(1896) de Georges Méliès est considéré comme le premier film d'horreur. Méliès utilise les icônes du fantastique : une chauve-souris se transmue en Méphistophélès, fantômes et squelettes sont aussi invités à la fête.
La chauve-souris est habituellement associée à l'obscurité et par là aux forces occultes dans de nombreuses traditions occidentales. De surcroît, dans l'art chrétien médiéval, la chauve-souris est un attribut du diable ou de l'un de ses démons. C'est une créature impure comparée aux âmes qui ne sont pas souillées par nos propres imperfections et nos erreurs.
Méliès ne pouvant se référer à Bram Stoker et à son Dracula paru en 1897, il s'est inspiré du lien étroit entre la chauve-souris et le vampire, une idée qu'il puisa dans le folklore européen. Quant à la métamorphose, elle est un pouvoir attribué aux êtres démoniaques.
Méliès utilisa des références culturelles et religieuses, tirées de la tradition pour introduire visuellement l'élément démoniaque dans son ouvrage.
Ne négligez pas l'importance du lieu dans votre œuvre. Ici, il est utilisé comme signe qui enserre entre ses limites les personnages. Méliès, émerveillé par l'objet qu'il avait entre sa vision et les effets spéciaux, n'en a peut-être pas eu l'intention mais les disparitions et apparitions, à la fois absence et présence, nous invitent à penser qu'entre le monde matériel et un monde contre-nature, comme surnaturel, la distance n'est pas si grande et que ce contrebandier de Méphistophélès n'est qu'un aspect de notre humanité que seule la vertu peut sauver ce qui nous est montré par le jeune homme brandissant la croix.
Sa présence incite les personnages à agir que ce soit Méphistophélès qui trône sur son apparition ou les garçons qui en oublient jusqu'à l'existence du diable. Lorsque vous écrivez un scénario, il est bon d'avoir un personnage qui représente le lecteur/spectateur, un personnage profane qui pose des questions. Ici, Méliès essaie peut-être de transmettre à son public la peur ou la surprise de la jeune femme, c'est-à-dire le personnage avec lequel le lecteur/spectateur de cet ouvrage peut assez facilement reconnaître comme réel.
Cet ancrage, d'ailleurs, renforce la présence machiavélique.
Les peurs
Méliès fait appel à nos peurs primitives. Ce sont des peurs aussi vieilles que l'humanité, qui dureront autant qu'elle et elles sont universelles. Personne n'y échappe vraiment. Ce sont des anxiétés souvent inconscientes car, semble t-il, nous en avons héritées de générations en générations. La peur de l'obscurité, par exemple, qui recèle en son sein l'inconnu.
Dans Le Manoir du Diable, les sombres morceaux d'espace, les figures menaçantes et même les soudaines apparitions provoquent chez le lecteur/spectateur de cette époque une réaction viscérale que nous pouvons encore connaître aujourd'hui.
La manifestation du diable peut s'interpréter comme une projection de nos pulsions refoulées. Le manoir lui-même serait interprété comme notre psyché. Les actions et réactions des deux hommes ne sont que des mécanismes de défense.
Le symbole religieux
A l'époque de Méliès, le christianisme était encore fortement implanté dans la société. La croix est ainsi un objet culturel de moyen contre le mal, un moyen apotropaïque, qui détourne, qui éloigne. La croix surgie de nulle part procure ainsi un dénouement heureux à ce conte moral.
Le bien (la croix, la blancheur immaculée des costumes) l'emporte sur le mal (sombre et difforme). C'est la victoire de la conscience morale fondée sur des préceptes élevés contre nos pulsions bien humaines.
Notre regard ne nous renvoie que ce que nous voulons bien voir de la réalité. Mais quel est donc ce malin génie qui trompe ainsi nos sens ? A sa manière Méliès joue sur le dualisme entre le bien et le mal, le corps et l'âme. Un corps corrompu par ses pulsions, ses passions et ses désirs sera sauvé par l'âme qui lui est temporairement attachée. Sommes-nous vraiment libres de nos choix ? La manifestation du mal est le résultat d'une force que nous avons de grandes difficultés à réprouver. Sommes-nous pour autant naturellement enclins au mal ? Et la morale elle-même ne nous force t-elle pas à agir contre notre nature ?
Quelques conseils
- Fondez votre récit sur des références culturelles et symboliques ou religieuses que votre lecteur/spectateur connaît. La chauve-souris, la croix sont des référents qu'on connaît. En tant que lecteur/spectateur, nous entrons dans votre récit par ces accès.
Ne commencez pas par l'étrange car nous ne pouvons, en tant que lecteur/spectateur, nous y référer. - Pensez les lieux de votre récit. Dans Le Manoir du Diable, le manoir est une représentation de notre psyché. La manifestation du diable et de ses minions se concevraient difficilement si elle ne survenait pas dans un dédale.
- Provoquez des peurs viscérales que nous ne savons pas réprimer : obscurité, brume... le lecteur/spectateur ne peut qu'y répondre.
- Parmi vos personnages, l'un d'entre eux servira d'intermédiaire entre le récit et la lectrice ou le lecteur. C'est par ce personnage que nous pourrons ressentir par procuration l'expérience de l'horreur. C'est ainsi que la présence de la jeune femme dans Le Manoir du Diable se justifie pleinement en plus d'être l'objet de la tentation.
- Identifiez vos contrastes. Le bien et le mal, le matériel et l'immatériel, le corps et l'esprit... Posez vos dualités au moins dans le premier jet de votre scénario quitte à les atténuer plus tard lors des révisions.