[Venise 2024] “Maria” de Pablo Larrain

Par Boustoune

[Compétition]

De quoi/ de qui ça parle ?

De la vie de la diva Maria Callas, et surtout des quelques jours avant son décès, le 16 septembre 1977.
La cantatrice erre dans son luxueux appartement parisien et dans les rues de son quartier, dans un état mental assez instable. C’est la conséquence de la dépression dont elle souffre depuis la mort de l’amour de sa vie, Aristote Onassis, et de l’abus de médicaments pour soulager ses douleurs. Sous le regard inquiet de son majordome (Pierfrancesco Favino) et de sa gouvernante (Alba Rohrwacher), Maria Callas s’imagine interviewée par une équipe de journalistes imaginaires, à qui elle raconte quelques épisodes de sa vie et de sa carrière. Elle se lance des répétitions de grands airs d’opéra comme si elle allait remonter bientôt sur scène, alors qu’elle a de plus en plus conscience que sa voix n’est plus ce qu’elle était. Enfin, elle tente vaille que vaille d’échapper aux avis du médecin (Vincent Macaigne), quine cesse d’essayer de l’alerter sur les conséquences dangereuses de ses excès.

Pourquoi on applaudit pour le rappel ?

Depuis un moment,le cinéaste chilien Pablo Larrain s’est spécialisé dans les biopics. Dans une première veine, il dresse le portrait de certains de ses compatriotes célèbres en adoptant un angle poético-onirique (Neruda sur l’écrivain et politicien Pablo Neruda) ou fantaisiste (El Conde, qui n’est pas à proprement parler un biopic, mais une comédie horrifique mettant en scène un Augusto Pinochet vampire et hantant encore le pays, et décrivant finalement assez bien ce qu’a constitué le règne du dictateur).  Dans une seconde, à laquelle appartient ce nouveau long-métrage, il s’intéresse à des femmes célèbres, à la fois puissantes et fragiles. Cela a donné Jackie, film sur Jackie Kennedy a un moment-clé de sa vie, après l’assassinat de JFK, puis Spencer, biopic de Lady Diana Spencer.

Maria partage avec ces deux oeuvres la même ambiance mortifère, glacée, la même façon de présenter des femmes à qui tout semble ou semblait réussir (l’épouse d’un président américain très populaire, une princesse appelée à devenir un jour Reine d’Angleterre, une diva ayant conquis un très large public) comme des êtres fragiles, à fleur de peau, et plus malheureuses qu’elle ne veulent l’admettre.
Le récit ne détaille pas vraiment tous les épisodes de la vie de Maria Callas, mais donne quelques clés pour comprendre le personnage.
Déjà, elle ne percevait pas son don naturel pour l’art lyrique comme une bénédiction. Certes, c’est cela qui lui a permis de devenir une cantatrice connue, adulée un peu partout sur la planète, et qui lui a assuré un train de vie confortable, avec meubles luxueux, domestiques et assistants personnels. Mais c’est aussi ce qui l’a privée d’une enfance heureuse, car l’apprentissage du chant a sans doute nécessité des heures de travail et beaucoup de sacrifices. La mère de Maria l’a poussée à développer son talent autant pour satisfaire, à travers elle, ses ambitions artistiques frustrées, que pour pouvoir l’exploiter financièrement. La cantatrice en a gardé une certaine rancoeur, l’impression d’avoir été prostituée en échange de quelques drachmes. Ce n’est pas qu’une image, car dans le seul vrai flashback montrant cette mère honnie, on voit Maria et sa soeur obligées de chanter et danser devant des officiers nazis, retardant le moment de devoir s’allonger auprès de leurs “protecteurs”. Ce n’est pas précisé dans le film, mais il a été reproché à La Callas et sa famille d’avoir profité d’un certain confort durant l’Occupation, sans doute lié à ces plaisirs assurés aux officiers. On comprend que la cantatrice n’ait jamais vraiment accepté l’idée d’avoir pu bénéficier d’un tel soutien au début de sa carrière et blâme sa mère pour cela.

