[Hors-Compétition]
Catherine Ravenscroft (Cate Blanchett), journaliste renommée, voit sa vie soudainement bousculée quand elle découvre dans sa boîte aux lettres un roman intitulé « Un parfait inconnu ».
Le préambule précise que « toute ressemblance avec des personnes existantes n’est pas fortuite » et elle comprend que l’intrigue de ce « roman » tourne autour d’un drame survenu vingt ans auparavant en Italie, dont elle était l’un des protagonistes essentiels.
Tandis que son conjoint Robert avait dû repartir à Londres pour une réunion de travail, Catherine avait choisi de terminer ses vacances en Italie, accompagnée de leur fils de cinq ans, Nicholas. Profitant d’un bref moment d’inattention de sa mère, l’enfant était monté sur un canoé pour enfant et s’était dirigé vers les vagues. Il n’avait échappé à la noyade que grâce à l’intervention d’un jeune touriste, Jonathan, qui avait payé de sa vie cet acte courageux.
La journaliste comprend que le livre, qui la présente comme une garce manipulatrice et dénuée d’empathie, a dû être écrit par Stephen Brigstocke (Kevin Kline), le père du jeune homme, qui la considère comme responsable de sa mort. C’est presque cela. En triant les affaires de sa défunte femme (Lesley Manville) Brigstocke a découvert le manuscrit, en fait écrit par son épouse, ainsi que quelques clichés pris par Jonathan durant son séjour, dont des photos compromettantes de Catherine. Dévasté par la mort de son fils puis de son épouse, et rongé par la haine, le vieillard a décidé de se venger de Catherine en ruinant sa réputation et en détruisant sa famille.
Pourquoi on ne se noie pas totalement sous les vagues de mélodrame?
Tiré du roman de Renée Knight et adapté en sept épisodes d’une heure, Disclaimer est un mélodrame pur jus, qui empile les couches de drame : accidents tragiques, maladies fatales, passions exacerbées, personnages englués dans les mensonges et les secrets, traumas d’enfance, addictions toxiques… Inutile de dire que la barque est très chargée et que l’ensemble risque fort d’être assez insupportable pour celles et ceux qui sont totalement allergiques au genre.
Cependant, force est de constater qu’Alfonso Cuaron réussit à mener l’embarcation jusqu’à bon port, grâce à sa mise en scène, toujours aussi fluide et élégante, et une direction d’acteurs parfaite.
Il est vrai qu’il bénéficie ici d’interprètes de tout premier plan, à l’instar de Cate Blanchett et Kevin Kline, les deux antagonistes de cette histoire tortueuse. Grâce à un format de 7 x 55 mn qui permet de développer chaque personnage avec le même soin, ils bénéficient d’une belle marge de manoeuvre pour travailler toutes les facettes de leurs personnages, ce qui nous incite constamment à revoir notre jugement sur leurs attitude et leurs actes, au gré des épisodes. Leurs performances ont entraîné leurs partenaires, Sacha Baron-Cohen, Lesley Manville, Louis Partridge et Kodi Smith-McPhee, à livrer également des performances remarquables. Mais ici, c’est une quasi-inconnue, Leila George, qui réussit le tour de force de leur voler la vedette, dans les épisodes où elle apparaît. Solaire, ensorcelante, sublime de sensualité et de mystère, elle apporte beaucoup à l’atmosphère singulière de cette mini-série, tout en contribuant fortement à la température caniculaire qui frappe la lagune en cette fin de mois d’août 2024… Il faut dire que la jeune femme possède un patrimoine génétique favorable puisqu’elle est la fille de l’actrice Greta Scacchi et du comédien Vincent d’Onofrio.
Les personnages sont les éléments centraux de ce drame. Ce sont tous des êtres complexes, ambigus, capables du pire mais aussi du meilleur et ayant beaucoup de peine à verbaliser leurs émotions. C’est ce qui les rend difficile à appréhender et demande du temps pour bien comprendre comment se drame en plusieurs actes s’est noué. C’est aussi ce qui explique que la vengeance à tiroirs élaborée par Brigstocke puisse réussir, en s’appuyant sur les problèmes de communication à l’intérieur de la cellule familiale.
Outre ses comédiens et ses personnages finement ciselés, Cuaron s’appuie aussi sur une narration habile, dévoilant au fur et à mesure les tenants et aboutissants de l’oeuvre pour garder la tension intacte jusqu’à l’ultime épisode. Si les éléments de mélodrame sont nombreux, Cuaron a la bonne grâce de ne jamais chercher à les appuyer par des artifices de mise en scène ou par une musique envahissante. Il sait toujours à quelle distance placer sa caméra pour capter l’attention du spectateur ou le maintenir à distance. En conséquence, on ne s’ennuie jamais, malgré une durée fleuve de sept heures – ce qui est beaucoup pour un thriller et pour un mélo – et on a envie, comme quand on lit un bon “page-turner”, de connaître la suite. Assurément, Cuaron est un conteur hors pair et, même s’il est ici dépendant de la structure du récit original, il parvient à imprimer son propre style, sa propre patte visuelle, bien aidé par ses expérimentés chefs opérateurs Emmanuel Lubezki et Bruno Delbonnel, qui créent des environnements à la fois familiers et inquiétants, dans la lignée des photos de Gregory Crewdson.
Si cette série ne possède pas tout à fait le brio technique des meilleurs films d’Alfonso Cuaron (Les Fils de l’Homme, Gravity) ou la force intimiste de Roma, elle n’en demeure pas moins un objet télévisuel (et cinématographique) bien supérieur à la norme et qui trouve toute sa place dans un festival comme la Mostra de Venise.
Contrepoints critiques :
”Like Kline’s performance, everything in Disclaimer is a little dazzling and a little silly.”
(Daniel Fienberg – The Hollywood Reporter)
“The storytelling is exceptional — Cuarón writes sublimely about family dynamics, sexual jealousy and the definitive lies that we tell to those closest to us”
(Kevin Maher – The New York Times)
Crédits photos : Images fournies par le service presse de la Biennale Cinema – copyright Apple TV+