[Venise 2024] “Nonostante” de Valerio Mastandrea

Par Boustoune

[Orizzonti – Film d’Ouverture]

De quoi ça parle ?

D’un groupe d’individus hospitalisés, entre la vie et la mort.
Si leurs corps sont inconscients, immobiles et muets sur leur lits, leurs âmes, elles, vagabondent librement. Les autres humains ne les voient et les entendent pas, mais ils peuvent discuter entre eux, se promener librement et affronter ensemble cette situation difficile..

Ainsi, le personnage joué par Valério Mastandrea, dont on ne connaîtra jamais le prénom, est plongé dans le coma depuis plusieurs jours, mais vit sa meilleure vie dans les couloirs de cet hôpital, loin de la vie réelle et ses soucis. Il s’est fait des amis (Lino Musella et Laura Morante) et s’éprend même de la nouvelle venue (Dolores Fonzi). Un vrai coup de foudre, comme il n’en avait probablement jamais connu avant. Mais dans ce contexte singulier, une histoire d’amour peut-elle voir le jour?


Pourquoi on aime à mourir ?

Le film de Valerio Mastandrea est un objet cinématographique original et assez inclassable. Il s’amuse à jouer aussi bien avec les codes du mélodrame que de la comédie romantique, navigant sans cesse entre gravité et légèreté et s’appuyant à merveille sur les idées-forces de son récit.

Tout commence avec une levée de corps à la morgue de l’hôpital. On observe les proches éplorés et des visages tristes. On s’attend illico à assister à un mélodrame classique et tire-larmes. Mais soudain la caméra se focalise sur Lui (Valerio Mastandrea), qui retourne jusqu’à sa chambre à l’hôpital en empruntant, sans gêne, un chariot élévateur, un fauteuil roulant, une nacelle de nettoyeur de vitres. L’attitude du personnage, la musique qui accompagne son parcours donnent subitement au film une tournure plus légère. L’homme pénètre dans une chambre d’hôpital et observe un petit garçon remercier une personne alitée de lui avoir sauvé la vie. Un mouvement de caméra nous fait comprendre que le corps alité est le sien et que seule son âme peut aller et venir à sa guise, discutant avec d’autres patients dans le même état que lui.
Depuis le temps qu’ils sont hospitalisés, dans un état végétatif, les membres de ce petit groupe ont noué une certaine complicité. Ils se retrouvent fréquemment pour trouver un peu de réconfort les uns auprès des autres et affronter ensemble cette situation incertaine.

Un jour, une nouvelle patiente arrive, dans le coma, nécessitant une opération du crâne et elle est installée dans la chambre jusque-là occupée par le personnage principal, qui est déplacé dans une autre chambre. Pour lui, c’est probablement une source d’angoisse, un signe que l’on ne lui donne plus guère d’espoir de guérison. Les premiers contacts avec la jeune femme sont donc assez houleux, mais comme souvent dans les comédies romantiques, il faut souvent passer par des débuts chaotiques pour que l’amour puisse finalement éclore. Cela se fera pas à pas, au gré des discussions, de la complicité naissante.
Le problème, dans cette situation, est la pérennité de cet amour. Pas à cause de la volatilité du sentiment amoureux en lui-même, non, mais à cause de la volatilité de leur propre état. A tout moment, ils pourraient décéder, et connaître le même sort que ceux qui finissent dans leur section de l’hôpital. Régulièrement, la grande faucheuse appelle leurs âmes en faisant souffler des bourrasques très violentes, menaçant de les emporter. Ils pourraient aussi, à l’inverse, finir par sortir du coma et reprendre leur vie d’avant. Mais cela signifie oublier tout ce qu’ils ont vécu dans cet état singulier, entre deux mondes. Lui le sait par expérience, les camarades qui parviennent à refaire surface ne gardent aucun souvenir des liens noués avec les autres patients. Plus que la perspective de ne jamais pouvoir vivre cette histoire d’amour ailleurs que dans ces limbes, c’est l’idée que les deux protagonistes n’en gardent aucun souvenir qui l’attriste. Peut-être, sans doute, parce qu’il fait le parallèle avec la situation de son père, encore vivant et atteint d’une maladie affectant sa mémoire. Dans une belle scène, ressemblant à des adieux, Lui et Elle lui rendent visite. Le vieil homme ne les voit pas, bien sûr, et même s’il le pouvait, rien ne dit qu’il reconnaitrait encore son fils. Mais le simple fait d’être là, de partager l’instant et de continuer à porter le souvenir de leur histoire, leurs liens, suffit à rassurer le personnage principal.
L’émotion nous cueille d’autant plus que le cinéaste a dédié le film à son propre père, récemment décédé et que ce joli long-métrage, à sa façon, sert à honorer sa mémoire.

Nonostante n’est pas un grand film qui frappe par sa virtuosité technique ou des performances puissantes, mais une oeuvre ténue, qui séduit par sa simplicité, sa douceur et nous fait vivre avec bonheur quelques instants avec ces personnages attachants que l’on n’oubliera pas de sitôt. Valerio Mastandrea peut être rassuré, il a parfaitement négocié l’écueil du second film et s’impose comme un réalisateur à suivre, en plus d’être déjà un acteur reconnu.


Contrepoints critiques :

“C’est avec une certaine poésie que Valerio Mastrandrea traite son sujet, offrant quelques « envolées » au sens propre à son personnage”
(Olivier Bachelard – Abus de ciné)

”Poignant and silly at the same time, Feeling Better has its affecting moments but never fills out its audacious premise with much more than existential meanderings, classic rom-com tropes and some cool overhead camera angles.”
(Lee Marshall – Screen)

Crédits photos : Images fournies par le service presse de la Biennale Cinema – copyright : Matteo Graia