Pour La Callas, chanter n’a jamais vraiment été un plaisir, mais une contrainte, une souffrance. Elle visait la perfection et travaillait énormément pour tirer le meilleur de sa voix. Parfois, elle n’y parvenait pas et renonçait à se présenter à son public. Dans une autre scène, on la voit s’asseoir à la terrasse d’un café, s’assurant que des passants pourront la reconnaître, juste pour se rassurer quant à la persistance de son aura, sa notoriété malgré une carrière à l’arrêt depuis plusieurs années. Mais quand un fan l’aborde pour lui dire qu’elle lui a brisé le coeur en annulant un concert, un soir où sa voix n’était pas assez assurée, elle se met en colère et rembarre le malotru, cet insignifiant personnage qui ne saura jamais l’effort que représente l’art lyrique. Elle se sent vexée. Elle n’a jamais triché. Si elle renonçait, c’est qu’elle ne pouvait pas chanter, qu’elle n’en avait plus la force.
Elle n’était pas une simple chanteuse, mais une vraie voix. Elle était probablement jalouse du succès d’artistes comme Franck Sinatra ou Marylin Monroe qui devaient davantage leur succès à leur physique avenant qu’à leur voix ou leur travail, mais qui gagnaient beaucoup mieux leur vie qu’elle.

Non, chanter n’était pas un plaisir pour elle. Du moins au début de sa carrière, quand elle enchaînait les tournées et les représentations d’opéras. Quand elle a rencontré Aristote Onassis, riche armateur grec tombé sous son charme, et qu’elle est devenue sa maîtresse, ce-dernier lui a interdit de chanter pour d’autres que lui, ce qui a conduit à un certain déclin de sa carrière à partir des années 1960. Elle a alors souffert de n’être plus qu’un oiseau en cage, de ne plus pouvoir continuer à développer son art. C’est pourquoi elle se décide in fine, juste avant sa mort, à reprendre le chant. Pas pour les autres, pas pour son amant, mais juste pour elle, par plaisir et par orgueil.

Autre point commun avec Jackie et Spencer, la façon avec laquelle Pablo Larrain filme les lieux. Que ce soit la Maison-Blanche, Sandringham House ou l’appartement de l’Avenue Georges-Mandel, le cinéaste en fait des sortes de cages dorées, trop étroites, malgré leur confort apparent, pour ses personnages avides de liberté.
La Callas n’aspirait au fond qu’à cela : une certaine liberté, la possibilité d’un nouveau départ. Mais elle était trop prisonnière de son image, des attentes de son public et de sa santé déclinante pour en avoir la possibilité. Elle n’avait guère plus de possibilité de mouvement que son vieux piano, trimballé d’une pièce à l’autre par son majordome, au gré de ses humeurs.

Enfin, les biopics féminins de Pablo Larrain ont en commun de s’appuyer sur de grandes performances d’actrices. Après Natalie Portman et Kristen Stewart, Pablo Larrain a choisi de confier le rôle à Angelina Jolie, absolument parfaite dans ce rôle. Si elle est aidée par une certaine ressemblance physique avec la diva, elle semble avoir beaucoup travaillé sa gestuelle, ses mimiques, pour donner chair à ce personnage singulier.
Elle se nourrit de sa propre expérience de star hollywoodienne traquée par les paparazzi, mais s’efface presque complètement derrière le personnage, parvenant pleinement à communiquer ses sentiments complexes, son mal-être face à l’âge et au déclin de ses capacités vocales.

Certains trouveront sans doute le film un peu trop froid, trop funèbre. Mais c’est un parti-pris assumé par le cinéaste, qui reste fidèle à sa méthode, ses thématiques. C’est en tout cas bien meilleur que bien des biopics hagiographiques, qui, tout en cherchant à être exhaustifs sur les détails de la vie de leurs sujets, ne parviennent jamais ne serait-ce qu’à effleurer leur personnalité profonde.

Contrepoints critiques :

”Si le geste est beau, réussi et impressionnant bien souvent, le sentiment d’assister à peu de choses, avec une narration extrêmement ténue, demeure fortement.”
(Florent Boutet – Le Bleu du miroir)

”[Pablo Larrain] utilise tous les outils à sa disposition pour créer une expérience sensorielle captivante.”
(Anaïs Bordages – Slate)

Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema – Copyright Pablo Larrain)