès le départ la situation précaire de ses personnages. Elle est à l'origine de cette mission si singulière que Clouzot lie rapidement à la personnalité de ses personnages.
D'autre part, un personnage est certes un être fictif mais il n'empêche qu'il se fonde sur nous-mêmes. Nous avons des failles, lui aussi. Nous luttons contre nous-mêmes, lui aussi. Dans un mystère, cette fragilité du personnage entre dans la constitution de ce mystère, du moins il l'exploite. (2001) de Ray Lawrence se fonde sur une disparition pour fouiller ses personnages à travers leurs relations (et en particulier celle du mariage). Et dans Mother (2009) de Bong Joon-ho, ce sont les failles personnelles de la mère qui oriente toute l'intrigue.
Il nous faut comprendre rapidement ce qui motive le personnage principal. En un mot, nous devons savoir pourquoi il est là. Pourquoi ? D'abord parce que les motivations sont un accès direct à la psyché du personnage. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a fusion mais seulement que nous reconnaissons des motivations même si, nous-mêmes, en tant que lecteur/spectateur, les ignorons. Après tout, un esprit qui doute veut résoudre son problème. C'est une motivation universelle. Prenons Clarice Sterling du Seigneur des Agneaux (1991) ; rapidement, nous comprenons sa détermination et son désir de réussite professionnelle. Quant à Lisbeth Salander de Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, ses motivations s'éclaircissent au cours de l'intrigue, néanmoins, son désir de justice et sa méfiance envers l'autorité sont immédiatement établis dès qu'elle apparaît.
Quand il y a motivation, il y a un enjeu. Si votre héroïne doit sauver une ville de la destruction, elle aura de bonnes raisons de se sacrifier. Néanmoins, si cela lui tombe dessus sans qu'elle n'est jamais rien demandée ? Vous construirez les motivations après coup ; par exemple, la menace a tué un être qui lui est cher : maintenant elle est motivée par la vengeance. Je l'avoue, éthiquement, c'est plutôt égoïste.
Étudions Hitchcock : Roger Thornhill dans La mort aux trousses n'a aucune motivation quand il est pris par erreur pour un agent secret. Cela lui tombe dessus inopinément. Mais sa motivation se construira dès qu'il aura pris conscience que sa vie et sa réputation sont menacées. Sa vraie motivation sera donc de survivre et de prouver son innocence. Ben McKenna dans L'homme qui en savait trop est en vacances en famille quand se produit l'impensable : l'enlèvement de son fils. Maintenant, sa motivation est de retrouver son fils car il y va de la vie de son enfant. Est-il égoïste de penser d'abord à lui alors qu'il y a un tel enjeu politique derrière toute cette affaire ? Ce dernier enjeu est le très utile McGuffin que Hitchcock emploie très souvent pour se donner une intrigue (c'est-à-dire un prétexte).
Jeff Jefferies de Fenêtre sur cour s'ennuie. Mais c'est un ennui à la Jean Giono pour qui il est un espace de création dans lequel l'imagination s'épanouit. Lorsque Jeff croit apercevoir un meurtre de sa fenêtre, sa motivation est évidente : il veut empêcher ce meurtre et sauver la vie d'une femme. Marion dans Psychose a une motivation très égoïste : elle veut commencer une nouvelle vie avec son amant et pour cela, elle a recours au vol. Mais Marion a besoin d'une rédemption car sa liberté et sa conscience morale sont en jeu. Donc, elle se décide à rendre l'argent.
Vouloir fournit un contexte. Vouloir se nourrir est très dramatique dans un contexte de famine et conduire les actions d'un personnage dans ce sens.